Tribunal administratif N° 37683 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2016 2e chambre Audience publique extraordinaire du 17 mai 2016 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1) L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37683 du rôle et déposée le 17 mars 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Erythrée), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de sa fille mineure, …, née le … à …, toutes les deux de nationalité érythréenne, demeurant actuellement ensemble à L-… et élisant domicile en l’étude de Maître Pascale Petoud, préqualifiée, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 3 mars 2016 de la transférer vers la Suisse, prise sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l’article 18 (1) d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2016 ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 22 mars 2016, inscrite sous le numéro 37684 du rôle ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2016.
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Le 7 décembre 2015, Madame … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 22 janvier 2016, elle introduisit auprès du ministère une demande de protection internationale, au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », ayant abrogé et remplacé la loi du 5 mai 2006, au nom et pour le compte de sa fille mineure …, née le ….
Le 1er mars 2016, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Par une décision du 3 mars 2016, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait, en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, pris la décision de la transférer vers la Suisse, qui serait l’Etat responsable de l’examen de sa demande, au motif, d’une part, qu’elle y aurait déposé une demande de protection internationale le 11 août 2011 et, d’autre part, que les autorités suisses auraient, en date du 12 février 2016, accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de sa demande d’asile.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2016, inscrite sous le numéro 37683 du rôle, Madame …, accompagnée de sa fille mineure …, fit introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle de transfert précitée du 3 mars 2016.
Par requête séparée, déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 37684 du rôle, elle fit encore introduire une demande tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à la décision susmentionnée du 3 mars 2016, dont elle fut déboutée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 22 mars 2016.
Etant donné que l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, un recours en annulation a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-ci, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée. Elle précise plus particulièrement avoir indiqué, au cours de l’audition susvisée du 1er mars 2016, que le père de sa fille … serait Monsieur …, demandeur de protection internationale au Luxembourg.
En droit, elle soutient qu’en l’espèce, la détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait intervenue en violation tant des dispositions de la loi du 18 décembre 2015 que de celles du règlement Dublin III, au motif que les autorités luxembourgeoises auraient introduit une demande de reprise en charge auprès des autorités suisses avant qu’elle n’ait été informée de l’application dudit règlement, ce qui violerait l’article 4 du règlement en question, et avant la tenue de l’entretien individuel prévu à l’article 5 du même règlement.
Ainsi, l’autorité ministérielle luxembourgeoise aurait procédé à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni du droit au respect de la vie familiale, dont la prise en considération serait précisément l’un des objectifs du « (…) droit à l’information (…) », de l’entretien individuel et des clauses discrétionnaires, prévus respectivement aux articles 4, 5 et 17 du règlement Dublin III. Dans ce contexte, la demanderesse cite les considérants n° 13 à 18 dudit règlement, faisant état, notamment, de la nécessité, dans le cadre de la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la Convention », et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après dénommée « la Charte », ainsi que le droit au respect de la vie familiale, conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « la CEDH », et à la Charte.
La demanderesse ajoute qu’en déterminant l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement Dublin III, le ministre se serait « (…) dispensé de facto de recourir aux clauses discrétionnaires [prévues par l’article 17 du même règlement] bien que le cas d’espèce [aurait justifié] un examen spécifique en vue du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la vie familiale (…) ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il est constant en cause que la décision de transférer la demanderesse vers la Suisse et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait la Suisse, en ce qu’elle y aurait introduit une demande d’asile le 11 août 2011 et que les autorités suisses auraient accepté sa reprise en charge le 12 février 2016.
L’article 28 (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités suisses pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Madame …, prévoit que l’ « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Force est au tribunal de constater que la demanderesse ne remet pas en cause la responsabilité de principe des autorités suisses pour procéder à l’examen de sa demande de protection internationale, mais qu’elle soutient, en substance, qu’en transmettant une demande de reprise en charge auxdites autorités avant qu’elle n’ait reçu les informations visées à l’article 4 du règlement Dublin III et avant la tenue de l’entretien individuel prévu à l’article 5 du même règlement, les autorités luxembourgeoises auraient procédé à la détermination de l’Etat responsable de sa demande, sans tenir compte de l’intérêt supérieur de son enfant, ni de leur droit au respect de la vie familiale, de sorte à s’être « (…) dispensé[es] de facto de recourir aux clauses discrétionnaires [prévues par l’article 17 dudit règlement] bien que le cas d’espèce [aurait justifié] un examen spécifique en vue du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la vie familiale (…) ».
