Tribunal administratif Numéro 32247 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mars 2013 3e chambre Audience publique du 8 janvier 2014 Recours formé par Monsieur …et consorts, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32247 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2013 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Cigdem Kutlar, avocat à la Cour, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) et de son épouse, Madame …, née le … , accompagnés de leurs enfants mineurs … , tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 25 février 2013 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem Kutlar, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 octobre 2013.
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Le 17 octobre 2012, Monsieur …et son épouse, …, accompagnés de leurs enfants mineurs …, ci-après désignés « les consorts …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts …auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du même jour.
Monsieur …fut entendu en date du 23 novembre 2012, et Madame … fut entendue en dates des 10 décembre 2012 et 10 janvier 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
A cette occasion, Monsieur …et Madame …, originaires du Kosovo et appartenant à l’ethnie serbe, firent état en substance de problèmes aussi bien avec des membres de la population serbe, qu’avec des membres de la population albanaise.
En janvier 2000, le père de Madame … aurait été étranglé par une personne inconnue. Le père aurait été mobilisé pendant la guerre, mais son rôle se serait limité à la distribution de nourriture. Elle soupçonne un dénommé « … » d’avoir tué son père. En 2002, Madame …-… et son frère auraient été poursuivis par deux personnes, dont le dénommé …. A cette occasion une de leurs vaches aurait été volée. En 2005, elle aurait vu le dénommé … muni d’un fusille près de leur maison, accompagné de deux autres personnes, et ils auraient volé leurs trois vaches. Ces vaches auraient été leur source de revenus puisque sa famille vendait des produits laitiers. Suite à ces menaces répétées, son grand-père serait décédé. Madame … se serait mariée et toute sa famille aurait quitté son village natal. Elle décrit le dénommé … comme ayant une peau foncée et une dent en or et déclare qu’il boiterait. La famille … n’aurait jamais déclaré les faits à la police.
En février 2012, un homme correspondant à la même description aurait menacé Monsieur …au marché serbe sur lequel il aurait vendu ses produits. Le dénommé …, à ce moment encore inconnu à Monsieur …, l’aurait tiré par la manche et l’aurait menacé et poussé en lui disant « Est-
ce que tu sais qui je suis ? Qui t’as autorisé de vendre ici, ta place est en Serbie ! Je vais te tuer, tes enfants aussi et je violerais ta femme ! ». Monsieur …déclara ne pas avoir porté plainte pour cet incident et s’être tu, même à l’encontre de sa femme, en espérant que cet individu ne reviendrait plus le menacer et qu’il s’agissait simplement d’une personne dérangée. Néanmoins en mai 2012, au même marché, il aurait été menacé une deuxième fois par ce même individu à l’aide d’une bombe. Le dénommé … lui aurait indiqué « Tu n’as rien compris, pourquoi n’as-tu pas déménagé encore ?! Je ne vais pas te pardonner. » A la question de Monsieur …pourquoi il devrait être pardonné, il aurait répondu : « Tu me dois ma tête ! Pour moi cela ne pose pas un problème de te liquider tout de suite, mais je préfère de te capturer vivant. Ma famille a aussi été torturée avec un couteau. Salut ta femme et tes enfants de ma part ! Un jour, il vont m’appartenir. J’aurais un plaisir de violer les femmes serbes et les enfants serbes. » Monsieur …aurait essayé de dénoncer ces faits à la police, or celle-ci aurait dans un premier temps prétendu ne pas comprendre la langue serbe et elle l’aurait ensuite insulté de cochon en albanais. La police l’aurait finalement écouté, mais ne l’aurait pas cru en indiquant : « Vous les Serbes vous inventez des choses ! Où est cette personne, maintenant ? Vous n’êtes jamais content avec les Albanais.
La prochaine fois, je vais t’arrêter ! Arrête de raconter des histoires. » et en refermant le dossier les policiers lui auraient lancé « Va te plaindre à Belgrade ». Cette fois-ci Monsieur …aurait raconté tout à sa femme, qui d’après la description de son mari aurait confirmé qu’il devait s’agir du dénommé … qui aurait tué son père et l’aurait menacé lors de son enfance. Les époux …indiquèrent néanmoins ignorer les raisons des menaces.
