Tribunal administratif N° 35802 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2015 1re chambre Audience publique du 18 janvier 2016 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre deux décisions du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35802 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 février 2015 par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Environnement du 2 septembre 2014 en ce qu’elle porte, d’une part, refus d’autoriser la création d’une salle de réception sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section A de …, sous le numéro …, au lieu-dit « … » et en ce qu’elle contiendrait, d’autre part, le cas échéant, d’autres éléments décisionnels ayant trait à l’expiration de deux autorisations ministérielles antérieurement accordées aux demandeurs, ainsi que 2) de la décision implicite de rejet du même ministre résultant du silence gardé pendant plus de trois mois suite à l’introduction d’un recours gracieux en date du 17 octobre 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2015 par Maître Laurent NIEDNER pour compte des demandeurs ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2015 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision ministérielle déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laurent NIEDNER et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 décembre 2015.
Monsieur … adressa le 16 juillet 2014 au ministère du Développement durable et des Infrastructures, département de l’Environnement, une demande tendant à se voir 1accorder dans le cadre de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après « la loi du 19 janvier 2004 », une « autorisation ou tolérance de louer occasionnellement [leur] ancien appartement (15x15m) qui se situe au dessus de l’atelier du hangar pour des réceptions », et ce, sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section A de …, sous le numéro …, au lieu-
dit « … ».
Par décision du 2 septembre 2014, le ministre de l’Environnement, ci-après « le ministre », refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« En réponse à votre requête du 16 juillet 2014 par laquelle vous sollicitez ex-post l’autorisation pour la création d’une salle de réception en effectuant un changement d’affectation d’un bâtiment existant sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de … : section A de … sous le numéro …, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.
En effet, l’article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles dispose que seules des constructions servant à l’exploitation agricole ou similaire, ou à un but d’utilité publique sont autorisables en zone verte.
Or, votre projet ne s’inscrit pas dans l’une de ces catégories de construction et n’est ainsi pas autorisable au regard de la législation afférente. La location d’une salle est considérée comme activité commerciale, non autorisable en zone verte.
De plus, je tiens à vous informer que les deux autorisations du 30 septembre 1996 (référence 42618-G) et 7 juin 2010 (référence 70324) prévoient qu’elles expirent et devront être enlevées dès que l’exploitation de la pépinière aura cessé. Elles sont donc liées à l’exploitation de la pépinière.
En cas de vente du fonds de commerce de la pépinière, les deux maisons devront soit être vendues au nouveau exploitant, soit être enlevées.
Contre la présente décision, un recours peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif statuant comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour (…) » En date du 17 octobre 2014, les demandeurs introduisirent un recours gracieux contre la décision ministérielle prévisée, recours gracieux auquel le ministre ne donna pas suite.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après « les époux … », exploitant depuis 2011 ensemble leur pépinière sous la forme d’une société à responsabilité limitée dont ils sont les deux 2seuls associés, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 2 septembre 2014 ainsi que contre la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre suite à leur recours gracieux du 17 octobre 2014.
Conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi du 19 janvier 2004, un recours au fond est prévu à l’encontre des décisions du ministre ayant l’environnement en ses attributions, statuant en vertu de ladite loi, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
La partie étatique soulève toutefois l’irrecevabilité du recours en réformation sous analyse en ce qu’il est dirigé contre la deuxième partie du courrier ministériel du 2 septembre 2014.
Le tribunal est à cet égard amené à relever que les demandeurs indiquent en effet diriger leur recours contre deux volets décisionnels différents prétendument contenus dans la décision ministérielle litigieuse du 2 septembre 2014.
Ainsi, outre de viser concrètement le refus ministériel d’octroi d’une autorisation pour la création d’une salle de réception, la requête introductive d’instance précise que le recours serait également dirigé contre les « éléments décisionnels - s’il devait effectivement y en avoir - compris aux alinéas suivants de ce courrier :
« De plus, je tiens à vous informer que les deux autorisations du 30 septembre 1996 (référence 42618-G) et 7 juin 2010 (référence 70324) prévoient qu’elles expirent et devront être enlevées dès que l’exploitation de la pépinière aura cessé. Elles sont donc liées à l’exploitation de la pépinière.