L’article 4, précité, du règlement Dublin III prévoit ce qui suit : « 1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement, et notamment:
a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d’une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d’un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l’État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée;
b) des critères de détermination de l’État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu’une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n’est pas fondée sur ces critères;
c) de l’entretien individuel en vertu de l’article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations;
d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;
e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d’exécuter leurs obligations découlant du présent règlement;
f) de l’existence du droit d’accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l’ob jet d’un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l’article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel.
2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend.
Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (…) 3. La Commission rédige, au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune ainsi qu’une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l’application du règlement (UE) n o 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ».
A cet égard, il ressort des explications du délégué du gouvernement que le jour même du dépôt de sa demande de protection internationale, en l’occurrence le 7 décembre 2015, soit avant la demande de reprise en charge adressée par les autorités luxembourgeoises aux autorités suisses le 5 février 2016, la demanderesse se serait vue remettre une brochure d’informations rédigée en langue arabe dont le contenu serait conforme aux exigences de l’article 4, précité, du règlement Dublin III.
Or, force est au tribunal de constater que la demanderesse n’a contesté ni la fourniture de ladite brochure, ni la conformité de son contenu aux exigences dudit article. S’il est exact que les explications afférentes de la partie étatique figurent dans son mémoire en réponse et qu’aux termes de l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive (…) », dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre une décision de transfert au sens de l’article 28 (1) de la même loi, tel que le recours sous examen, il n’en reste pas moins qu’il aurait été loisible à la partie demanderesse de solliciter l’autorisation de déposer un mémoire supplémentaire pour prendre position sur ces points, ce qu’elle est cependant restée en défaut de faire.
Le tribunal en déduit que son argumentation selon laquelle les informations visées à l’article 4 du règlement Dublin III ne lui auraient pas été fournies en temps utile, plus particulièrement avant l’introduction, par les autorités luxembourgeoises, d’une demande de reprise en charge auprès des autorités suisses, en l’occurrence le 5 février 2016, est à rejeter pour manquer en fait.
S’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 5 du règlement Dublin III, le tribunal relève que celui-ci prévoit ce qui suit :
« 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4.
(…) 3. L’entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État membre responsable soit prise conformément à l’article 26, paragraphe 1. (…) ».
Force est au tribunal de constater que s’il ressort de cette disposition que l’entretien individuel y visé doit être effectué en temps utile et, en tout état de cause, avant la prise d’une décision de transfert de l’intéressé vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, il ne s’en dégage pas que ledit entretien doit nécessairement avoir lieu avant l’introduction d’une demande de reprise en charge auprès dudit Etat membre.
Par ailleurs, le tribunal relève que la date limite prévue par ledit article a été respectée en l’espèce, étant donné que l’entretien de la demanderesse a eu lieu le 1er mars 2016, soit avant la date de la prise de la décision de transfert litigieuse, en l’occurrence le 3 mars 2016.
En outre, il y a lieu de préciser qu’aux termes de l’article 23 du règlement Dublin III, auquel le délégué du gouvernement se réfère dans son mémoire en réponse, « (1) Lorsqu’un État membre auprès duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne.
(2) Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac («hit»), en vertu de l’article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (…) (3) Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n’est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c’est l’État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
(…) ».
Il ressort d’une lecture combinée de cette disposition et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, cité in extenso ci-avant, qu’une demande de reprise en charge d’un demandeur de protection internationale ayant déposé une nouvelle demande d’asile auprès de l’Etat membre concerné, après le rejet d’une demande antérieure de sa part, introduite dans un autre Etat membre, tel que c’est le cas de la demanderesse, doit être formulée auprès de cet autre Etat membre dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif de la recherche effectuée par l’Etat membre requérant dans la base de données EURODAC.