Monsieur …ne se serait plus rendu au marché par la suite et il dénonça que ces menaces les auraient privé de leur liberté de circulation.
En août 2012, les enfants …auraient été malades, de sorte que Madame …- … aurait été obligée de se rendre à … avec eux pour leur faire faire une prise de sang. En sortant d’un magasin, le dénommé … lui aurait bloqué le chemin avec une Mercedes rouge, lui aurait appuyé un couteau sous la gorge et l’aurait tiré par les cheveux en la menaçant « Cette fois-ci, tu ne vas pas t’échapper. Je vais tuer ta mère, ton frère et tes enfants ! ». Il aurait essayé de kidnapper son fils … en le tirant de sa poussette. Une personne âgée albanaise serait sortie de son magasin afin de lui venir en aide et elle aurait réussi à s’enfuir. Aussi bien l’homme venu à son secours que l’infirmière auprès de laquelle elle aurait récupéré les prises de sang lui auraient conseillé de ne pas porter plainte contre le dénommé …, s’agissant d’un ancien soldat de l’UCK, qui serait connu pour être dangereux et afin d’éviter qu’il ne se venge, de sorte qu’elle n’aurait jamais porté plainte contre cette agression.
Monsieur …ne sachant plus quoi faire, aurait suivi les conseils d’un ami albanais dénommé … et se serait inscrit en septembre 2012 au parti politique albanais actuellement au pouvoir, la Lidhja Demokratike e Kosovës, ci-après désigné « LDK », dirigé par le Président Hashim Thaçi, en espérant recevoir une protection de leur part contre le dénommé …. Le président aurait essayé de lui donner de l’argent et de lui construire une maison, mais n’aurait pas pu lui promettre de le protéger. Il aurait voulu cependant publier un article de presse le concernant puisqu’il serait le premier serbe à s’inscrire au parti LDK. Monsieur …précisa lors de son audition qu’il ne serait pas encore membre du parti LDK puisque le processus d’adhésion durerait trois semaines.
Suite à cette inscription, les consorts …auraient été rejetés par la communauté serbe qui les aurait qualifiés de traitres et leur fille aurait été refusée à la crèche pour cette raison en octobre 2012.
Un ancien policier aurait également prévenu Monsieur …qu’il ne pourrait désormais plus fuir en Serbie car il risquerait d’y être emprisonné pour avoir adhéré au parti LDK.
Monsieur …se serait par ailleurs vu confisquer son permis de conduire serbe sans pour autant en recevoir l’équivalent kosovare, de sorte qu’il n’aurait plus pu circuler au Kosovo à partir du 1er septembre 2012.
Finalement, il relata que le 12 janvier 2011, il aurait dû se rendre à Vranje afin de permettre à sa femme d’y accoucher et que les policiers à la frontière de Bela Zemlja les auraient retenu pendant une heure et auraient fouillé leur voiture à la recherche d’armes et que leur fils aurait failli perdre la vie pendant la naissance et serait resté dans une couveuse pendant un mois.
Madame …-… confirma les dires de son mari. Elle répéta qu’ils seraient désormais persécutés des deux côtés : « Du côté serbe et du côté albanais. Les Serbes à cause de l’adhésion au parti politique et le côté albanais à cause d’…. » Par décision du 25 février 2013, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le 1er mars 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts …de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée et leur ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre retint que les faits dont les consorts …font état ne pourraient, à eux seuls, établir dans leur chef une crainte fondée d’être persécutés dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève », ainsi que des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006. La situation générale des membres de la minorité ethnique serbe au Kosovo serait certes difficile, mais elle ne serait cependant pas telle que tout membre serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève.
Quant aux incidents arrivés à Madame …-… en 2000, 2002 et 2005, à savoir l’assassinat de son père, les menaces et le vol des vaches, le ministre retint que ceux-ci serait trop éloignés dans le temps pour être pris en compte dans l’examen de leur demande de protection internationale datant d’octobre 2012.
