Tribunal administratif Numéro 35280 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2014 Ire chambre Audience publique du 3 décembre 2014 Recours formé par la société anonyme …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35280 du rôle et déposée le 8 octobre 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Mario Di Stefano, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 4 septembre 2014 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2014;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jens Konrad, en remplacement de Maître Mario Di Stefano, et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives.
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Le 4 septembre 2014, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-
après dénommé le « directeur », adressa à la société anonyme …, ci-après dénommée « la société …», une demande de fournir des renseignements en vertu de la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, ci-après dénommée « la loi du 31 mars 2010 », et de la loi du 29 mars 2013 portant transposition de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE et portant 1. modification de la loi générale des impôts ; 2. abrogation de la loi modifiée du 15 mars 1979 concernant l’assistance administrative internationale en matière d’impôts directs, ci-après dénommée la « loi du 29 mars 2013 », ladite décision étant libellée comme suit :
« Suite à une demande d'échange de renseignements du 13 août 2014 de la part de l'autorité compétente française sur base de la convention fiscale entre le Luxembourg et la France du 1er avril 1958 ainsi que de la Directive 2011/16/UE, je vous prie par la présente de me fournir les renseignements suivants pour le 10 octobre 2014 au plus tard.
Identité de la personne concernée par la demande :
… Date de naissance : … Adresse connue :
… L'objectif de la demande d'échange de renseignements susmentionnée est le suivant.
Afin de clarifier la situation fiscale de leur contribuable, les autorités fiscales françaises nécessitent des renseignements. Monsieur … détiendrait des comptes courant d'associés hors de France dont il nie l'existence. La demande vise à établir le montant exact des impositions dues en France.
Par conséquent, je vous prie de bien vouloir me fournir les renseignements suivants pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 :
— Veuillez fournir copies des relevés du compte courant d'associé que détient Monsieur … dans la société …SA pour la période visée et veuillez fournir le soldes du compte aux 1er janvier 2008, 1er janvier 2009 et 1er janvier 2010 ;
— Veuillez indiquer toute rémunération (dividendes, commissions, jetons, …) que Monsieur … aurait perçu de la part de la société …SA pour la période visée et veuillez indiquer les références des comptes bancaires sur lesquels ces rémunérations ont été versées ainsi que le montant des impôts retenu ;
— Veuillez préciser la valeur nominale des parts détenues par Monsieur … dans la société …SA et veuillez fournir le détail de l'actionnariat de la société …au cours des années 2010-2012, y compris le détail des acquisitions et cessions de parts. Veuillez, au cas où Monsieur … était partie aux cessions et acquisitions, fournir copies des actes d'acquisitions et/ou de cessions ;
— Veuillez fournir les comptes annuels de l'année 2012 et de l'année 2013.
Après examen, la demande contient, à mon avis, toutes les informations nécessaires pour établir la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.
Au vu de ce qui précède, je vous prie de me fournir les renseignements demandés dont vous êtes détenteur dans le délai imparti. Si vous rencontrez des difficultés objectives pour déférer à la présente injonction, vous voudrez me le signaler dans les plus brefs délais.
La présente décision d'injonction est susceptible d'un recours en annulation devant le tribunal administratif qui est ouvert à toute personne visée par ladite décision ainsi qu'à tout tiers concerné. Le recours doit être introduit dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés et a un effet suspensif ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2014, la société …a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 4 septembre 2014.
Etant donné que l’article 9 de la loi du 29 mars 2013 dispose que les demandes d’informations introduites par application de l’échange d’informations prévu à l’article 6 de la même loi sont traitées suivant la procédure instaurée par les articles 2 à 6 de la loi du 31 mars 2010 et que l’article 6 (1) de la loi du 29 mars 2013 prévoit qu’un recours en annulation est prévu contre une décision portant injonction de fournir des renseignements, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée portant injonction de fournir des renseignements en matière fiscale. Il s’ensuit que le tribunal administratif doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le délégué du gouvernement conclut de prime abord à l’irrecevabilité du recours en annulation, au motif que le recours aurait été introduit en-dehors du délai légalement prévu.
L’Etat soutient à cet égard, récépissé de dépôt d’un envoi recommandé à l’appui, que la décision sous examen a été déposée auprès de l’entreprise des Postes et Télécommunications en date du 4 septembre 2014, de sorte qu’il y aurait lieu d’en conclure qu’elle aurait été notifiée le lendemain. Il s’ensuivrait que le recours, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2014, aurait été introduit en-dehors du délai légal d’un mois.
