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20/03/2013 | LUXEMBOURG | N°29732

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2013, 29732


Tribunal administratif Numéro 29732 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2012 1re chambre Audience publique du 20 mars 2013 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 29732 du rôle et déposée le 17 janvier 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Somalie), ...

Tribunal administratif Numéro 29732 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2012 1re chambre Audience publique du 20 mars 2013 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 29732 du rôle et déposée le 17 janvier 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 décembre 2011, portant refus d’un report à l’éloignement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2012 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2012 par Maître NAJDI au nom et pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Barbara NAJDI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2012.

En date du 3 juillet 2009, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Cette demande fut rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après « le ministre », en date du 3 janvier 2011.

Le recours contentieux introduit par Monsieur… contre la décision ministérielle précitée du 3 janvier 2011 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 29 juin 2011, inscrit sous le numéro 27727 du rôle, confirmé en instance d’appel par un arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2011 inscrit sous le numéro 28838C du rôle.

En date du 15 novembre 2011, Monsieur… introduisit par l’intermédiaire de son litismandataire auprès du ministre du Travail de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après « le ministre », une demande tendant à un report à l’éloignement.

Par décision du 20 décembre 2011, le ministre rejeta la demande précitée et ordonna à Monsieur… de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision.

Cette décision est libellée en les termes suivants :

«J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 15 novembre 2011 dans lequel vous sollicitez un report à l'éloignement pour le compte de votre mandant.

Il y a d’abord lieu de rappeler que votre mandant est débouté de sa demande de protection internationale depuis le 10 octobre 2011 et qu’il est dans l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois. Contrairement à vos dires l’origine somalienne de votre mandant est bel et bien remise en cause aussi bien par le ministre que par les juridictions administratives. De même, votre conclusion que « l’expert linguistique n’a pu localiser l’origine de Monsieur… ailleurs que le Soudan » est également fausse.

Quoi qu’il en soit, étant donné que votre mandant ne remplit pas les conditions fixées à l’article 34 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et qu’il n’est pas en possession d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, son séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l'article 100, paragraphe (1), points a) et c) de la prédite loi du 29 août 2008.

Au vu des développements qui précèdent et en application de l'article 111, paragraphe (2) c), Monsieur … dispose d'un délai de trente jours à compter de la notification de la présente pour quitter volontairement le Luxembourg, soit à destination du pays dont il a la nationalité, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

À défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter sera exécuté d'office et il sera éloigné par la contrainte.

En ce qui concerne votre demande en obtention d'un report à l'éloignement conformément à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008, force est de constater que cet article n’est pas applicable en l’espèce, étant donné qu’il n’est pas établi vers quel pays votre mandant pourrait être éloigné, les éléments de son dossier administratif excluant une origine somalienne.

Dans ce sens, votre mandant est prié de coopérer dans l’établissement de son identité par la présentation d’une preuve de celle-ci (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2012, inscrite sous le numéro 29732 du rôle, Monsieur… a fait introduire un recours en annulation contre la décision précitée du 20 décembre 2011 en ce qu’elle porte refus d’un report à l’éloignement.

Force est de constater que la décision attaquée comporte un double volet décisionnel, à savoir d’un côté, le refus du ministre d’accorder un report à l’éloignement à Monsieur… et de l’autre côté, l’ordre de quitter le territoire dans les trente jours à partir de la notification de la décision au demandeur. Il résulte cependant du dispositif du recours en annulation sous analyse que Monsieur… s’est limité à solliciter l’annulation de la décision du ministre du 20 décembre 2011 en ce qu’elle lui a refusé le report à l’éloignement sollicité, le demandeur n’ayant en effet pas sollicité l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Dans la mesure où les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que déterminé à travers la requête introductive d’instance, le tribunal n’a pas à statuer sur la légalité de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 20 décembre 2011, lequel ne lui a pas été déféré.

Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée en ce qu’elle lui a refusé le report à l’éloignement, recours qui, par ailleurs, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur… soutient avoir quitté la Somalie au mois de décembre 2008 après que son village situé sur l’île de Jovaye aurait été attaqué par des rebelles qui auraient tué la majorité des habitants. Après un voyage de plusieurs jours en mer, il serait arrivé au Yémen où il aurait vécu pendant six mois chez un imam. En contrepartie de l’hospitalité de ce dernier, et comme il serait enseignant de profession, le demandeur aurait enseigné le Coran aux enfants du village. Il affirme par ailleurs qu’après avoir quitté le Yémen, il serait arrivé dans un autre pays arabe, puis en Europe – sans indication d’un lieu exact – où il serait monté dans une voiture qui l’aurait conduit au Luxembourg où il aurait déposé sa demande de protection internationale. Monsieur… explique encore avoir introduit une demande de report à l’éloignement en date du 15 janvier 2012, après s’être vu refuser sa demande de protection internationale.

En droit, le demandeur reproche au ministre une violation, respectivement une mauvaise interprétation de la loi, dans la mesure où il aurait retenu que l’article 125bis de la loi du 29 août 2008, ne serait pas applicable dans la mesure où son origine somalienne ne serait établie. Ainsi, il estime que son origine somalienne résulterait tant de son certificat de naissance, que de ses déclarations faites lors de ses auditions auprès de la direction de l’immigration et des résultats du test linguistique qu’il aurait passé en date du 28 juillet 2009. Par ailleurs, il donne à considérer que même si, dans le jugement intervenu dans le cadre de sa demande de protection internationale, le tribunal, de même que la Cour administrative, sont arrivés à la conclusion qu’il ne serait pas établi qu’il serait un ressortissant de l’île de Jovaye, cette conclusion ne serait cependant pas de nature à énerver son origine somalienne. Dans la mesure où un retour en Somalie serait impossible en ce moment et ceci pour des raisons indépendantes de sa volonté, le demandeur conclut que le refus ministériel de lui accorder un report à l’éloignement devrait encourir l’annulation.