En cas de vente du fonds de commerce de la pépinière, les deux maisons devront soit être vendues au nouveau exploitant, soit être enlevées ».» A cet égard, force est au tribunal de constater que l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après dénommée « la loi du 7 novembre 1996 », limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à 1 Trib. adm., 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 1 et les références y citées 3produire de lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.
Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision3 ; ces derniers échappent au recours contentieux pour ne faire que préparer la décision finale et constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celles-ci4.
Or, pour ce qui est plus particulièrement du deuxième volet contenu dans le courrier ministériel du 2 septembre 2014, il y a lieu de relever qu’il ne contient aucun élément décisionnel propre puisqu’il ne fait que rappeler aux demandeurs le contenu et la portée des autorisations ministérielles leur octroyées en date des 30 septembre 1996 et 7 juin 2010 et plus particulièrement, le sort à réserver aux constructions visées par ces deux autorisations ministérielles le jour où les demandeurs décideraient de cesser l’exploitation de leur pépinière, lesdites constructions ayant été autorisées en relation avec l’exercice par les demandeurs de leur activité de pépiniériste.
Le recours sous analyse doit dès lors être déclaré irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le deuxième volet ainsi circonscrit du courrier ministériel du 2 septembre 2014 et il n’y a dès lors pas non plus lieu d’analyser plus en avant les moyens et développements y afférents des demandeurs.
Le recours en réformation est toutefois recevable, pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, en ce qu’il vise le refus ministériel d’octroyer aux demandeurs une autorisation en vue de l’aménagement d’une salle de réception au premier étage de leur hangar.
A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs font valoir que les décisions attaquées violeraient le premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article 16 de la Constitution, l’article 544 du Code civil, les dispositions de la loi du 19 janvier 2004, en particulier ses articles 5 et 10, ainsi que les articles 2 et 3 du Code de commerce.
Ils expliquent plus particulièrement que le hangar situé sur leur domaine aurait été autorisé suivant décision du 23 mai 1996 par le ministre de l’Environnement de l’époque.
La salle de réception qui se trouverait à l’heure actuelle dans ce hangar au premier étage résulterait quant à elle de la transformation d’un appartement que les demandeurs 2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 32 et autres références y citées 3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n°52 et les autres références y citées 4 Cour adm. 22 juin 1998, n° 9646C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 51 et les références y citées 4auraient occupé au début de leur installation en tant que pépiniériste. Ils précisent à cet égard que l’aménagement de la salle de réception n’aurait donné lieu à aucune modification extérieure.
Ensuite, les demandeurs mettent en avant que le prescrit de l’article 10, alinéa 3, de la loi du 19 janvier 2004 n’aurait pas trait à des modifications intérieures. Comme aucune autre disposition de cette même loi n’imposerait une autorisation pour des transformations intérieures, les demandeurs estiment que les travaux tels que ceux entrepris par eux ne seraient pas visés par la loi du 19 janvier 2004.
Tout en insistant encore sur le fait que le droit de propriété serait protégé par l’article 16 de la Constitution, ainsi que par le premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les demandeurs donnent à considérer que les dispositions de la loi du 19 janvier 2004 seraient d’interprétation stricte et que par conséquent, les objectifs d’une politique gouvernementale ou locale ne seraient pas susceptibles d’imposer des restrictions que les termes de la loi ne comporteraient pas.
Les demandeurs sont en tout état de cause d’avis qu’en l’absence de texte interdisant la création de la salle de réception litigieuse, il leur aurait été loisible, conformément à l’article 544 du Code civil, d’aménager cette salle dans le hangar leur appartenant, et ce, sans autorisation ministérielle.
