Tribunal administratif N° 31837 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 décembre 2012 1re chambre Audience publique du 6 février 2013 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31837 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2012 par Maître Joram MOYAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Bosnie-
Herzégovine), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur, …, né le … à …Bosnie-Herzégovine), tous de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 10 décembre 2012 de statuer sur le bien-
fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 10 décembre 2012 refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2013 par Maître Joram MOYAL pour compte des demandeurs ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Mylene CARBIENER, en remplacement de Maître Joram MOYAL, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 février 2013.
Le 11 octobre 2012, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant en leur nom personnel et en celui de leur enfant mineur, …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur…fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale en date du 5 décembre 2012, Madame… ayant pour sa part été auditionnée le 16 novembre 2012.
Par décision du 10 décembre 2012, envoyée par courrier recommandé du 11 décembre 2012 à Monsieur …et Madame …, ci-après « les époux…», le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », les informa qu’il avait statué sur le bien-
fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2012 les époux…ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 10 décembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
En fait, les demandeurs, déclarant être de nationalité bosnienne et de confession musulmane, font valoir à l’appui de leur recours que les problèmes qui les auraient conduits à introduire une demande en obtention de la protection internationale auraient commencé suite à la perte d’emploi de Monsieur…en 2010 en raison de la crise économique et du départ des époux…de la Fédération de Bosnie-Herzégovine vers la République Serbe de Bosnie chez la belle-mère, respectivement mère des demandeurs. Comme le père, respectivement beau-père des époux…aurait été commandant auprès de l’armée bosnienne lors de la guerre au début des années 1990 et en raison de leur religion musulmane, ils seraient, en République Serbe de Bosnie, exposés à des provocations, humiliations et insultes de la part de leurs voisins serbes. Les époux…font encore valoir que Madame… connaîtrait des problèmes de santé et n’aurait, pour des raisons financières, pas accès aux traitements médicaux nécessaires.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur les demandes de protection internationale des époux…dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours concernant ce volet de la décision, les demandeurs avancent d’abord que ce serait à tort que le ministre a estimé qu’ils ne soulèveraient que des faits sans pertinence et que clairement ils ne rempliraient pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié, pour justifier l'application d’une procédure accélérée au sens de l'article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs contestant tout particulièrement l’affirmation qu’ils proviendraient d'un pays sûr au sens de l'article 21 de la loi du 5 mai 2006, et ce alors qu’il apparaîtrait clairement que leurs déclarations, ainsi que les faits à la base de leur demande de protection internationale mériteraient une analyse approfondie.
A cet égard, ils affirment avoir été exposés à une persécution, sinon à une crainte réelle de persécution en raison de leur confession musulmane, les Serbes les ayant discriminés, provoqués, injuriés et menacés, les demandeurs affirmant de surcroît être démunis et ne pas être en mesure de faire appel à la police, alors que la police refuserait d’agir.
Ils en concluent que la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée devrait encourir l’annulation.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur les demandes de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.
La décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
(…) ».
Cette disposition prévoit ainsi différents cas de figure dans lesquels le ministre peut statuer dans le cadre de la procédure accélérée, étant précisé que les cas de figure cités sont alternatifs, de sorte qu’il suffit que l’un des cas soit vérifié pour que le ministre puisse faire application dudit article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.
En l’absence d’une disposition législative prévoyant l’ordre dans lequel le ministre serait obligé d’analyser les hypothèses de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre est par ailleurs libre de choisir l’ordre des différentes hypothèses afin de justifier sa décision de statuer sur une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr, soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant la liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, la République de Bosnie-
Herzégovine a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité bosnienne et qu’ils ont résidé en République de Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg.
Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-
ducal modifié du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, étant rappelé qu’il appartient au tribunal, statuant comme juge d’annulation, dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation individuelle.
Lors de leurs auditions par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères, les demandeurs ont expliqué qu’ils auraient principalement quitté leur pays d’origine en raison du comportement affiché à leur encontre par leurs voisins de nationalité serbe, les prétendues provocations alléguées de la part de professeurs à l’école devant être écartées pour ne pas concerner l’enfant des demandeurs, lequel ne serait pas encore scolarisé (v. audition de Madame…, p. 3/6). Les époux…font notamment état de ce que leurs voisins serbes leur cracheraient dessus et leur diraient qu’ils « n’auraient rien à faire ici [République serbe de Bosnie] en tant que Musulmans ». Les demandeurs évoquent « être montrés du doigt » par les Serbes en raison de leur religion musulmane.