En ce qui concerne les menaces de la part du dénommé …, ces faits seraient davantage à qualifier de délits de droits commun, punissables en vertu de la législation kosovare, que d’actes de persécution. Le ministre constata que les agressions invoquées par les demandeurs émaneraient d’une personne privée albanaise qui ne saurait être considérée comme un agent de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006. Il déduisit des affirmations faites par les consorts …lors de leurs entretiens respectifs qu’ils n’auraient contacté la police kosovare qu’à une seule reprise et que cette dernière aurait constaté qu’ils n’auraient pas de preuves corroborant leurs affirmations et que malgré les problèmes répétés avec le dénommée … sur plusieurs années, ils n’auraient jamais porté plainte contre lui.
A cet égard, le ministre constata que la police serait bien présente dans leur municipalité et, étant ethniquement mixte, elle serait en mesure de leur procurer la protection nécessaire. De plus, le ministre estima que des structures seraient en place au Kosovo pour porter plainte contre des agents de police ayant abusé de leur pouvoir auprès d’une autre autorité supérieure, tel que l’Inspectorat de Police du Kosovo.
L’autorité rappela ensuite que la protection assurée par le pays d’origine n’impliquerait pas une sécurité physique absolue de ses habitants contre la commission d’actes de violences.
Une baisse globale des infractions de droit commun pourrait d’ailleurs être observée au Kosovo.
Il nota que toutes les ethnies pourraient circuler librement au Kosovo et que plus particulièrement la libre circulation des Serbes au Kosovo, et plus spécifiquement à …, ne serait pas altérée sur base de motifs ethniques et serait garantie pour toutes les ethnies et minorités. Il ajouta que la région de … serait connue comme une région paisible.
En ce qui concerne l’échange de permis de conduire serbes et des plaques d’immatriculation serbes contre des plaques kosovares, le ministre retint qu’il s’agirait d’une mesure qui toucherait toute la population serbe au Kosovo et ne saurait donc pas être considérée comme un acte de persécution, mais serait une mesure administrative tout à fait légale.
En ce qui concerne les problèmes avec la communauté serbe, notamment le refus par le directeur d’accepter leur fille à la crèche et le fait d’être qualifiés de traitres par la communauté serbe de leur village, le ministre considéra que ces faits émanant de la population serbe ne pourraient être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Le ministre constata que les faits invoqués par les demandeurs émaneraient de personnes privées serbes qui ne sauraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la prédite Convention de Genève.
Le ministre conclut en dernier lieu que les consorts …ne feraient pas état de motifs sérieux et avérés de croire qu’ils risquent de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2013, les consorts …ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 25 février 2013 portant refus de leur demande de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les consorts …, de nationalité kosovare, appartenant à la minorité ethnique serbe et de confession orthodoxe, déclarent que depuis la guerre, la population serbe de la commune aurait diminué à un point qu’il ne resterait plus que six familles serbes dans leur village.
Quant aux faits, les demandeurs reprennent en substance les mêmes faits que ceux déjà exposés lors de leurs auditions.
En droit, les demandeurs soulignent que le ministre n’aurait pas remis en cause la crédibilité de leur récit. En se prévalant de l’article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006, ils concluent que les faits avancés par eux devraient être reconnus comme établis.
Les demandeurs font encore valoir qu’il incomberait au ministre d’apprécier leur situation individuelle en tenant compte plus particulièrement de leur passé, conformément à l’article 26 (3) a) à c) de la loi du 5 mai 2006. Le ministre aurait ainsi à tort considéré que les incidents qui dateraient de 2000 à 2005 seraient trop éloignés dans le temps puisque les événements traumatisants dont la demanderesse aurait été victime relèveraient d’un dénominateur commun et seraient à considérer dans leur globalité. Le ministre empêcherait ainsi la bonne applicabilité des articles 26 (4) et 31 (1) b) de la loi du 5 mai 2006 et se priverait d’apprécier le volet subjectif de la crainte de persécution des demandeurs.
Les demandeurs font encore valoir qu’il appartiendrait au ministre d’apprécier leur situation individuelle dans le contexte général de leur pays d’origine dans lequel elle s’inscrirait.
Tous les événements décrits par eux seraient à mettre en relation avec la situation sécuritaire des membres de la minorité ethnique serbe du Kosovo. Ensuite, ils estiment que le ministre aurait apprécié leurs faits personnels par rapport à des faits concernant leur pays d’origine qui ne seraient pas pertinents ou qui ne correspondraient pas à la réalité.
