La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2017 | LUXEMBOURG | N°37664

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2017, 37664


Tribunal administratif N° 37664 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2016 1re chambre Audience publique du 9 janvier 2017 Recours formé par Monsieur … et consorts,… contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37664 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2016 par Maître Ardavan Fatholahzad

eh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 37664 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2016 1re chambre Audience publique du 9 janvier 2017 Recours formé par Monsieur … et consorts,… contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37664 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro), et de Madame …, née le …, accompagnés de leurs filles mineures …, tous de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 février 2016 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 mai 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 décembre 2016.

Le 22 mai 2014, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des époux … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date du 30 mai 2014, les époux … furent encore auditionnés séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … fut finalement entendu en date du 5 septembre 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut entendue pour les mêmes raisons en date des 16 septembre, 14 octobre, 10 décembre 2014 et 14 janvier 2015.

Par décision du 29 février 2016, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations des époux … comme suit : « […] Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu à Berane avec votre famille et que vous auriez travaillé en tant que manager commerçant dans une entreprise de meubles.

Selon vos dires, vous auriez des problèmes avec la famille de votre épouse étant donné que son frère et son père « détestent le nom de famille … » (p. 2/12 du rapport d'entretien).

Vers 2007, la soeur de votre femme aurait épousé un homme de la famille …. Le couple aurait eu un enfant qui aurait été handicapé. Dès lors, la famille de votre épouse se serait opposée à ce qu'elle soit en relation avec un homme de la famille ….

Pendant cinq ans, vous auriez eu une relation amoureuse secrète. Après avoir appris que vous seriez en couple, le père et le frère de votre épouse auraient tenté de vous séparer.

Durant ce temps, elle aurait été discriminée à la maison. Son père et son frère l'auraient empêchée [de] faire des études, ils auraient confisqué son portable et ils auraient interdit toute circulation. A cela s'ajoute qu'ils auraient choisi un autre homme pour la marier contre sa volonté. Vous vous seriez renseigné auprès d'une ONG afin de trouver une solution. Vous auriez eu l'information qu'il y aurait des maisons uniquement pour femmes en détresse. Or, vous n'auriez pas considéré ceci comme solution valable. En plus, votre épouse aurait été rejetée par sa famille si elle avait cherché de l'aide.

En août 2013, vous vous seriez mariés. Depuis cette date, la famille de votre épouse vous aurait menacé de mort. En décembre 2013, votre beau-père serait décédé. Après sa mort, votre beau-frère vous aurait menacé davantage. Selon vos dires, il aurait tenté de vous agresser une fois mais vous auriez eu le support de vos amis.

Vous n'auriez rien déclaré à la police pour éviter que votre épouse ait des problèmes. A cela s'ajoute que vous pensez qu'il serait honteux de porter plainte contre sa propre famille et que la police ne se mêlerait pas des problèmes familiaux, surtout des droits de la femme.

Selon vos dires, votre beau-frère aurait une maladie mentale et dès lors, ne serait pas punissable. Ainsi, il pourrait faire ce qu'il voudrait.

Vous auriez quitté le Monténégro en date du 11 mai 2014.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous précisez que vous auriez fui votre domicile après avoir eu la nouvelle que votre famille aurait trouvé un mari pour vous par peur que vous soyez forcée à l'épouser. A cela s'ajoute que vous auriez été victime d'actes de violence de la part de votre frère avant d'avoir quitté votre domicile. Vous craindriez maintenant qu'il puisse vous tuer ou votre enfant. Vous ajoutez que vous auriez été insultée par votre belle-mère qui vous aurait rendue responsable des problèmes de son fils. Elle vous aurait obligée à faire des travaux même lors de votre grossesse.

Contrairement à votre époux, vous expliquez avoir déposé plainte contre votre frère en mai 2014 mais que vos déclarations ne serviraient à rien car votre frère connaitrait tous les policiers. Vous n'auriez par contre jamais mentionné son nom lors du dépôt de votre plainte.

Finalement, vous indiquez que les femmes n'auraient pas de droits au Monténégro.

Vous avez déposé un acte de mariage daté au 7 mai 2014 ainsi qu'un Curriculum Vitae de Monsieur.

Enfin, il ressort des rapports d'entretien et de la déclaration écrite qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite les époux …, accompagnés de leurs filles mineures … …, ci-après désignés par « les consorts … », que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire.

