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01/03/2018 | LUXEMBOURG | N°39688

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 mars 2018, 39688


Tribunal administratif N° 39688 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2017 2e chambre Audience publique du 1er mars 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39688 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2017 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Ethio...

Tribunal administratif N° 39688 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2017 2e chambre Audience publique du 1er mars 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 39688 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2017 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Ethiopie), de nationalité éthiopienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 mai 2017 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2017 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 janvier 2018.

Le 17 mars 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après la « loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée et remplacée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 24 mars 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE … du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

1Le 10 février, 9 mars et 13 avril 2016, respectivement le 15 mars 2017, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 mai 2017, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été refusée comme non fondée. Cette décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez déposée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 17 mars 2015.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 17 mars 2015.

Il ressort dudit rapport que vous auriez quitté votre pays le 9 mars 2015, à l'aide d'un passeur moyennant le payement d'environ …euros. Ce dernier vous aurait mis à disposition un passeport et un billet d'avion.

Vous précisez que vous auriez été persécuté dans votre pays d'origine, sans néanmoins donner davantage de précisions concernant les raisons de votre fuite.

A part de votre permis de conduire, dont l'authenticité a été vérifiée, vous ne présentez aucun document d'identité.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 24 mars 2015 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 10 février, 9 mars et 13 avril 2016, du rapport d'entretien complémentaire du 15 mars 2017 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que le document versé à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu ensemble avec votre mère et votre frère à …, où vous auriez terminé vos études secondaires. Par la suite vous auriez travaillé de 1999 à 2008 dans le commerce de votre famille avant de faire la connaissance de deux commerçants œuvrant dans le domaine de l'importation d'appareils électroniques. Ces derniers vous auraient recruté pour distribuer leurs marchandises. Lors de cet engagement, ces commerçants vous auraient progressivement rapproché du « Front révolutionnaire démocratique des peuples éthiopiens » (FDRPE) et des services secrets. C'est notamment en 2009 que vous auriez adhéré au mouvement de la jeunesse du FDRPE, avant d'être recruté par les services secrets éthiopien en 2010 - « ich habe dann als Spitzel gearbeitet » (entretien, p.

4/14). Dans ce contexte vous précisez que : « die Besten werden ausgemustert für den Geheimdienst. Danach wurden uns verschieden Arbeiten zugeteilt und wir gingen unserer Verantwortung nach.» (entretien, p. 7/14) 2D'après vos dires, la première mission d'observation, qui vous aurait été confiée par vos supérieurs hiérarchiques directs … et …, aurait consisté à observer un homme d'affaires riche d'ethnie oromo, dénommé …. Suite à vos dénonciations ce dernier aurait été emprisonné pour avoir soutenu des partis politiques d'opposition, notamment le groupe … 7. Suite à cette mission vous auriez observé des personnes actives dans le commerce des dollars, dans l'opposition politique et des journalistes - vous auriez même recruté de nouvelles personnes, dont des étudiants pour les services secrets. Vous précisez que trois des journalistes que vous auriez observé personnellement auraient été arrêtés, notamment … …, … … et un certain ….

En ce qui concerne vos problèmes avec les autorités nationales, vous mentionnez qu'en 2010 vous auriez été chargé de manipuler les élections en remplaçant une urne avec des bulletins de votes réguliers par une urne truquée avec des votes favorables au FDRPE. C'est suite à votre refus d'exécuter cette mission que vous auriez été emprisonné et maltraité une première fois pendant une période de 15 jours au commissariat de police « numéro cinq ».

Avant votre libération vous auriez en outre signé un document « in [dem] stand, dass ich nie wieder so etwas machen dürfte und dass ich wieder korrekt arbeiten müsste. » (entretien, p.

8/14) Par la suite vous auriez tout de même poursuivi vos activités comme espion, et ceci malgré le fait que vous auriez commencé à remettre en question votre engagement, tout en mentionnant: « [Ich habe] mir gesagt, dass ich auf der falschen Seite stehe.» (entretien, p.8/14) C'est notamment en 2014 que vous auriez reçu un avertissement écrit de la part de votre supérieur hiérarchique critiquant votre esprit de travail. Quelques mois plus tard, en date du 2 janvier 2015, vous auriez même été arrêté une deuxième fois. Après une détention de trois jours, lors de laquelle vous auriez subi des maltraitances, votre supérieur … vous aurait informé que cette arrestation devrait servir à vous remettre sur la bonne voie. Suite à cet incident vous auriez finalement décidé de vous enfuir de votre pays d'origine. Lors de votre entretien complémentaire, vous ajoutez que votre mère et votre frère auraient été arrêtés à trois reprises depuis votre départ de l'Ethiopie, tout en précisant que les autorités auraient menacé votre famille de mort au cas où vous seriez aperçu lors d'une démonstration politique à l'étranger.