Quant à la situation sécuritaire et la liberté de mouvement de la minorité serbe au Kosovo, les demandeurs se prévalent d’un rapport de l’OSCE intitulé « Community Profile 2010 », d’un rapport de l’OSCE publié en décembre 2011 intitulé « Municipal Responses to Security Incidents Affecting Communities in Kosovo and the role of the Municipal Community Safety Councils », d’un rapport du 22 janvier 2012 de l’organisation « Human Rights Watch » intitulé « World Report 2012 – Kosovo », d’un rapport du 30 août 2011 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, d’un rapport du 24 janvier 2011 de l’organisation « Human Rights Watch » intitulé « World Report 2011 – Kosovo », d’un rapport du 22 août 2012 de l’organisation « Freedom House » intitulé « Freedom in the World 2012 – Kosovo », d’un rapport du 24 mai 2012 du « United States Department of State » intitulé « 2011 – Human Rights Report : Kosovo », d’un rapport du 3 août 2012 du Conseil de Sécurité des Nations Unies intitulé « Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo », d’un rapport du 10 septembre 2012 de l’organisation « International Crisis Group », intitulé « Setting Kosovo Free :
Remaining Challenges » et d’un rapport du 12 août 2011 du Secrétaire général de la MINUK pour conclure que les membres de la minorité serbe au Kosovo seraient confrontés à une situation sécuritaire extrêmement difficile et préoccupante affectant notamment leur liberté de mouvement et que ce seraient ces éléments qui auraient dû être pris en compte au titre des faits pertinents concernant leur pays d’origine dans le cadre de l’examen individuel de leur demande. Ils rappellent encore que le 26 mars 2012, le Conseil d’Etat français aurait annulé la décision des autorités françaises ayant inscrit le Kosovo sur la liste française des pays d’origine sûrs.
D’après les demandeurs, il ne s’agirait pas seulement de juger des faits d’ores et déjà vécus mais également des faits dont la réalisation serait redoutée.
Quant à l’évaluation individuelle de leur demande, les demandeurs font valoir qu’ils rempliraient les conditions pour se voir reconnaître le statut de réfugié politique en soutenant qu’en raison de leur race, leur nationalité, leur appartenance à la minorité serbe du Kosovo et leurs convictions politiques, ils auraient fait l’objet d’actes de persécution. En invoquant les articles 32 (1) a), c), d) et e) et 32 (2) de la loi du 5 mai 2006, ils font état de craintes de persécutions du fait de la participation du père de la demanderesse à la guerre, de leur appartenance au groupe social des Serbes du Kosovo et l’appartenance du demandeur à un parti politique albanais. Dans ce contexte, les demandeurs citent l’ouvrage « Droit d’asile au Grand-
Duché de Luxembourg et en Europe » et notamment le Professeur François Julien-Laferriere qui explique que la notion de groupe social devrait englober entre autre un ensemble de personnes qui partagent des caractéristiques innées ou immuables liées notamment à l’origine familiale et à l’histoire.
Quant à la gravité des faits, les demandeurs rappellent que le père de la demanderesse aurait déjà été menacé par le dénommé … et ce dernier l’aurait probablement assassiné. Ils soulignent qu’il les aurait également menacés à plusieurs reprises, notamment le demandeur de mort à deux reprises dont une fois avec une bombe à la main et qu’il aurait mis un couteau sous la gorge de la demanderesse et tenté de kidnapper leur fils …. Le dénommé … ne se serait pas limité à des insultes et menaces mais il aurait bien tenté de réaliser ses menaces. Au vu des articles 31 et 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs considèrent que les menaces d’atteinte à leur vie, à leur intégrité physique et de viol seraient de par leur nature graves. La gravité des actes serait également accentuée par la répétition des faits, caractérisée par les menaces de mort, de viol, d’agressions physiques et de provocations récurrentes de la part du dénommé …, comme cela aurait été le cas ces treize dernières années et des menaces de la part de Serbes à cause de l’appartenance du demandeur à un parti politique albanais. Les demandeurs font plaider que les actes qu’ils auraient subis seraient à considérer comme des violences morales ayant pour conséquence d’atteindre leur équilibre psychologique et dont l’accumulation serait suffisamment grave pour constituer une violation grave de leurs droits fondamentaux.