A l’audience des plaidoiries, le mandataire de la demanderesse a soutenu que celle-ci n’aurait reçu la décision sous examen qu’en date du 8 septembre 2014, tel que cela lui aurait été confirmé oralement par un agent de l’entreprise des Postes et Télécommunications, sans toutefois fournir de preuve à l’appui de ses dires. Pour le surplus, ledit mandataire a déclaré qu’il ne serait pas établi que sa mandante aurait reçu notification de la décision en question en date du 5 septembre 2014.
Il échet de constater que s’il est vrai que la décision sous examen, adressée à la demanderesse, a été déposée sous pli fermé en date du 4 septembre 2014, auprès de l’entreprise des Postes et Télécommunications pour être envoyée par un courrier recommandé, l’Etat n’a fourni aucun élément de preuve quant à la date à laquelle ladite décision a été réceptionnée par la demanderesse. Il s’ensuit qu’à défaut de preuve afférente, l’Etat n’est pas en mesure d’invalider les déclarations de la demanderesse suivant lesquelles elle n’a reçu le courrier en question qu’en date du 8 septembre 2014, aucune disposition légale ou règlementaire ne prévoyant des dispositions spécifiques, en la présente matière, quant à la date à laquelle une telle décision est censée avoir été réceptionnée par son destinataire. Par ailleurs, dans la mesure où le recours sous examen a été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2014, il échet d’en conclure qu’il a été introduit dans le délai d’un mois légalement prévu. Le moyen d’irrecevabilité du recours est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes prévues par la loi, est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse soutient que la décision sous examen ne contiendrait pas de motivation voire que la motivation serait « lacunaire et trop succincte », en ce qu’elle ne contiendrait aucun élément factuel de nature à soutenir l’affirmation suivant laquelle « Monsieur … détiendrait des comptes courant d’associés hors de France dont il nie l’existence », et en ce qu’elle ne reprendrait comme seul motif que des formules générales et abstraites, sans s’appuyer sur un quelconque élément factuel ou juridique concret et sans notamment tenter de préciser exactement le but fiscal de la demande soumise aux autorités luxembourgeoises, de sorte à ce qu’elle se trouverait dans l’impossibilité d’apprécier la pertinence de la demande adressée par les autorités fiscales françaises aux autorités compétentes luxembourgeoises. Ainsi, il ne serait pas établi que les informations sollicitées soient de nature à élucider une prétendue affaire fiscale en train d’être examinée en France.
Elle estime en outre qu’il ne serait pas à exclure que la demande des autorités fiscales françaises aurait pour seul et unique but d’aller à la pêche aux renseignements.
Par ailleurs, la demanderesse estime que l’Etat requérant n’aurait pas suffi à son obligation d’établir la pertinence vraisemblable des informations fiscales sollicitées par lui dans le cadre de la présente demande de renseignements, en soutenant pour le surplus que la décision sous examen n’indiquerait en aucune façon si la France, au jour de l’introduction de la demande d’échange de renseignements, a épuisé préalablement les voies internes en vue d’obtenir les renseignements ainsi sollicités. Enfin, la demanderesse s’oppose à ce que des informations n’ayant aucun lien avec Monsieur … soient transmis aux autorités françaises, telles les éventuelles cessions ou acquisitions d’actions émises par elle, pour le cas où Monsieur … ne serait pas partie à l’une de ces transactions.
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement rétorque que la condition relative à l’épuisement préalable des voies internes est remplie en l’espèce, étant donné que la demande de renseignements de l’autorité française du 13 août 2014 contient de manière claire et non équivoque la déclaration selon laquelle « Je confirme avoir épuisé toutes les sources habituelles de renseignements que j’aurais pu utiliser dans les circonstances pour obtenir les renseignements requis, sans courir le risque de compromettre le résultat de l’enquête ». Cette déclaration faite par un fonctionnaire assermenté et faisant pour cette raison foi jusqu’à preuve du contraire est par ailleurs corroborée par les explications précises de l’autorité compétente quant à la description des résultats concrets du contrôle en cours. En outre, l’Etat requérant n’est pas tenu de préciser les démarches déjà accomplies en droit interne, de sorte qu’en l’espèce, l’autorité française n’a pas été obligée d’expliquer davantage les détails des mesures administratives déployées pour obtenir les renseignements litigieux.1 S’agissant des contestations de la demanderesse en relation avec la motivation de la décision et de la demande des autorités françaises, celles-ci se confondent avec celles tenant à la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, de sorte que le tribunal procédera à cet examen ensemble avec le second moyen présenté par la demanderesse, étant entendu que la demanderesse estime que la décision du directeur constituerait une pêche aux informations interdite par les dispositions légales applicables.