Si la demande de reprise en charge n’a pas été formulée dans ce délai, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale incombe à l’État membre auprès duquel la nouvelle demande a été introduite.
En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que les recherches ministérielles effectuées dans la base de données EURODAC ont donné lieu à un résultat positif le 7 décembre 2015, de sorte que le délai prévu par l’article 23 (2), précité, du règlement Dublin III a expiré le dimanche, 7 février 2016.
Dans la mesure où il ressort d’une note au dossier administratif que l’entretien de la demanderesse aux fins de la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, initialement prévu pour le 20 janvier 2016, a dû être reporté au motif que « (…) L’intéressée est enceinte et au 9ième mois. Selon un rapport médical présenté à l’agent au Guichet du Service des Réfugiés, elle devrait donner naissance le 21 janvier 2016. Il n’est donc pas possible de la convoquer pour un entretien Dublin III avant l’expiration du délai. (…) », le tribunal retient qu’a priori, il ne saurait être reproché à l’Etat d’avoir introduit la demande de reprise en charge litigieuse auprès des autorités suisses le 5 février 2016, soit le dernier jour ouvrable avant la date d’expiration du délai susvisé, avant d’avoir procédé, en date du 1er mars 2016, à l’entretien individuel visé à l’article 5 du règlement Dublin III.
S’agissant de l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale aurait été faite en méconnaissance de l’intérêt supérieur de son enfant et de leur droit au respect de la vie familiale, au motif que son entretien individuel n’aurait eu lieu qu’après l’introduction de la demande de reprise en charge auprès des autorités suisses, le tribunal précise que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est consacré par l’article 3 (1) de la Convention, aux termes duquel « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale », et par l’article 24 (2) de la Charte, aux termes duquel « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ».
Par ailleurs, s’agissant du droit au respect de la vie familiale, celui-ci est protégé par l’article 8 de la CEDH, en vertu duquel « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. », et par l’article 7 de la Charte, qui dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) ».
A cet égard, outre le fait qu’il aurait été loisible à la demanderesse de faire état de sa relation avec Monsieur … et du fait que ce dernier serait le père de son enfant à naître lors du dépôt de sa demande de protection internationale, par exemple, au cours de son audition susmentionnée par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale ou dans le cadre de sa fiche de données personnelles, ce qu’elle est cependant restée en défaut de faire, le tribunal constate, à l’instar du délégué du gouvernement, qu’au vu des déclarations respectives de la demanderesse et de Monsieur …, il est exclu que celui-ci soit le père de l’enfant ….
En effet, lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, la demanderesse a expliqué qu’après avoir séjourné en Suisse pendant quatre années, elle aurait, suite au rejet de sa demande de protection internationale qu’elle y aurait introduite, quitté ce pays pour venir au Luxembourg en train. A la fin de son entretien, elle a précisé qu’avant son arrivée au Luxembourg le 7 décembre 2015, elle aurait passé 20 jours à Calais, d’où elle aurait tenté sans succès de gagner l’Angleterre. Compte tenu des déclarations de la demanderesse et à supposer que Monsieur … soit le père de l’enfant …, le tribunal relève que dans la mesure où celui-ci n’a pas évoqué de séjour en Suisse, mais a affirmé avoir, entre autres, séjourné à Calais, cette ville est le seul lieu où ledit enfant aurait pu être conçu, l’intéressé n’étant arrivé au Luxembourg qu’en date du 23 février 2016, soit après la naissance de l’enfant … le …. Or, étant donné que la demanderesse affirme avoir séjourné à Calais pendant 20 jours avant son arrivée au Luxembourg en train le 7 décembre 2015 et toujours à supposer que Monsieur … soit le père de l’enfant …, celle-ci aurait été conçue au plus tôt en novembre 2015, ce qui signifierait qu’elle aurait été née après une grossesse d’une durée inférieure à trois mois, sa date de naissance étant le …, tel que relevé ci-avant, ce qui est médicalement impossible.