Ils estiment encore qu’il conviendrait, d’autre part, de tenir compte du fait que, conformément au Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les atteintes portées au droit de propriété devraient répondre, pour être acceptées, à une finalité d’intérêt général, puisque la protection de l’Environnement serait reconnue comme telle par la Cour européenne des droits de l’Homme. A cela s’ajouterait que les ingérences dans le droit de propriété ne seraient admises, selon la jurisprudence de la Cour, que si elles étaient proportionnées à l’objectif visé, ce qui ne serait manifestement pas le cas pour une interdiction absolue de donner en location ou d’aménager une salle de réception dans une construction existante, légalement construite en zone verte, sans par ailleurs qu’un risque pour l’environnement soit établi ou du moins raisonnablement allégué.
Finalement, les demandeurs se fondent sur l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour critiquer le fait que, d’un côté, ils se verraient interdire de donner en location leur propriété pour des manifestations privées, tandis que de l’autre côté l’administration ferait preuve de tolérance à l’égard de situations en tous points comparables, les demandeurs citant à cet égard à titre d’exemple la mise à disposition par certaines administrations communales de chalets se trouvant en zone verte contre paiement d’une taxe.
Par ailleurs, si le courrier ministériel litigieux du 2 septembre 2014 insistait certes sur le fait que la location de la salle de réception serait une activité commerciale, les 5demandeurs font valoir, outre que la loi du 19 janvier 2004 n’établirait aucune distinction à cet égard, que la location d’une salle de réception, qui serait constitutive d’une simple location d’immobilier, ne consisterait manifestement pas en une activité commerciale.
La partie étatique conclut quant à elle au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il est constant en cause qu’en date du 7 septembre 1995, Monsieur … a sollicité de la part du ministre de l’Environnement « une autorisation d’établissement en zone verte ». Dans sa demande, Monsieur … avait précisé qu’en sa qualité de jardinier-
paysagiste, il aurait l’intention d’établir sur le fonds qu’il venait d’acquérir en zone verte - étant relevé qu’il s’agit du même fonds que celui accueillant actuellement la salle de réception litigieuse -, sa propre pépinière, avec un hangar, une serre et sa propre maison d’habitation.
Par décision du ministre de l’Environnement du 23 mai 1996, Monsieur … s’est vu délivrer une autorisation pour la construction d’un hangar et d’une serre, ainsi qu’une autorisation de principe pour la construction d’une maison d’habitation.
Le 1er juillet 1996, Monsieur … a soumis au ministre de nouveaux plans en relation avec l’autorisation sollicitée en vue de la construction d’une maison d’habitation, en précisant qu’il souhaiterait « ériger cette maison directement contre le hangar qui m’est permis d’ériger sur le terrain ».
Le 30 septembre 1996, le ministre a accordé à Monsieur … l’autorisation définitive pour ériger dans l’enceinte de sa pépinière une maison d’habitation destinée à être posée contre le hangar, tout en précisant notamment que « Toute affectation des constructions à des fins autres qu’à celle demandées est interdite ».
Il ressort à cet égard plus particulièrement des explications fournies par les demandeurs eux-mêmes au ministre dans un courrier du 20 avril 2010, ainsi que des développements contenus dans le recours sous analyse que pour des raisons financières, les demandeurs ont finalement choisi d’habiter d’abord dans l’appartement situé au premier étage de leur hangar.
En date du 1er décembre 2009, le demandeur a introduit une nouvelle demande d’autorisation pour la construction cette fois-ci d’une maison d’habitation en bois sur le même fonds litigieux, autorisation qu’il s’est vu délivrer en date du 7 juin 2010.
Cette autorisation stipule entre autres que « l’habitation est indissociablement liée à l’exploitation de la pépinière. En aucun cas, elle ne peut être séparée de la pépinière, louée ou vendue séparément sous peine de nullité de la présente autorisation » et que « toute affectation de la construction à des fins autres que celles prévues par l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles est interdite. Elle ne peut servir qu’à des fins de logement à l’exclusion de toute activité commerciale liée à l’exploitation de la pépinière ou autres ».