D'après vos dires vous auriez pu quitter l'Ethiopie par voie aérienne et vous seriez finalement arrivé au Luxembourg en date du 3 mars 2015.

Pour étayer vos dires vous avez déposé une attestation certifiant que vous auriez travaillé entre 2008 et 2011 pour l'« Ethiopian Security and Immigration Authority » émise par l'administration municipale d'….

Enfin, il ressort du rapport d'entretien des 10 février, 9 mars et 13 avril 2016 ainsi que du rapport d'entretien complémentaire du 15 mars 2017 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

3Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

Or, en l'occurrence l'autorité ministérielle a été amenée à émettre des doutes quant à la crédibilité de votre récit, alors qu'il résulte de l'examen des rapports d'entretien que vos déclarations présentent de nombreuses incohérences 1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Avant tout autre développement, il convient de soulever que l'autorité ministérielle est amenée à remettre en question votre engagement pour les services secrets éthiopien. Ce constat repose sur différents éléments, notamment le fait que vous n'êtes pas à même de fournir des détails sur la structure interne du « National Intelligence and Security Service » (…) malgré le fait que vous auriez été recruté en 2010. A cela ajoute que vous indiquez que lors de votre engagement le chef du … aurait été un dénommé …, tandis que d'après nos informations les services secrets étaient dirigés par …lors de cette période. Finalement il convient de soulever une certaine incohérence relative aux dates de votre recrutement par le …. Si votre attestation indique que vous auriez travaillé pour les services secrets de 2008 à 2011, vous indiquez vous-

même que vous n'auriez commencé à travailler pour les services secrets qu'en 2010 après avoir rejoint la jeunesse du FDRPE en 2009. Il en va de même pour votre adhésion à la jeunesse du FDRPE, dans ce contexte il est surprenant que votre description de leur logo reste très vague et est de surcroit erronée.

En ce qui concerne la copie de votre attestation certifiant que vous auriez travaillé pour l' «Ethiopian Security and immigration Authority», il convient de noter que l'authenticité de ce document ne peut pas être établie et que ce dernier n'a donc pas pu être considéré comme une preuve fiable ayant pu prouver votre engagement dans le …. Ce constat est basé sur différentes observations, en particulier le fait que l'emblème de l'Administration municipale d'… figure sur cette attestation, tandis que les services secrets sont considérés comme une entité fédérale qui 4rend ses comptes directement au Premier Ministre. A cela s'ajoute qu'il n'existe d'après nos recherches aucune entité nationale dénommée « Ethiopian Security and immigration Authority ». Dans ce contexte il s'impose de soulever que les services secrets éthiopien créés en 1994/95 en tant que «Security, Immigration and National Affairs Authority» ont été rebaptisés en « National Intelligence and Security Service » en 2006/07, ce qui démontre donc clairement qu'il n'y a aucun lien entre votre prétendu engagement pour le … et l'organisation mentionnée sur cette attestation. A cela s'ajoute, qu'il est peu crédible que les services secrets four…ent un certificat de travail à ces collaborateurs, vu le caractère confidentiel d'un tel engagement d'autant plus lorsque ces derniers partent de manière impromptue. Par conséquent, il convient de souligner que l'autorité ministérielle est amenée à estimer que votre demande d'une protection internationale repose sur une fraude délibérée qui démontre une volonté de votre part d'induire en erreur les autorités en présentant de faux documents, afin d'influencer l'issue de votre demande.

En plus, il semble être peu convaincant que vous auriez été chargé de manipuler le résultat des élections au niveau du village …, étant donné qu'il ressort clairement des informations de Human Rights Watch : « it is local officials who are responsible for much of the day-to-day repression that characterizes governance in Ethiopia. » Un constat qui est confirmé par une analyse de la « International Crisis Group » qui souligne : « The EPRDF is aware that the 2010 vote will attract considerable international attention. It faces the tricky challenge of making the elections seem fair while ensuring that opposition gains are minimal.