Dans ces circonstances, l’attestation testimoniale de Monsieur … selon laquelle il « (…) certify to be the father of the child … … (…) » n’emporte pas la conviction du tribunal.
Si, à l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de la demanderesse a demandé l’institution d’une expertise génétique afin de prouver la paternité de Monsieur … à l’égard de l’enfant …, le tribunal retient qu’outre la question de la recevabilité de cette demande, en ce qu’elle a été formulée oralement, il n’y a pas lieu d’ordonner une expertise, étant donné, d’une part, qu’aux termes de l’article 351 du Nouveau code de procédure civile – applicable dans le cadre du présent litige, étant donné que dans la mesure où le règlement de procédure applicable devant les juridictions administratives n'y déroge pas, les prescriptions du Nouveau code de procédure civile sont à suivre en la matière1 – une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, une mesure d’instruction ne pouvant en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve et, d’autre part, que le tribunal vient de retenir que la paternité de Monsieur … à l’égard dudit enfant est exclue au vu de ses propres déclarations et de celles de la demanderesse.
Par ailleurs, étant donné qu’il n’est ni allégué, ni a fortiori établi que la demanderesse et Monsieur … se seraient déjà connus au pays d'origine de ce dernier, à savoir l’Ethiopie, où Madame … aurait vécu à partir de l’âge de quatre ans jusqu’à son départ pour la Suisse en 2011, ni qu’ils auraient entretenu une relation à distance, le tribunal retient qu’au vu de leurs déclarations respectives quant à leurs séjours dans d’autres pays, leur relation a débuté au plus tôt entre novembre et décembre 2015, lors du séjour de la demanderesse à Calais, seul endroit où ils auraient pu se rencontrer avant leur arrivée respective au Luxembourg. Il s’ensuit qu’au jour de la demande de reprise en charge adressée par les autorités luxembourgeoises aux autorités suisses, en l’occurrence le 5 février 2016, leur relation était d’une durée maximale de trois mois, de sorte qu’elle n’est manifestement pas assez stable et pérenne pour pouvoir être qualifiée de vie familiale effective, seule susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH2 et, par conséquent, par l’article 7 de la Charte3. A 1 En ce sens : Trib. adm., 30 octobre 1997, n° 8936 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 618 et les autres références y citées.
2 Cour adm., 28 février 2013, n° 31852C du rôle, Pas. adm., V° Etrangers, n° 378 et les autres références y citées.
fortiori, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne une relation qui existerait éventuellement entre Monsieur … et l’enfant …, compte tenu du fait qu’au jour de ladite demande de reprise en charge, celle-ci était âgée de moins de trois semaines, étant, par ailleurs, rappelé que le tribunal vient d’exclure l’existence d’un lien de parenté entre eux.
Il suit des considérations qui précèdent que les autorités luxembourgeoises ont valablement pu introduire la demande de reprise en charge litigieuse auprès des autorités suisses le 5 février 2016, soit avant l’audition de la demanderesse en vue de la détermination de l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans méconnaître les articles 4 et 5 du règlement Dublin III, ni le droit de l’intéressée et de sa fille au respect de la vie familiale, au sens des articles 8 de la CEDH et 7 de la Charte, ni l’intérêt supérieur de l’enfant, au sens des articles 3 (1) de la Convention et 24 (2) de la Charte. Par conséquent, l’argumentation de la demanderesse selon laquelle le ministre, en déterminant l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement Dublin III, se serait « (…) dispensé de facto de recourir aux clauses discrétionnaires [prévues par l’article 17 du même règlement] bien que le cas d’espèce [aurait justifié] un examen spécifique en vue du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la vie familiale (…) » tombe à faux.
Au vu des développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 17 mai 2016 par le juge Hélène Steichen, déléguée à cette fin par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
3 Voir, à cet égard, l’article 52 (3) de la Charte, aux termes duquel « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. (…) ».
s. Judith Tagliaferri s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 mai 2016 Le greffier du tribunal administratif 10