Le ministre estima que les motifs ayant amené les époux … de quitter leur pays ne seraient pas liés à un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », ces motifs étant plutôt des problèmes familiaux, respectivement des infractions de droit commun, fondés sur le fait que Madame … aurait eu des relations extra-

conjugales et se serait mariée avec un homme qui n’aurait pas été choisi par sa famille. Le ministre retint, par ailleurs, que les époux … n’auraient pas établi un défaut de protection dans leur pays d’origine, en ce que, d’une part, ils n’auraient pas dénoncé les menaces proférées à leur encontre, ni les agressions subies par Madame … de la part de son père et de son frère aux autorités monténégrines, le ministre précisant, par ailleurs, que le Code criminel monténégrin permettrait l’internement de personnes atteintes d’une maladie mentale, tel que le frère de Madame …, et, d’autre part, cette dernière ne se serait pas adressée à une maison pour femmes en détresse pour échapper aux actes violents de son père et de son frère. Enfin, le ministre évoqua la possibilité d’une fuite interne et estima que le récit des époux … ne contiendrait pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2016, les consorts … ont fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 29 février 2016 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 29 février 2016 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 29 février 2016, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs renvoient, en substance, aux faits et rétroactes de leurs demandes en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans les rapports d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes.

En droit, les demandeurs, en se fondant sur les articles 26, 34 et 42 de la loi du 18 décembre 2015, concluent à la réformation de la décision déférée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits de la part du ministre qui aurait, à tort, retenu qu’ils ne rempliraient pas les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire. Ils font ainsi valoir avoir dû quitter leur pays d’origine en raison des menaces et agressions subies de la part de la famille de Madame …, et plus particulièrement de la part de son frère qui présenterait des problèmes psychiatriques importants, en raison du fait que la demanderesse n’aurait pas épousé l’homme choisi par sa famille. Ces menaces et agressions, à qualifier de violences physiques et mentales au sens de l’article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, subies pendant plusieurs années auraient conduit à ce que la demanderesse ait subi une première fausse couche et constitueraient, de par leur caractère grave et répété, une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme. Les demandeurs font également état d’un meurtre commis par un cousin de Madame … afin de souligner le caractère sérieux des menaces de mort proférées à leur égard en ce que leur auteur serait hautement susceptible de les mettre à exécution.

Les demandeurs contestent, par ailleurs, que les autorités policières monténégrines seraient capables, respectivement disposées d’assurer leur protection, au motif que le frère de Madame … travaillerait pour les services de douane et aurait ainsi beaucoup de connaissances au sein de la police monténégrine. Par ailleurs, la tentative de Monsieur … de s’adresser à des organisations non-gouvernementales œuvrant dans le domaine de la protection des femmes victimes de violences aurait été un échec, de sorte que leur seule issue aurait été de quitter leur pays d’origine.

Les demandeurs réfutent encore la possibilité de fuite interne au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, en ce que le frère de Madame … pourrait les retrouver sur l’ensemble du territoire monténégrin en utilisant les informations accessibles dans le cadre de son travail de douanier.

En ce qui concerne le refus ministériel de leur accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, les demandeurs se réfèrent par analogie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ayant trait à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), pour soutenir que les faits qu’ils ont invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale permettraient de retenir dans leur chef un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour au Monténégro. En effet, les menaces et violences qu’ils auraient d’ores et déjà subies seraient à assimiler à un traitement inhumain ou dégradant dans la mesure où, d’une part, ces agissements se traduiraient par des souffrances mentales et physiques particulièrement intenses dans leur chef et, d’autre part, ils vivraient dans la peur constante que les menaces se réalisent.

L’ensemble des conditions sous-tendant l’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire étant remplies dans leur chef, ce serait dès lors à tort que lesdits statuts leur auraient été refusés.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l'article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […]», tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », l’article 2 g), précité, définissant, quant à lui, la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte à viser une persécution, respectivement des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des persécutions ou des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures ou atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les consorts … à l’appui de leurs demandes en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que ceux-ci restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle fondée de persécutions du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social tel que le prévoit l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la même loi.

Force est tout d’abord au tribunal de relever que l’affirmation générale et abstraite de la demanderesse selon laquelle les femmes n’auraient pas de droits au Monténégro ne saurait fonder l’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire, étant donné que les demandeurs restent en défaut de fournir, à ce sujet, un quelconque élément concret et précis les concernant directement qui permettrait au tribunal d’analyser si les conditions d’octroi d’un statut de protection internationale sont remplies en l’espèce, et notamment si cette situation de traitement inégalitaire des femmes, telle qu’invoquée, lui a été infligée ou si elle résultait d’une intervention directe ou indirecte humaine, l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 de la même loi énumérant en effet les acteurs des persécutions et des atteintes graves, tandis que l’article 48 de la même loi se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’actes de persécution, respectivement d’atteintes graves lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable En ce qui concerne les menaces et agressions subies par les consorts … de la part de la famille de la demanderesse, indépendamment de la question de la qualification des actes subis par les consorts …, respectivement de la gravité de ces faits, le tribunal constate que les personnes par lesquelles les consorts … déclarent avoir été menacés respectivement attaqués, en l’occurrence le père et le frère de Madame …, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, de sorte que la crainte de faire l’objet d’actes de persécution, respectivement d’atteintes graves ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective aux demandeurs ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des actes de persécution, respectivement des atteintes graves1.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale2. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays, en déposant notamment une plainte contre l’auteur des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut3.