Les demandeurs ajoutent qu’ils auraient perdu confiance dans la police kosovare à cause du contrôle à la frontière serbe lorsque la demanderesse devait accoucher et de l’événement lors duquel le demandeur aurait voulu porter plainte au marché suite à l’agression avec la bombe du dénommé … mais se serait heurté au refus des policiers de prendre en compte ses déclarations.
Les demandeurs soutiennent encore qu’ils n’auraient pas accès à une protection effective de la part des autorités de leur pays d’origine, les démarches poursuivies par la police kosovare pour les protéger ne leur paraissant pas suffisantes. Ils concluent que l’Etat kosovar ou les partis ou organisations internationales qui le contrôlent ne pourraient pas ou ne voudraient pas leur accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006. Ils affirment en outre que le fonctionnement du système judiciaire au Kosovo serait calamiteux et font référence à cet égard à un rapport du 7 juillet 2011 de l’organisation « Freedom House », le rapport annuel sur le Kosovo de l’organisation « Amnesty International » du 13 mai 2011, un rapport de l’organisation « Human Rights Watch » du 24 janvier 2011, un rapport du « United States Department of State » du 8 avril 2011, un rapport du 3 août 2012 du Secrétaire général des Nations Unies sur « la mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo », des déclarations du secrétaire général de la MINUK, un rapport du 24 mai 2012 du « United States Department of State » et d’un rapport de l’organisation « Freedom House » du 22 août 2012. Ils en déduisent qu’il ne saurait être retenu qu’une protection puisse généralement leur être accordée puisqu’il serait impossible, au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de retenir que le Kosovo prend des mesures raisonnables pour empêcher des persécutions dans la mesure où le pays ne disposerait pas d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution. Comme il serait impossible de retenir qu’une protection est généralement accordée au Kosovo, il serait également démontré qu’aucune protection au sens de l’article 28 c) de la loi précitée ne leur serait accordée.
Les demandeurs insistent ensuite sur le caractère actuel et fondé des craintes de persécution dont ils font état et ils invoquent la présomption inscrite à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, tout en soulignant que la preuve de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas appartiendrait au ministre. A cet égard, ils font plus particulièrement état des menaces de mort visant l’ensemble de leur famille, la menace de viol contre la demanderesse et la tentative de rapt de leur fils dont ils craignent qu’elles se réaliseront en cas de retour au Kosovo.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut ainsi au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Force est tout d’abord au tribunal de constater que la partie étatique ne conteste pas la crédibilité du récit des demandeurs, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les faits invoqués par eux sont avérés.
Quant aux menaces de la part du dénommé …, le ministre a à tort refusé de prendre en considération les événements subis par Madame …-… en 2000, 2002 et 2005. Il est vrai, tel que relevé par le ministre, que ces faits remontent en partie à plus de treize ans et que le contexte socio-politique au Kosovo de l’époque a été profondément bouleversé depuis cette date.
Néanmoins, dans l’appréciation de la question de savoir si un demandeur de protection internationale craint avec raison d’être persécuté du fait d’une ou de plusieurs situations visées par l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des éléments mis en avant par lui, considérés dans leur globalité, pour autant qu’ils relèvent d’un dénominateur commun au regard du risque de persécutions avancé.1 Il se dégage des éléments particuliers de l’espèce, qu’en l’occurrence l’ensemble des actes dont font état les demandeurs répondent à un fil rouge de nature à relever d’un dénominateur commun, à partir de l’assassinat du père de la demanderesse en 2000, des menaces et intimidations subséquentes en 2002 et 2005 dans le village natal de la demanderesse et des menaces dirigées finalement contre le demandeur en 2012 par le dénommé ….
Force est également de relever que du fait que le dénommé … a fait référence à l’origine ethnique des demandeurs, en faisant notamment référence à des événements de la guerre lors de laquelle sa famille aurait été menacée avec des couteaux par des Serbes et proférant des menaces plus spécifiques en raison de l’origine serbe des demandeurs, ces actes peuvent être considérés comme ayant été motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir, l’appartenance des demandeurs à la minorité ethnique serbe, respectivement les opinions politiques imputées à Madame …du fait du passé de militaire serbe de son père.