To do so, it probably will need to maintain its strong grip at the … level in order to prevent mass protests that could become uncontrollable. […] The EPRDF's most effective instrument of local coercion is the … structure. […] At elections, these local officials form the backbone of the EPRDF machine. » Ces éléments mettent davantage en doute vos allégations, étant donné qu'il semble être peu probable que vous auriez été chargé de manipuler des urnes électorales si les autorités locales auraient une telle emprise sur le processus électoral. De plus, il convient de souligner que vous vous méprenez en indiquant la date des élections. En effet, vous auriez été mandaté pour remplacer cette urne qu'en date du 27 mai 2010, tandis que la journée des élections a été fixée au 23 mai 2010 et que le comptage des votes a commencé le jour. Ceci rend vos déclarations peu crédibles. Le constat que le vote aurait plutôt été influencé « by pre-

election irregularities, including voters being told they could lose food assistance, public sector jobs, loans and educational opportunities if they voted for EPRDF » avant le jour du scrutin soutient ces allégations. A cela ajoute que les premiers résultats des bureaux de vote ont été publiés le 24 mai 2010, d'après les informations de la commission nationale des élections et que les résultats préliminaires sur la victoire du FPRDE ont été publiés le 25 mai 2010.

Ainsi, les trop nombreuses confusions, incohérences et contradictions que contient votre récit entachent la crédibilité de vos dires ce qui ne nous permet pas d'établir de façon probante que vous ayez été victime d'un acte de persécution ou d'une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Au vu de ce qui précède il convient de conclure que la crédibilité de la totalité de votre récit et donc de vos soi-disant problèmes doit être mise en cause.

Même à supposer les faits sus mentionnés comme établis, il convient de soulever qu'il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

5En effet, vous déclarez avoir subi des maltraitances de la part de fonctionnaires dont des policiers non autrement identifiés lors de vos prétendues détentions de quinze jours en 2010 et de trois jours en 2015. Votre détention, même à la supposer établie, ne saurait, à elle seule constituer une persécution. Un constat qui est soutenu par le fait que vous auriez été détenu une première fois pour avoir refusé d'exécuter un ordre et une deuxième fois pour vous rappeler vos obligations comme membre des services secrets. Il n'est par conséquent pas établi que l'emprisonnement serait dû à une persécution dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un certain groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève. A cela s'ajoute que les policiers auraient même essayé de vous apaiser au cours de votre détention et en particulier lors des cinq derniers jours de votre première détention en vous disant : « Wenn du wieder wie früher arbeitest wirst du gut leben. » (entretien, p. 11/12).

A cela s'ajoute, que vous auriez repris vos responsabilités au sein des services secrets après cet incident, malgré les prétendues maltraitances subies, au lieu de démissionner ou de quitter votre pays d'origine. Si le fait d'avoir reçu un avertissement écrit en 2014 démontre certes que vous auriez peut être effectué vos obligations avec moins de ferveur qu'au début de votre carrière, il ressort tout de même de votre déclaration que vous auriez malgré tout été chargé de missions importantes, comme l'observation de journalistes d'une certaine renommée.

C'est notamment le fait que vous n'auriez pas quitté le service après ces incidents qui amène l'autorité ministérielle à remettre en cause la gravité de votre prétendu risque de persécution.

Considérant que si dès lors, en quelque sorte en arrière-fond, un sentiment latent de tensions et de malaise a certainement pu exister dans votre chef, celui-ci ne répond cependant pas aux exigences posées par la loi quant à la gravité nécessaire pour que des actes puissent valoir utilement comme actes de persécution donnant accès au statut de réfugié.

En ce qui concerne les prétendues arrestations de votre mère et de votre frère et les prétendues menaces de mort qu'ils auraient reçu de la part des autorités éthiopiennes à cause de votre fuite et le risque d'un engagement politique de votre part à l'étranger, il convient de soulever que des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d'asile établit un lien entre le traitement de ses membres de famille et des éléments liés à sa personne. Or, vous ne manifestez à aucun moment votre engagement pour l'opposition politique qui mettrait en péril les membres de votre famille qui seraient toujours en Ethiopie.

De plus, il est surprenant que ni votre mère ni votre frère auraient quitté leur pays d'origine dû aux problèmes susmentionnés. Les agissements dont ils seraient victimes ne revêtent donc tout vraisemblablement pas un caractère de gravité tel qu'ils puissent être assimilés à une persécution au sens de dispositions précitées de la convention de Genève donnant ainsi accès au statut de réfugié.

Cependant, indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve quant au risque que vous seriez exécuté lors de votre retour, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Un argument qui est notamment soutenu par le fait que vous auriez continué à travailler pendant une période de cinq ans pour les services secrets, malgré la prétendue persistance de menaces de la part de vos supérieurs.