Dès lors, l’essentiel est d’examiner si les demandeurs peuvent être protégés compte tenu de leur profil dans le contexte qu’ils décrivent. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou des atteintes graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des actes de persécution, respectivement des atteintes graves.

En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ressort des déclarations des demandeurs lors de leurs auditions respectives auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes qu’ils n’ont pas porté plainte contre la famille de Madame … pour les menaces et agressions subies de la part de cette dernière4 - il ressort des déclarations de Monsieur … que son épouse était opposée à ce que son mari s’adresse aux autorités policières, mise à part à une occasion, au courant du mois de mai 2012, où Madame … s’est rendue au commissariat de Bérane pour dénoncer l’agression physique subie de la part de son frère, sans cependant mentionner l’identité de son agresseur5, ce qui met nécessairement les autorités répressives dans la quasi-impossibilité de retrouver l’auteur d’une infraction, faute de son identification par la victime.

1 trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2016, V° Etrangers, n° 131.

2 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

4 Pages 4, 5 et 6 du rapport d’audition du 5 septembre 2014 de Monsieur ….

5 Page 4 du rapport d’audition des 10 décembre 2014 et 14 janvier 2015 de Madame … A ce titre, il y a encore lieu de rappeler qu’une protection n’exige pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion, étant relevé qu’il ressort des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, d’une part, que la police monténégrine est dotée du personnel suffisant pour assurer sa mission de maintien de l’ordre et, d’autre part, que les autorités monténégrines ont mis en place des institutions – tel que l’Ombudsman – permettant aux citoyens s’estimant victimes d’un comportement fautif de la part d’un policier ou, plus généralement, d’une administration, de faire valoir leurs droits. Il aurait, par conséquent, appartenu aux demandeurs, dans le cas où ils se seraient sentis victimes de l’inaction de la police, de déposer une plainte auprès d’un autre commissariat ou devant l’une des instances supérieures précitées. Il s’ensuit qu’à défaut de ce faire, les demandeurs restent en défaut de rapporter la preuve que les autorités monténégrines ne seraient pas à même de leur garantir une protection adéquate.

En outre, les contestations générales formulées par les demandeurs que les autorités monténégrines ne voudraient ou ne pourraient pas leur fournir une protection adéquate en raison de la corruption et du fait que le frère de Madame …, en sa qualité de douanier, aurait un nombre important de connaissances au sein de la police monténégrine lui assurant, de ce fait, une certaine impunité, constituent de simples allégations, sans que les demandeurs n’auraient fourni le moindre élément concret pour les étayer. L’affirmation que les autorités monténégrines ne se préoccuperaient pas d’incidents familiaux et ne sanctionneraient pas les auteurs d’infractions atteints d’une maladie mentale est, par ailleurs, contredite par les explications circonstanciées de la partie étatique, sources internationales à l’appui, selon lesquelles le Code criminel monténégrin, d’une part, punit de peines d’emprisonnement les auteurs de violences domestiques, et, d’autre part, prévoit le placement dans des institutions médicales spécifiques des auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux. Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas fourni d’explications plausibles ayant pu justifier leur défaut de dénoncer les menaces et agressions subies de la part de la famille de Madame … aux autorités monténégrines compétentes.

Dans ces circonstances, le tribunal retient qu’il n’est pas établi en l’espèce que les autorités monténégrines seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas accorder aux demandeurs une protection appropriée, de sorte que les faits invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale ne sauraient justifier ni l’octroi du statut de réfugié ni l’octroi de la protection subsidiaire.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale des consorts … et le recours en réformation est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

A cet égard, les demandeurs exposent que dans la mesure où ils auraient fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, l’ordre de quitter le territoire serait à réformer.

Le tribunal vient cependant de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié, ni au statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le ministre pouvait valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire. A défaut d’un quelconque autre moyen, ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire n’ont été utilement contestés, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 février 2016 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef des consorts … ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 février 2016 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Alexandra Castegnaro, premier juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2017 par le vice-président en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 37664
Date de la décision : 09/01/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2017-01-09;37664 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award