De l’ensemble de ces éléments, le tribunal est amené à dégager que les menaces du dénommé … peuvent être considérées comme étant de nature à atteindre le degré de gravité tel qu’exigé par l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, du fait de leur répétition et des circonstances qui les ont entourées.
Les demandeurs restent cependant en défaut de rapporter la preuve d’une absence de protection de la part des autorités de leur pays. En effet, dans la mesure où les actes émanent d’une personne privée d’origine albanaise, celle-ci ne peut être considérée comme un acteur de persécution que si les autorités gouvernementales ne peuvent ou ne veulent accorder une protection adéquate aux victimes ou si les demandeurs sont fondés à ne pas vouloir se réclamer de la protection de leur pays d’origine. Or, il ressort des déclarations des demandeurs qu’ils n’ont jamais porté plainte contre le dénommé … durant toutes ces années. Monsieur …, n’a, qu’à une seule reprise tenté de dénoncer les menaces dont il a fait l’objet au marché. Or si le comportement des policiers auprès desquels le demandeur a essayé de dénoncer ce fait est certes regrettable, les demandeurs ne peuvent pas conclure de ce comportement isolé un refus systématique de la police de les protéger. En effet, l’argument tiré du fait que Monsieur …se serait heurté une unique fois à l’inaction de policiers d’origine albanaise qui ont refusé de lui venir en aide en raison de son appartenance à l’ethnie serbe, et visant à en déduire un déni de justice général à leur encontre, ne peut tenir, étant donné qu’il résulte du rapport de l’OSCE de novembre 2009, cité par la partie étatique, que la police de la municipalité de Gnijlane est multiethnique, devant permettre aux demandeurs de se retrouver devant un interlocuteur de leur ethnie. Il ressort également des explications du délégué du gouvernement, se basant sur des rapports internationaux, que le Kosovo dispose d’un Inspectorat de la Police, ainsi que d’un service de médiateur, auprès desquels une plainte contre des policiers aurait pu être déposée. Les rapports cités par les demandeurs dans leur requête introductive relatifs aux dysfonctionnements du système judiciaire kosovar concernent principalement des problèmes de retard dans 1 CA, 7 octobre 2010, n°26974C l’évacuation des affaires devant les tribunaux, surtout en ce qui concerne les crimes de guerre, ainsi que les affaires de corruption et le mauvais système de protection des témoins dans les procès contre le crime organisé, et ne permettent pas d’en conclure ipso facto que toute démarche en vue d’un dépôt de plainte de la part des demandeurs aurait d’office été vaine. Il résulte encore des rapports internationaux cités par la partie étatique que le médiateur a bien traité plusieurs affaires d’abus d’autorité et d’abus dans le cadre d’actes administratifs.
Il y a encore lieu de relever qu’il ressort sans équivoque des rapports et articles cités par la partie étatique que la situation au Kosovo a nettement évolué vers une amélioration de la sécurité et une diminution des crimes à l’encontre des membres des communautés minoritaires, que la police kosovare à …, municipalité dont sont originaires les demandeurs, est multiethnique et jouit d’une bonne réputation, de sorte que les conclusions tirées par les rapports internationaux sont de nature à infirmer l’affirmation des demandeurs quant à une prétendue inefficacité des autorités policières à défendre la minorité serbe.
Il s’ensuit qu’il n’est dès lors pas prouvé que l’Etat kosovar n’ait pas été disposé ou à même d’apporter la protection prévue par la loi à l’égard des demandeurs.