Aux termes de l’article 22, paragraphe 1 de la Convention conclue entre le Grand-
Duché de Luxembourg et la France tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris, le 1er avril 1958, modifiée par un Avenant signé à Paris le 8 septembre 1970, par un Avenant signé à Luxembourg, le 24 novembre 2006 et par un Avenant signé à Paris le 3 juin 2009 et l’échange de lettres y relatif, ci-après dénommée « la Convention » :
« 1. Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est 1 Cour adm. 12 juillet 2012, n° 30644C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu pas contraire à la Convention. L’échange de renseignements n’est pas restreint par l’article 1 ».
Il échet de relever qu’en ce qui concerne le rôle du tribunal en la matière, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, d’une part, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, de seconde part, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-
fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, de troisième part, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ». En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente espèce, être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité des faits donnant lieu au contrôle à la base de la demande de renseignements est positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat requérant.2 Ce contrôle doit se faire dans l’Etat requis, alors qu’il appartient de vérifier si les conditions pour un échange de renseignements sont bien remplies, et notamment si l’Etat requérant a suffi à son obligation d’établir la pertinence vraisemblable de l’information sollicitée dans le cadre de sa demande de renseignements.
Il suit de ces considérations que le rôle du juge administratif, en ce qui concerne le contrôle de la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, est limité, en la présente matière, d’une part, à la vérification de la cohérence de l’ensemble des explications exposées par l’autorité requérante à la base de sa demande, sans que celle-ci n’ait à prouver la matérialité des faits invoqués, et, d’autre part, au contrôle de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés par rapport au cas d’imposition précis et spécifique, c’est-à-dire s’il existe un lien probable entre le cas d’imposition mis en avant par l’autorité requérante et les informations sollicitées. En conséquence, tel que relevé ci-avant, il n’appartient pas au juge luxembourgeois de procéder, en la présente matière, à un contrôle de la matérialité des faits invoqués par l’autorité requérante.
Il s’ensuit que les intéressés ne sauraient être admis à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumis par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, cette faculté imposerait en effet au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce débat doit être porté par le demandeur devant les autorités compétentes de l’Etat requérant.
La limitation du rôle du juge administratif en la présente matière, tel que défini ci-
avant, est encore en phase avec l’interprétation donnée par le Conseil d’Etat dans son avis complémentaire du 2 février 2010, n° 6072-6, par rapport à l’article 6 de la loi du 31 mars 2010. En effet, le Conseil d’Etat retient : « Le rôle des administrations fiscales se cantonne à examiner si la demande d’échange de renseignements émanant de l’autorité compétente de l’Etat requérant satisfait aux conditions légales de l’octroi de l’échange de renseignements tel que prévu par les conventions en cause. La décision portant injonction de fournir les renseignements par l’Etat requérant, ne constitue donc pas une décision de fond, ce qui exclut encore l’application de la procédure administrative non contentieuse. Il en va de même a 2 Voir trib. adm. 6 février 2012, n° 29592 du rôle, publié sous www.ja.etat.lu fortiori du recours juridictionnel contre une telle décision, qui ne consiste que dans un recours en annulation. Le juge administratif ne dispose en effet d’aucun pouvoir d’appréciation du bien-fondé des motifs à la base de la demande de l’autorité étrangère. » Les dispositions figurant à l’article 22, paragraphe 1 de la Convention ont fait l’objet d’un échange de lettres des ministres compétents des deux pays signataires, lesquelles lettres « constituent ensemble un commun accord entre les autorités compétentes du Grand-Duché de Luxembourg et de la France ». Ledit échange précise les conditions auxquelles une demande de renseignements doit suffire dans les termes suivants : « L’autorité compétente requérante fournira les informations suivantes à l’autorité compétente de l’Etat requis :
(a) l’identité de la personne faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête ;
(b) les indications concernant les renseignements recherchés, notamment leur nature et la forme sous laquelle l’Etat requérant souhaite recevoir les renseignements de l’Etat requis ;
(c) le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés.