6En date du 25 mai 2014, le demandeur a finalement introduit une demande auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures, département de l’Environnement, afin de se voir autoriser, sinon tolérer occasionnellement de louer son ancien appartement situé au-dessus de l’atelier du hangar pour des réceptions, demande à laquelle le ministre opposa son refus.
Il est constant en cause que la salle de réception pour laquelle une autorisation est actuellement sollicitée a été créée en aménageant un ancien appartement situé au premier étage du hangar dont la construction en zone verte avait été autorisée par le biais de la décision ministérielle prévisée du 23 mai 1996 dans le cadre de l’activité de pépiniériste des demandeurs et que ledit appartement servait uniquement à un usage privé des demandeurs en relation avec l’exploitation de leur pépinière.
Il est encore constant que le fonds accueillant la salle de réception litigieuse se trouve classé en zone verte au sens de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, réservée aux seules constructions « servant à l’exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d’utilité publique ».
La loi du 19 janvier 2004 poursuit, tel qu’indiqué en son article 1er, les objectifs suivants : « la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel, la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels, la protection de la flore et de la faune et de leurs biotopes, le maintien et l’amélioration des équilibres et de la diversité biologiques, la protection des ressources naturelles contre toutes les dégradations et l’amélioration des structures de l’environnement naturel ».
Pour assurer le respect de ses objectifs, le législateur, à travers l’article 5 de ladite loi, a limitativement énuméré les constructions pouvant être érigées dans la zone verte en prévoyant explicitement la possibilité d’y implanter les constructions « servant à l’exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d’utilité publique ».
D’après l’article 10, alinéa 3 de la loi du 19 janvier 2004 :
« Les constructions existantes dans la zone verte ne peuvent être modifiées extérieurement, agrandies ou reconstruites qu’avec l’autorisation du Ministre ».
Si, à première vue, le critère de l’affectation des constructions exprimé à l’alinéa 3 de l’article 5 de la loi de 2004 ne joue que pour la première mise en place de constructions et que dans le cadre de la reconstruction, de la modification ou de l’agrandissement de constructions existantes, seules des conditions d’aspect extérieur s’imposent, pareille façon de voir se heurterait de façon flagrante à la ratio legis du fait du caractère impraticable et inéquitable des dispositions sous revue, de nature à donner 7pleine ouverture à toutes sortes d’abus contraires tant à la volonté du législateur, qu’aux principes fondamentaux d’un Etat de droit 5.
Force est dès lors de retenir que la combinaison des dispositions des articles 5, alinéa 3, et 10, alinéa 3 de la loi du 19 janvier 2004 impose qu’également en matière de modifications extérieures, d’agrandissements ou de reconstructions de constructions existantes suivant l’article 10, alinéa 3, précité, l’affectation de l’immeuble concerné doit être conforme à l’article 5, alinéa 3, précité.
Dans ce même ordre d’idées, il y a lieu de relever que si l’affectation des éléments transformés, agrandis ou reconstruits au sens de l’article 10 de la loi du 19 janvier 2004 doit entrer dans le cadre des activités prévues à l’article 5 de la même loi, la construction existante elle-même doit correspondre à l’une des affectations prévues par la loi en zone verte6. Il en résulte qu’un changement d’affectation, encore que ne touchant qu’une partie de la construction existante, et même en présence de simples travaux de remise en état ou de transformations intérieures, qui a priori ne rentrent pas explicitement dans les cas des travaux visés à l’article 10 de la loi du 19 janvier 2004, est soumis à autorisation du ministre, au regard de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, et ne saurait être autorisé que pour autant que l’activité rentre dans les cas prévus au prédit article 5.