Finalement, il n'est pas exclu que des raisons matérielles sous-tendent votre demande de protection internationale, étant donné que vous mentionnez dans le rapport de police que vous seriez venu au Luxembourg « um ein neues Leben zu beginnen und Arbeit zu suchen oder 6die Schule besuchen zu wollen » (rapport de police du 17 mars 2015). Or, des raisons économiques et votre volonté de bâtir une nouvelle vie au Luxembourg ne sauraient davantage justifier une demande de protection internationale, car il n'entrent pas dans le champs d'application de la Convention de Genève.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez avoir subi des maltraitances de la part de fonctionnaires des services secrets éthiopiens et que ces derniers vous auraient emprisonné arbitrairement.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à 7destination de l'Ethiopie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 8 mai 2017 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », ayant abrogé et remplacé la loi du 5 mai 2006, prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi que contre l’ordre de quitter de territoire prononcé dans ce contexte, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, pris en son double volet, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en reprenant, en substance, ses déclarations faites dans le cadre de son audition par un agent du ministère, telles que résumées dans la décision litigieuse, reproduite in extenso ci-avant.

En droit, le demandeur reproche en premier lieu au ministre d’avoir émis à tort des doutes quant à la crédibilité de son récit.

S’agissant des doutes émis quant à son engagement auprès des services de renseignement éthiopiens au motif qu’il n’aurait pas été capable de fournir des détails sur la structure interne du « National Intelligence an Security Service », Monsieur … soutient que le gouvernement éthiopien aurait mis en place un système permettant de couvrir l’intégralité du territoire sous surveillance par le recrutement de simples citoyens chargés d’espionner leurs concitoyens, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme un membre du service secret « au sens d’un agent militaire (…) affecté à une mission de surveillance » dont on pourrait raisonnablement attendre d’avoir connaissance de l’organigramme exact de son service d’appartenance. Quant à l’attestation certifiant qu’il aurait travaillé pour le gouvernement de 2008 à 2011 et non depuis 2010, tel qu’il l’a déclaré lors de son audition, il explique qu’il aurait commencé à travailler pour l’entreprise servant de couverture aux activités de surveillance à partir de 2008.

Quant aux doutes émis quant à la manipulation des urnes, le demandeur fait valoir que le ministre se serait basé sur un document de Human Rights Watch du 9 avril 2008 concernant les élections locales, tandis que les élections générales auraient eu lieu en date du 23 mai 2010, voire deux ans plus tard, et que l’erreur de date serait liée à la transcription du calendrier éthiopien au calendrier grégorien.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut ainsi au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

8La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

9(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le ministre ayant mis en doute la crédibilité du récit du demandeur, il convient de prime abord d’examiner cette question.

A cet égard, s’il ressort certes des documents versés à l’appui de la requête introductive d’instance que le gouvernement éthiopien se livre à des actes d’intimidation contre les partisans de l’opposition, les médias et les défenseurs des droits de l’Homme par la mise en place d’une structure de surveillance de la société civile et en abusant de son influence considérable à travers les représentants locaux sur la subsistance des villageois, il ne ressort cependant pas du procès-

verbal de l’audition du demandeur auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes que les tâches qu’il aurait exercées pour les services secrets auraient été celles d’un simple citoyen recruté pour espionner ses concitoyens, tel qu’il tente de l’insinuer à travers sa requête.

En effet, le demandeur explique au sujet de son service d’appartenance, respectivement son recrutement qu’ « Im Jahr 2008 haben wir uns kennengelernt. Ein Jahr lang waren wir nur Geschäftspartner bis etwa 2009. Ab 2010 habe ich für die Regierung gearbeitet »1, « Ich habe von 2009 bis 2011 für diesen Dienst gearbeitet »2, « Ich habe danach immer noch für den 1 Rapport d’audition du demandeur, p. 5.

2 Ibidem, p. 6.

10Nachrichtendienst gearbeitet »3, « Ich habe viele neue Partei Mitglieder angeworben und wer das Vertrauen der Partei geweckt hat, genießt ein gutes Ansehen. Ich bin dann rekrutiert worden und danach habe ich die wichtigsten Arbeiten übernommen. »4, « Um für den Geheimdienst arbeiten zu können muss man zuerst in verschiedenen Bereichen geprüft werden.