Elle pourra aussi, dans la mesure où ils sont connus, communiquer les noms et adresses de toute personne dont il y a lieu de penser qu’elle est en possession des renseignements demandés et, plus généralement, tout élément de nature à faciliter la recherche d’informations par l’Etat requis.
L’autorité compétente de l’Etat requérant formulera ses demandes de renseignements après avoir utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne ».
Il s’ensuit qu’une demande d’échange de renseignements émanant des autorités compétentes françaises est a priori conforme au commun accord des parties contractantes si elle décrit l’identité de la personne faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête, les indications concernant les renseignements recherchés, notamment leur nature et la forme sous laquelle l’Etat requérant souhaite recevoir les renseignements de l’Etat requis et le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés.
En l’espèce, seule la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités est litigieuse, de sorte que l’analyse du tribunal se limitera à l’interprétation de cette notion.
A cet égard, force est au tribunal de constater de prime abord que les obligations des autorités luxembourgeoises dans le cadre du système d’échange d’informations sur demande tel qu’il est organisé par la directive 2011/16/UE sont fixées à l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 qui a la teneur suivante : « A la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives. ».
Afin de circonscrire le contenu du contexte factuel dans le cadre duquel sont sollicitées sur base de la loi du 29 mars 2013 précitée les informations de la part des autorités de l’Etat requis, et qui doit être communiqué par l’autorité requérante à l’autorité requise, le tribunal est amené à se référer par ailleurs au considérant n° 9 du préambule de la directive 2011/16/UE qui définit comme suit la norme de la pertinence vraisemblable : « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu'un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la «pertinence vraisemblable» vise à permettre l'échange d'informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d'effectuer des «recherches tous azimuts» ou de demander des informations dont il est peu probable qu'elles concernent la situation fiscale d'un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l'article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d'informations effectif. »3 En outre, le tribunal est amené à constater qu’à travers la modification de l’article 22 de la Convention opérée par l’Avenant signé le 3 juin 2009 et l’échange de lettres y relatif, le Luxembourg a entendu convenir avec la France un « échange de renseignements sur demande selon le standard OCDE, tel qu’il est consacré par l’article 26 paragraphe 5 du Modèle de Convention de l’OCDE en sa version de 2005 », de sorte que, tel que relevé ci-avant, l’interprétation de l’article 22 de la Convention peut utilement s’appuyer sur le commentaire du Modèle de convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune, ci-après dénommé le « Modèle de convention », relatif à l’article 26 dans sa teneur de l’année 2005, en tenant compte des modifications ultérieures sans qu’il ne soit pour autant permis de s’appuyer sur des commentaires qui auraient pour effet de modifier l’étendue ou les modalités des engagements mutuels des deux Etats signataires tels que convenus antérieurement à travers la Convention ratifiée par eux, ainsi que sur le manuel de l’OCDE sur la mise en œuvre des dispositions relatives aux échanges de renseignements en matière fiscale du 23 janvier 2006 dans la mesure de leur compatibilité avec le contenu de l’échange de lettres susvisé.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier si l’évolution du standard international par rapport à cette notion, tel qu’entérinée par la mise à jour de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE et du commentaire s’y rapportant du 17 juillet 2012, respecte les confins des engagements mutuels correspondant à la volonté commune des Etats signataires.4 A cet égard, le tribunal est amené à conclure que cette analyse doit nécessairement se faire sur base du fait que les échanges de lettres afférentes à la Convention, entérinée par le législateur à travers la loi du 31 mars 2010, indiquent que « La référence aux renseignements « vraisemblablement pertinents » a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible (…) ».
S’il est exact que les explications contenues aux paragraphes 5, 5.1, 5.2 et 5.3 de la mise à jour de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE et du commentaire s’y rapportant du 17 juillet 2012 par rapport aux renseignements qui sont susceptibles d’être échangés ainsi que les exemples cités au paragraphe 8 de la mise à jour précité, élargissent qualitativement la notion de « pertinence vraisemblable », ces éclaircissements ne sont néanmoins pas contraires à la volonté consignée par le Luxembourg et la France en 2009. En effet, en admettant que la référence aux renseignements « vraisemblablement pertinents » a 3 voir trib. adm. 20 octobre 2014, n° 34750 du rôle, publié sous www.jurad.etat.lu 4 voir Cour adm. 2 mai 2013, n° 32185C du rôle, publié sous www.jurad.etat.lu pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible, les parties contractantes ont eu l’intention de ne pas prévoir de limites quant aux informations échangeables dans la mesure où ils sont susceptibles d’éclaircir le cas d’imposition visé, la seule limite étant la « pêche aux renseignements ».
Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que le seul critère à prendre en compte est celui de savoir si les renseignements sont susceptibles de se révéler pertinents dans le cadre du solutionnement du cas d’imposition dans l’Etat requérant.
La demande d’échange de renseignements est à qualifier de « pêche aux renseignements » que si elle porte sur des informations qui sont manifestement étrangères au cas d’imposition visé, en ce sens qu’aucun lien juridique ou factuel n’existe entre le cas d’imposition visé, respectivement le contribuable visé, et l’information sollicitée, de sorte qu’ « il est peu probable [que les renseignements demandés] aient un lien avec une enquête ou un contrôle en cours. » En l’espèce, il échet de constater que la demande française expose qu’un contrôle fiscal est en cours en France à l’encontre de Monsieur … … en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune et qu’il existe un soupçon de fraude. Ladite demande précise encore que Monsieur … « est impliqué dans de très nombreuses entreprises et sociétés en France et à l’étranger », que la demanderesse « est notamment propriétaire de domaines viticoles dans le sud de la France, qu’elle loue à des sociétés dirigées par M. … » et que Monsieur … « n’a pas coopéré avec les autorités chargées de l’enquête », il étant toutefois présumé « avoir dissimulé des faits, transactions, revenus, produits et autres éléments » voire d’être « impliqué dans une fraude fiscale », dans la mesure où il aurait « dissimulé son patrimoine détenu hors de France ». La demande française indique encore que « M. … … est président de la société [à savoir la demanderesse] ». Enfin, sous la rubrique « description générale de l’affaire et le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés », la demande française précise que : « La situation fiscale de M. … … est actuellement examinée par l’administration fiscale française. M. … détient des comptes courant d’associés hors de France dont il nie l’existence qui a été révélée notamment par une perquisition fiscale. Malgré l’existence de comptes détenus à l’étranger, il refuse de présenter les relevés de ces comptes courant d’associés dans des sociétés ayant leur siège social hors de France. Il ne déclare pas le patrimoine qu’il détient à l’étranger. La présente demande vise à obtenir les renseignements nécessaires à l’administration fiscale pour établir le montant des impositions dus en France ».
Il se dégage partant de ce qui précède que la demande déférée est suffisamment précise tant quant à la personne visée par la procédure de l’imposition en France que quant à ses liens avec la demanderesse pour satisfaire à la condition que les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivi dans l’Etat requérant.
Toutefois, en ce qui concerne la demande visant à « fournir le détail de l’actionnariat de la société …au cours des années 2010-2012, y compris le détail des acquisitions et cessions de parts » et à « fournir copies des actes d’acquisitions et/ou de cessions », force est au tribunal de constater que l’objet des demandes ainsi formulées dépasse celui décrit comme faisant l’objet de la procédure d’imposition de Monsieur … en France, en ce que les demandes ainsi libellées sont susceptibles de viser des personnes autres que celle visée par la procédure d’imposition française, à savoir Monsieur …, de sorte qu’il y a lieu de limiter la demande de renseignements en ce sens. Partant, dans le cadre de son pouvoir limité en la matière du contentieux de l’annulation, il y a lieu d’annuler la décision déférée en ce qu’elle enjoint à la demanderesse de « fournir le détail de l’actionnariat de la société …au cours des années 2010-2012, y compris le détail des acquisitions et cessions de parts » et de « fournir copies des actes d’acquisitions et/ou de cessions ».
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de partager les frais et d’imputer la moitié à chacune des parties.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare partiellement justifié, partant annule la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 4 septembre 2014, en ce qu’elle enjoint à la société anonyme …de « fournir le détail de l’actionnariat de la société …au cours des années 2010-2012, y compris le détail des acquisitions et cessions de parts » et de « fournir copies des actes d’acquisitions et/ou de cessions » et rejette le recours pour le surplus ;
condamne chacune des parties à la moitié des frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Laurent Lucas, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique du 3 décembre 2014 par le premier vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4/12/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 9