Force est de constater qu’en l’espèce, les demandeurs déclarent avoir transformé leur ancien appartement, auparavant exclusivement utilisé à des fins d’habitation dans le cadre de leur activité de pépiniériste et situé au premier étage de leur hangar, dont la construction en zone verte a été autorisée en relation avec l’exploitation de leur pépinière, en salle de réception. Or, cette activité, qui consiste à donner en location une salle pour y organiser des évènements festifs de tout genre, est sans aucun lien fonctionnel avec l’exploitation de la pépinière des demandeurs, étant à cet égard relevé que l’activité de pépiniériste, consistant principalement à élever des plantes, soit par semis, soit par bouture, soit par élevage de jeunes végétaux acquis auprès de tiers, est à considérer comme relevant d’une exploitation jardinière, maraîchère et sylvicole, explicitement admise en zone verte. Il faut en conclure qu’en l’espèce, il y a eu un changement d’affectation, de sorte que, au regard des principes dégagés ci-dessus, la création d’une salle de réception est soumise à autorisation du ministre, indépendamment de la question de savoir si les travaux de transformation litigieux sont ou non à considérer comme des travaux de modifications extérieures, d’agrandissements ou de reconstructions au sens de l’article 10 de la loi de 2004. Dès lors, le moyen des demandeurs tendant à argumenter qu’aucune autorisation ministérielle ne serait requise, puisque les travaux projetés ne correspondraient pas à ceux visés par le prédit article 10, laisse d’être fondé.
Etant donné que l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004 requiert expressément l’examen de l’affectation de la construction projetée, il convient d’analyser si, en l’espèce, après réalisation des travaux de transformation intérieurs sous examen, 5 Trib. adm. 23 septembre 2002, n° 12826 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Environnement, n° 63 et autres références y citées.
6 Trib. adm. 14 juillet 2004, n° 17364 du rôle, confirmé par arrêt du 6 janvier 2005, n°18557C du rôle, Pas.
adm. 2015, V° Environnement, n° 69, et autres références y citées 8l’affectation de l’ancien appartement, et donc d’une partie du hangar, situé en zone verte, rentre dans les prévisions de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004.
Tel que relevé ci-dessus, d’après l’article 5, alinéa 3 de la loi du 19 janvier 2004, seules sont autorisables en zone verte des constructions qui servent à « l’exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d’utilité publique ».
Or, en ce qui concerne la conformité du projet tel que soumis au ministre, ainsi qu’au tribunal à travers la requête introductive d’instance, le tribunal est amené à relever qu’il découle du libellé même de l’article 5, alinéa 3, sous analyse que dans la mesure où seules les constructions y visées sont autorisables en zone verte par le ministre compétent, le texte légal consacre le principe de non-constructibilité pour ladite zone et rejoint ainsi les objectifs de la loi consistant notamment dans la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel.
Le principe même de la non-constructibilité applicable pour la zone verte appelle comme corollaire une interprétation stricte des exceptions légalement prévues.
Or, tel que relevé ci-avant, la mise à disposition contre rémunération d’une salle de réception pour y organiser des fêtes privées ne rentre manifestement pas dans le cadre de l’une des activités limitativement énumérées à l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, étant encore relevé que ladite salle de réception ne saurait pas non plus être considérée comme servant à un but d’utilité publique.
Il s’ensuit que le ministre a a priori valablement pu refuser l’autorisation sollicitée sur base des articles 5 et 10 de la loi du 19 janvier 2004.
Les demandeurs invoquent toutefois encore un certain nombre de violations de leur droit de propriété tel qu’il serait consacré tant par le premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’article 16 de la Constitution, que par l’article 544 du Code civil, ainsi qu’une violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des articles 2 et 3 du Code de commerce.
Il y a à cet égard tout d’abord lieu de relever que pour ce qui est de la violation alléguée des articles 2 et 3 du Code de commerce, il s’agit d’un moyen simplement suggéré sans être soutenu effectivement et qui est dès lors à rejeter dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des demandeurs.