En ce qui concerne les provocations, subies par le demandeur de façon constante de la part de la population d’origine albanaise au marché, ces faits ne sont pas assez précis ni concrets pour être pris en considération dans le cadre de la présente analyse. A cet égard, les rapports internationaux, invoqués par les demandeurs dans le but de rapporter la preuve d’une situation sécuritaire désastreuse pour la minorité serbe au Kosovo, visent des faits isolés touchant principalement le nord du pays et non la région dans laquelle ont vécu les demandeurs avant leur départ du Kosovo, de sorte que les craintes y relatives sont à qualifier de sentiment général d’insécurité insuffisant à lui seul pour justifier une demande de protection internationale. Par conséquent, ces faits invoqués par les demandeurs à la base de leur demande ne sont pas à considérer comme actes de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne les menaces formulées à l’adresse du demandeur depuis son adhésion au parti politique albanais en 2012 par des membres de la population serbe, le considérant comme un traître et refusant l’accès à la crèche à sa fille, les demandeurs l’expliquent par les opinions politiques que leur attribuent les habitants de leur village en raison de son adhésion au parti LDK, qui est un parti albanais, de sorte que ces menaces tombent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Or, dans la mesure où les demandeurs ont déclaré eux-mêmes lors de leurs auditions que les agissements des membres de la population serbe n’ont pas dépassé le stade de simples menaces, respectivement de conseils, ceux-ci ne présentent pas le caractère de gravité requis au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 et ne sont partant pas à considérer comme des actes de persécution.
Dans le contexte de son adhésion au parti LDK, le demandeur fait encore état de sa crainte de se faire arrêter en Serbie. Or, au regard de la définition de la notion de réfugié à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 et de celle de la notion de pays d’origine contenue à l’article 2 m) de la même loi, dont il découle que la crainte de persécutions est appréciée par rapport au pays dont le demandeur a la nationalité, le tribunal est amené à retenir que les craintes des demandeurs sont à apprécier par rapport au Kosovo, et non pas par rapport à la Serbie, puisqu’ils n’ont pas la nationalité de ce pays qui est seulement un pays voisin dans lequel le demandeur avait l’habitude de se rendre de temps en temps.
Quant à l’interdiction d’accès de leur fille à la crèche, il y a également lieu d’admettre que ce problème tombe dans le champ d’application de la Convention de Genève puisque les demandeurs le lient à l’appartenance de Monsieur …au parti politique LDK. Il convient néanmoins de relever qu’aux termes de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, un acte doit présenter un degré de gravité certain pour pouvoir être considéré comme persécution au sens de la Convention de Genève, c’est-à-dire qu’il doit constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH ». Or à défaut d’autres éléments, permettant de mettre en exergue que les difficultés sont telles qu’elles aient des conséquences rendant la vie des demandeurs objectivement, voir subjectivement insupportables dans leur pays d’origine, celles-ci ne présentent pas le degré de gravité requis pour pouvoir être qualifiées de persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006, ces difficultés ne mettant ni directement, ni indirectement en danger la vie, la liberté ou l’intégrité physique des demandeurs.
En ce qui concerne la circonstance que les demandeurs auraient restreint leurs déplacements au strict minimum en raison de l’hostilité leur réservée aussi bien par des membres de la population serbe que par des membres de la population albanaise et plus spécifiquement le dénommé …, ces difficultés s’expliquent par la circonstance que le demandeur, en tant que membre de la minorité serbe du Kosovo a accepté d’adhérer à un parti politique albanais, à savoir la LDK. Alors que le dénommé … les menace en raison de leur origine serbe et probablement le passé militaire du père de la demanderesse, l’engagement politique du demandeur a également fait de lui une cible de la communauté serbe du Kosovo, de sorte que les problèmes d’ordre ethnique et politique en découlant pour les demandeurs tombent dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Etant donné cependant qu’à défaut d’autres précisions au-delà de l’affirmation tout à fait générale que leur liberté de mouvement se trouverait affectée, ce motif n’est pas d’une gravité suffisante pour entraîner la qualification de persécution, de sorte que la crainte mise en avant de ce fait s’analyse en substance, et à défaut d’autres précisions, en un sentiment général d’insécurité, étant relevé qu’il ne ressort pas des déclarations des demandeurs que leur liberté de circulation ait été restreinte au point de leur rendre la vie intolérable dans leur pays d’origine. En effet, tel que retenu ci-avant, il ne ressort pas des explications des demandeurs que les insultes et hostilités aient pris la forme d’agressions physiques, à l’exception de l’incident survenu au marché analysé ci-dessus, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’elles ne présentent pas le caractère de gravité requis au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 et ne sont partant pas à considérer comme des actes de persécution. Ce constat est encore corroboré par les explications fournies par le ministre dans la décision déférée, non utilement contredites par les demandeurs, concernant la liberté de mouvement des Serbes du Kosovo, relevant que toutes les ethnies sont capables de circuler librement au Kosovo et par le fait que la municipalité de … dont sont originaires les demandeurs est particulièrement bien sécurisée par les forces de l’ordre locales.