Le délégué du gouvernement de son côté estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, notamment en ce qui concerne le fait que l’origine somalienne de celui-ci ne serait pas établie, de sorte que ce serait à bon droit qu’il refusé d’accorder le report à l’éloignement à Monsieur….

Aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. […] » Il s’ensuit que le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou encore s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, disposition qui quant à elle retient que :

« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il s’ensuit que l’article 129 précité s’oppose à ce qu’un étranger soit éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

Partant, une lecture combinée des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 amène le tribunal à retenir qu’au cas où l’étranger réussit à établir qu’il risque sa vie ou sa liberté dans le pays à destination duquel il sera éloigné ou qu’il y sera exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, le ministre est dans l’obligation de reporter l’éloignement, nonobstant le libellé de l’article 125bis qui exprime par l’utilisation du mot « peut » l’existence d’une simple faculté dans le chef du ministre.

Le tribunal constate que le demandeur a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2011 portant le numéro de rôle 28838C au motif que l’origine somalienne du demandeur et plus précisément le fait qu’il serait originaire de l’île de Jovaye ne serait pas établie de sorte qu’il aurait omis de présenter de façon crédible et plausible que sa situation subjective spécifique était telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour sa personne Encore que ledit arrêt ne bénéficie pas de l’autorité de la chose jugée conformément à l’article 1351 du Code Civil lequel dispose que :« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. » force est de constater que le demandeur n’apporte dans le cadre du présent litige aucun élément de nature à énerver les conclusions de la Cour administrative. En particulier, le demandeur reste toujours en défaut de rapporter la preuve de son origine somalienne, de sorte que le tribunal ne saurait que réitérer les conclusions de la Cour administrative, respectivement des premiers juges, dans le cadre de la demande de protection internationale introduite par Monsieur…, à savoir que le récit de celui-ci est peu crédible et que son origine somalienne n’est pas établie. Ainsi, et en ce qui concerne plus particulièrement les affirmations du demandeur selon lesquelles il serait né à …, ville du sud-est de la Somalie, mais aurait toujours vécu sur une île somalienne appelée Jovaye, il résulte des pièces versées en cause, et plus particulièrement de la décision ministérielle portant refus de la protection internationale à Monsieur… que celui-ci ne savait pas répondre aux questions les plus simples concernant la situation générale régnant dans son prétendu pays d’origine, la Somalie, et en particulier dans sa prétendue île d’origine, l’île de Jovaye. Il résulte encore de cette même décision ainsi que des conclusions de la Cour administrative que le récit de Monsieur… était vague et non-circonstancié et qu’il était en outre parsemé d’un nombre certain d’incohérences.

Si le demandeur essaye certes dans le cadre du présent recours de nuancer son origine en affirmant que la question de savoir s’il est ressortissant de l’île de Jovaye ne se poserait plus, mais uniquement la question de savoir s’il est originaire de Somalie, il échet de constater que le demandeur reste en défaut de préciser ou de rapporter la preuve de son origine d’une autre région de Somalie.

En effet, le test linguistique versé en cause n’est pas susceptible d’établir l’origine somalienne du demandeur. Ainsi, il y a lieu de constater que le demandeur ne maîtrise pas la langue somalienne, mais uniquement le kibajuni, langue parlée par les personnes de l’ethnie Bajuni, lesquelles habitent d’après les explications circonstanciées et non contestées du délégué du gouvernement traditionnellement dans une partie du Kenya proche de la frontière somalienne.

Si l’expert ayant effectué ledit test linguistique a certes retenu que Monsieur… parle le kibajuni avec l’accent du …, il y a néanmoins lieu de retenir, à l’instar des conclusions retenues par la Cour administrative dans son arrêt du 20 octobre 2011 que s’il est vrai que l’expert a mis l’apprentissage de la langue parlée par Monsieur… en rapport avec la présence d’autres réfugiés de … sur l’île de Jovaye, cette appréciation est à relativiser en ce sens que l’expert a fait la réserve que cette conclusion tablait sur la prémisse de la véracité des déclarations que Monsieur… lui avait faites en rapport avec le fait qu’il a quitté … depuis plus d’une douzaine d’années et a grandi sur l’île de Jovaye, véracité qui est cependant sujette à caution.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les déclarations du demandeur manquent de crédibilité et notamment le fait qu’il aurait grandi sur l’île de Jovaye, le test linguistique versé en cause n’est pas susceptible de confirmer l’origine somalienne du demandeur, lequel peut en effet être originaire du Kenya.

Finalement, et en ce qui concerne le prétendu acte de naissance versé par le demandeur, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’une simple copie non certifiée conforme d’un document non susceptible d’être analysé, respectivement être pris en compte par le tribunal, étant donné qu’il est en langue somalienne et que le demandeur n’a fourni aucune traduction dudit document.

Dans la mesure où l’origine somalienne de Monsieur… n’est ainsi pas établie, de sorte qu’il ne saurait affirmer, qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il serait établi que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées ou qu’il y serait exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le report à l’éloignement à Monsieur …, de sorte que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2013 par :

Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20.3.2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 29732
Date de la décision : 20/03/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-03-20;29732 ?

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