Pour ce qui est ensuite de la violation alléguée de leur droit de propriété, il y a lieu de relever que si aux termes de l’article 16 de la Constitution « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de la manière établis par la loi », et aux termes de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul 9ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes », les demandeurs restent cependant en défaut de préciser en quoi la décision déférée aboutirait à une expropriation dans leur chef, de sorte qu’il y a lieu de retenir que les demandeurs n’ont point été privés de leur droit de propriété par la décision que leur terrain se trouve en zone verte et que partant tout changement d’affectation d’une construction autorisée dans le cadre de l’exploitation de leur pépinière ne peut être réalisé que dans le cadre des dispositions de l’article 5, alinéa 3, de la loi du 19 janvier 2004, d’autant plus que les limitations de la loi du 19 janvier 2004 sont dictées par l’intérêt général et notamment par la préservation de la nature et des ressources naturelles.
Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de constater que les dispositions de la loi du 19 janvier 2004 « se bornent, d’une part, à déterminer les constructions qui sont permises en zone verte et, d’autre part, à prohiber les modifications extérieures, agrandissements ou reconstructions de constructions existantes en zone verte si elles ne répondent pas au critère de l’article 5 alinéa 3 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 ; partant loin de constituer une expropriation ou d’y équivaloir, les dispositions en question ne font qu’aménager voire alléger les interdictions qui résultent du classement d’un terrain en zone verte ; il s’ensuit que l’application des dispositions des articles 5, alinéa 3 et 10, alinéa 3 combinés de la loi modifiée du 19 janvier 2004 n’aboutit pas à une expropriation des propriétaires qu’elles visent et ne sont ainsi pas contraires à la Constitution »7.
Comme en l’espèce, le ministre refuse d’accorder à un propriétaire, à savoir aux époux …, un changement d’affectation d’un appartement jusque-là destiné à abriter l’exploitant d’une activité compatible avec la zone verte et situé dans un hangar autorisé en relation avec leur seule activité de pépiniériste, pour y créer une salle de réception sans lien fonctionnel quelconque avec l’exploitation d’une pépinière, il ne contrevient ni à l’article 16 de la Constitution, ni à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, prise en l’article 1er du protocole additionnel, ni à l’article 544 du Code civil, puisque, ce faisant, il ne prive pas le propriétaire de sa propriété, mais réglemente seulement l’usage du droit de propriété en y apportant certaines restrictions dans le respect des dispositions de la loi du 19 janvier 2004.
En ce qui concerne finalement la violation alléguée de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme et plus particulièrement du principe de non-discrimination, les demandeurs critiquent plus précisément la tolérance qui serait affichée à l’égard de certaines administrations communales qui mettraient à disposition, contre paiement d’une taxe, des chalets situés en zone verte pour y organiser des fêtes privées, tandis qu’eux-mêmes se verraient refuser l’autorisation de louer leur salle de réception aux mêmes fins.
7 Cour constitutionnelle, arrêt n° 46/08 du 26 septembre 2008, Mémorial A-154 du 15 octobre, p. 2196.
10Or, il y a à cet égard lieu de relever que le principe de l'égalité de traitement ne saurait être utilement invoqué pour aboutir à une interprétation non conforme à la loi8.
En effet, le traitement d’autres administrés d’une certaine manière, à le supposer donné, ne confère aucun droit si la pratique suivie par l’administration est contraire à la loi, étant donné que l’égalité devant la loi, impliquant l’égalité de traitement de tous les administrés, n’a lieu que dans les limites de la stricte légalité9.
Il suit des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens circonstanciés, que le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Les demandeurs sollicitent encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000.- euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administrations, demande qui est toutefois à rejeter au vu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié ;
partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par les demandeurs ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 janvier 2016 par :
Marc Sünnen, président, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
8 Cour adm. 19 avril 2012, n° 29598C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n°8, et autres références y citées.
9 Trib. adm. 17 avril 2013, n° 30144 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n° 8.
11 s. Arny Schmit s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18/1/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 12