In meinem Fall hatte ich mit vielen Geschäftsleuten Geschäfte gemacht so dass ich sehr viele Kontakte hatte und deshalb wurde ich rekrutiert. »5, « Ich habe meine Kündigung eingereicht und deren Angebot war es mich in eine andere Region zu versetzen. »6, « Viele Leute wussten dass ich für die Regierung arbeite (…) »7. Sur question pour quel département il aurait travaillé, le demandeur a déclaré « Abteilung für Landesinnere Angelegenheiten »8 tout en soulignant qu’il aurait reçu un salaire mensuel de … Birrs, qu’il aurait eu une « Dienstgeheimnummer »9 et qu’il aurait espionné des personnages d’un certain rang social, dont un homme ayant été accusé pour fraude fiscale ainsi que des journalistes. Il y a dès lors lieu de conclure que les développements effectués par le demandeur dans sa requête introductive d’instance relatifs au fait qu’il n’aurait pas été « un membre du … au sens d’un agent militaire (…) affecté à une mission de surveillance » et qu’il n’aurait à aucun moment « mentionné être membre du … » afin de résister aux doutes émis par le ministre quant à la crédibilité de son récit en raison de ses incertitudes quant à l’organisation du service de surveillance ne coïncident pas à son récit tel que retranscrit dans le procès-verbal de l’audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes.

Force est encore au tribunal de constater que non seulement le demandeur est dans l’impossibilité de fournir des détails sur la structure interne du National Intelligence and Security Service, ce qu’on est en droit d’attendre d’un espion du profil de Monsieur …, mais qu’il se contredit également dans l’énumération des journalistes qu’il aurait surveillés. Ainsi, dans un premier temps, il déclare avoir surveillé un dénommé … …10 et, dans un deuxième temps, lors de l’audition supplémentaire du 15 mars 2017, il déclare ne jamais avoir surveillé cette personne11.

S’agissant du certificat établi par l’ « Ethiopian security and Immigration Authority » pour féliciter Monsieur … « for his great Contribution Provided From 2008 up to 2011 », force est au tribunal de constater que ni pendant l’audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, ni à travers la requête introductive d’instance, le demandeur a pris position par rapport à la contestation du ministre selon laquelle l’autorité ayant émis ledit certificat n’existerait pas, tandis que les explications du demandeur qu’il serait d’usage que les personnes qui font preuve de bonnes prestations dans le cadre de leur mission d’espionnage recevraient un tel certificat, n’emportent pas la conviction du tribunal en raison de la nature confidentielle d’une telle mission, d’autant plus que cette affirmation ne fournit aucun éclaircissement sur l’existence de l’autorité en question. Force est encore de préciser à cet égard que le demandeur est également resté en défaut de fournir une quelconque explication sur la raison de la présence de l’emblème de la ville d’… sur un certificat émis par une autorité qui exercerait a priori ses activités sur le plan fédéral.

3 Ibidem, p. 7.

4 Ibidem, p. 7.

5 Ibidem, pp. 9 et 10.

6 Ibidem, p. 11.

7 Ibidem, p. 11.

8 Ibidem, p. 10.

9 Ibidem, p. 6.

10 Ibidem, p. 7.

11 Rapport d’audition supplémentaire du 15 mars 2017, p. 6.

11Partant, il se dégage des éléments qui précèdent que le récit du demandeur est incohérent et non crédible dans son intégralité et qu’il n’est partant pas de nature à établir l’existence d’une persécution ou d’une crainte de persécution susceptible de justifier la reconnaissance au demandeur du statut de réfugié au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, défi…ant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate que le demandeur base en substance son recours y relatif sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

12Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-dessus que le récit du demandeur manque de crédibilité, il n’y a pas lieu de retenir, sur la base des mêmes faits, qu’il existerait de sérieux motifs de croire qu’en cas de retour de son pays d’origine, le demandeur encourrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48 précité. C’est dès lors à juste titre que le ministre lui a refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’il a a priori pu assortir sa décision d’un ordre de quitter le territoire.

En ordre subsidiaire, le demandeur fait exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi que l’article 3 de la CEDH. Il cite à l’appui de son moyen la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme aux termes de laquelle l’éloignement serait proscrit dès lors qu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain et dégradant, qui peut même résulter de facteurs objectifs indépendants des autorités ou du droit interne de l’Etat d’origine et qui n’est pas conditionné par l’existence d’une intention discriminatoire.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce moyen.

Il convient de rappeler que si l’article 3 CEDH, auquel renvoie l’article 129, précité, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

13En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Ethiopie, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH,12 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 8 mai 2017 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

12 CedH, arrêt … et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

14reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 8 mai 2017 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, … Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 1er mars 2018 par le vice-président, en présence du greffier assumé Vanessa Soares.

Vanessa Soares Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 mars 2018 Le greffier assumé du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 39688
Date de la décision : 01/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-03-01;39688 ?

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