Comme les seuls auteurs des persécutions précises telles qu’alléguées sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, en l’occurrence des Serbes habitant dans leur voisinage - les demandeurs précisant que seuls leurs voisins serbes les provoqueraient et insulteraient, et que les provocations alléguées de la part de professeurs à l’école ne concernaient pas leur propre enfant lequel ne serait pas encore scolarisé (v. audition de Madame…, p. 3/6) - la crainte d’être persécuté ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective aux demandeurs ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution1.
Or, il résulte des récits des demandeurs que ceux-ci n’ont jamais, à quelque niveau que ce soit, tenté d’obtenir la protection des autorités bosniennes, les demandeurs n’ayant en particulier jamais sollicité la police, en ce qui concerne les menaces, insultes et provocations proférées à leur encontre. A cet égard, il y a encore lieu de relever que les différentes allégations des demandeurs selon lesquelles la police, d’une manière générale, resterait inactive et refuserait d’intervenir en leur faveur, d’une part ne reposent sur aucun élément concret, et d’autre part sont énervées tant par le récit du demandeur Monsieur…qui relate lui-même que la police agirait notamment en cas de bagarres, que par les explications circonstanciées du délégué du gouvernement sur les efforts, notamment en termes de réformes de la police bosnienne, et la politique poursuivie par les autorités bosniennes. Par ailleurs, si les demandeurs avaient le sentiment que leur plainte ne serait pas accueillie par les policiers locaux, il leur aurait été possible de se plaindre du comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure ou de porter leur plainte par-devant d’autres policiers, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait.
En effet, la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. A cet égard, il aurait en tout état de cause appartenu aux demandeurs, avant de baisser tout simplement les bras et de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par leurs propres autorités et institutions nationales. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux 1 Trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558, Pas. adm. 2011, V° Etrangers, n° 107.
autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces, provocations ou craintes d’agressions, communément la forme d’une plainte.
Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas démontré que les autorités bosniennes seraient dans l’incapacité de fournir aux époux…une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les prétendues actes de persécution, respectivement contre les prétendues atteintes graves dont ils déclarent avoir été victime.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a statué sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la Bosnie-Herzégovine n’étant pas seulement à considérer abstraitement comme pays d’origine sûr du fait de son énumération sur la liste des pays d’origine sûrs, mais également concrètement, compte tenu de la situation individuelle des demandeurs telle qu’elle s’est présenté au moment de la prise de la décision déférée.
Partant le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006 et des développements afférents des demandeurs.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs relèvent que pour refuser leurs demandes de protection internationale le ministre aurait fait une interprétation erronée des faits de l’espèce, alors qu’il ressortirait des faits qu’ils auraient de manière répétée fait l’objet de persécutions suffisamment graves en raison de leur nature et de leur caractère répété, d’une crainte réelle de persécutions.
Leurs voisins serbes n’auraient cessé de les insulter, provoquer, discriminer et menacer.
Ces menaces seraient de par leur nature et leur caractère répété et gratuit à regarder comme des persécutions au sens de la Convention de Genève, de sorte que les demandeurs devraient de ce fait être qualifiés de réfugiés au sens de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006.
Les demandeurs relèvent encore que la police serait impuissante à les protéger, alors que la police bosnienne refuserait d’agir.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale aux époux ….
En vertu de l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est, d’une part, de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine. Il y a, d’autre part, lieu de relever qu’une demande de protection internationale ne saurait être accueillie que si les demandeurs avaient pu se prévaloir, dans leur pays d’origine, d’une protection étatique suffisante contre les agissements dénoncés dans le cadre de leur demande de protection internationale.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes persécutées par des acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Comme le tribunal vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que les demandeurs sont restés en défaut de prouver de ne pas avoir pu bénéficier, dans leur pays d’origine, d’une protection étatique contre les agissements dénoncés dans le cadre du présent recours, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leur demande, et que les demandeurs n’ont fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire permettant d’étayer leur demande en obtention de la protection internationale, le tribunal, statuant par rapport à ce volet en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leur audition ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que les consorts…ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la décision de refus de la demande de protection internationale.
En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, en estimant pouvoir se prévaloir de motifs sérieux et suffisants de crainte de persécution en cas de retour dans leur pays d'origine, les demandeurs estimant plus particulièrement que suivant le principe de précaution, il resterait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y a lieu de craindre qu'elle court un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie au sens de la Convention de Genève et la loi 5 mai 2006.
Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une absence de protection étatique contre les prétendues actes de persécution, respectivement d’atteintes graves, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-
fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 10 décembre 2012 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 10 décembre 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 10 décembre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 février 2013 par :
Marc Sünnen, vice-président, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge.
en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2013 Le Greffier du Tribunal administratif 9