Quant à l’impossibilité de conduire du fait que le demandeur n’a pas reçu de permis de conduire et des plaques d’immatriculation kosovares en temps utile, il y a lieu de retenir que les retraits des permis de conduire et plaques d’immatriculation des demandeurs ne sont en aucun cas discriminatoires puisqu’il s’agit de mesures résultant de l’application de normes ministérielles kosovares, auxquelles toutes les personnes dans la même situation que les demandeurs sont également soumises. Les demandeurs restent donc en défaut de démontrer que ces retraits ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Les demandeurs font encore état d’une fouille de leur véhicule lors du déplacement à Vranje pour l’accouchement de leur fils au motif que les demandeurs pourraient détenir des armes illicites. Néanmoins, à défaut d’éléments permettant de retenir que cette fouille et les agissements des policiers aient été motivés par des considérations politiques ou ethniques, ils ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Le tribunal est encore amené à retenir que les incidents invoqués par les demandeurs, même pris dans leur globalité, ne sont pas de nature à constituer dans leur chef une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Quant aux menaces émanant du dénommé …, dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que les demandeurs ne sauraient se prévaloir de la protection des autorités de leur pays d’origine, c’est à bon droit que le ministre a refusé de leur accorder la protection subsidiaire.
En ce qui concerne les menaces formulées de la part des habitants serbes de leur village, ainsi que le refus d’accepter leur fille à la crèche, liées à l’adhésion au parti LDK, ainsi que l’hostilité des communautés à la fois serbe et albanaise provoquant un sentiment subjectif de restriction à leur liberté de mouvement dans le chef des demandeurs, force est au tribunal de constater, sur base des mêmes considérations que celles développées ci-dessus, que ces problèmes dont les demandeurs font état ne sont pas de nature à atteindre le seuil de gravité requis pour pouvoir être qualifiées d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Quant à la crainte du demandeur de se faire arrêter en Serbie, au regard de la définition de la notion de personne pouvant bénéficier de la protections subsidiaire à l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006 et de celle de la notion de pays d’origine contenue à l’article 2 m) de la même loi, dont il découle que la crainte d’atteintes graves est appréciée par rapport au pays dont le demandeur a la nationalité, le tribunal est amené à retenir que les craintes des demandeurs sont à apprécier par rapport au Kosovo, et non pas par rapport à la Serbie, puisqu’ils n’ont pas la nationalité de ce pays.
Quant à la critique émise concernant l’émission tardive d’un permis de conduire kosovar et des plaques d’immatriculation kosovares, force est au tribunal de constater qu’il ne dispose pas des éléments permettant de retenir que de ce fait il existerait de sérieuses raisons de croire que les demandeurs encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité et plus particulièrement la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Enfin, au regard des conclusions retenues ci-avant par le tribunal, la seule fouille de leur véhicule à la frontière serbe, ne permet, à défaut d’autres éléments, pas non plus de justifier la crainte des demandeurs de subir des atteintes graves en cas de retour au Kosovo.
Il s’ensuit, et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.
Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être introduit, lequel recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourrait la réformation, l’ordre de quitter le territoire devrait également être annulé.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre un ordre de quitter le territoire à leur encontre.
En ordre subsidiaire, les demandeurs concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. Les demandeurs estiment en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 d) et f) de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. Les demandeurs soutiennent que la réalité du risque pesant sur eux aurait été établie grâce à un faisceau d’indices constitué par les mauvais traitements dont ils ont d’ores et déjà été victimes et dont ils recommenceraient à faire l’objet et contre lesquelles les autorités kosovares seraient incapables de les protéger. La situation de détresse dans laquelle ils seraient plongés en cas de retour au Kosovo, mêlée aux sentiments d’angoisse de subir des mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Ils soutiennent encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. r) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire.
L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Kosovo, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs au Kosovo soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 février 2013 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais ;
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice et lu à l’audience publique du 8 janvier 2014 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens 2 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.