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19/12/2012 | LUXEMBOURG | N°31558

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2012, 31558


Tribunal administratif N° 31558 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2012 3e chambre Audience publique du 19 décembre 2012 Recours formé par Madame … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31558 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2012 par Maître Delphine Rossi

, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Ma...

Tribunal administratif N° 31558 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2012 3e chambre Audience publique du 19 décembre 2012 Recours formé par Madame … et consorts, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31558 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2012 par Maître Delphine Rossi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Monténégro), agissant tant en son nom propre qu’au nom et pour compte de ses enfants mineurs …, née le … à …, …, née le … à … (Monténégro), et …, née le … à … (Monténégro), tous de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du ministre du 18 septembre 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Delphine Rossi et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 décembre 2012.

Le 23 juillet 2012, Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs ….., … et …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et celle de ses enfants mineurs et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-

ducale, section police des étrangers et des jeux, du 24 juillet 2012.

En date du 13 septembre 2012, Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation, ainsi que celle de ses enfants mineurs, et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, à savoir en substance le comportement de son époux, suite à l’accident de travail de ce dernier survenu en 2010, se traduisant essentiellement par des menaces verbales proférées à son égard, ainsi que la situation de stress dans laquelle vivraient ses enfants depuis un accident de train en 2006.

Par décision du 18 septembre 2012, notifiée en mains propres à Madame … le 4 octobre 2012, le ministre informa cette dernière qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement de l’article 20 (1), points a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée aux motifs que les problèmes invoqués par elle relèveraient du droit commun et ne tomberaient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désigné par « la Convention de Genève », qu’elle ne serait pas confrontée à une incapacité des autorités de son pays d’origine de lui fournir une protection adéquate, que l’impossibilité dans son chef d’une fuite interne ne serait pas établie et qu’elle ne serait pas non plus exposée à des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2012, Madame …, agissant également pour le compte de ses enfants mineurs …, … et …, a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 18 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle porte refus de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

A l’appui de son recours, la demanderesse, déclarant être de nationalité monténégrine, de confession musulmane et appartenir à l’ethnie bosniaque, soutient qu’elle aurait quitté son pays d’origine afin de fuir son mari qui aurait proféré des menaces de mort à son égard et qui l’aurait séquestrée. Elle expose qu’elle n’aurait pas osé déposer plainte contre son mari auprès de la police locale par peur de représailles de ce dernier et qu’elle aurait dès lors essayé de trouver refuge auprès de membres de sa famille, mais que son mari aurait continué à la maltraiter, ce qui l’aurait poussée à quitter son pays d’origine afin d’éviter des atteintes plus graves sur sa personne.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 18 septembre 2012 de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au ministre d’avoir retenu que les problèmes dont elle fait état ne rempliraient pas les conditions de pertinence pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, alors que les faits l’ayant poussée à quitter son pays d’origine s’articuleraient autour de persécutions, de violences morales et physiques, ainsi que de menaces de mort émanant de son époux, que l’existence de ces violences et menaces justifierait une crainte de persécution. Elle en déduit que le ministre n’aurait pas correctement évalué sa situation personnelle, de sorte que la décision de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée serait infondée.

Quant au constat du ministre qu’il apparaîtrait clairement qu’elle ne remplirait pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, la demanderesse soutient que ce statut serait ouvert aux personnes ayant fui leur pays d’origine en raison de persécutions ou d’atteintes graves physiques ou morales et que les bénéficiaires dudit statut partageraient le destin qu’une perspective d’avenir dans leur pays d’origine ne serait pas possible. Elle explique que face aux atteintes physiques et morales graves, au harcèlement et aux menaces de mort émanant de son mari, elle ne pourrait pas rester au Monténégro.

En ce qui concerne sa provenance d’un pays d’origine sûr, la demanderesse donne à considérer qu’il incomberait au ministre de réévaluer régulièrement la situation des Etats dont sont originaires les demandeurs de protection internationale, étant donné que des éléments factuels seraient communiqués de façon récurrente tant par les demandeurs en cause, que par les organisations humanitaires, les organisations non gouvernementales et d’autres entités témoins de ces faits. Elle se prévaut plus particulièrement d’un rapport du Haut Commissariat aux droits de l’homme de 2011 pour affirmer que les autorités monténégrines manqueraient de s’acquitter de leurs obligations en matière de lutte contre la violence envers les femmes.

Elle indique qu’à l’heure actuelle, les violences conjugales ne seraient ni encadrées, ni sanctionnées de manière efficace par les autorités de son pays d’origine, de sorte que la protection dont elle devrait bénéficier de la part des autorités monténégrines serait mise en cause. Au vu de cette impunité et de la discrimination de la population féminine au Monténégro, elle déclare que le Monténégro ne pourrait pas être considéré comme un pays d’origine sûr pour les femmes.

Elle en conclut que la décision déférée devrait être annulée pour défaut de motivation, excès de pouvoir ou encore pour irrégularité formelle.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

En ce qui concerne le moyen d’annulation fondé sur un défaut de motivation de la décision ministérielle sous analyse, force est de prime abord de relever que la demanderesse se contente de faire état d’un défaut de motivation, sans autrement expliquer son moyen.

L’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, disposition spéciale applicable à la présente matière, requiert que le ministre doit statuer par une décision motivée (« […] le ministre statue par une décision motivée qui est communiquée par écrit aux demandeurs. […] »). Etant donné que cette disposition n’indique pas le degré de précision à laquelle cette motivation doit correspondre, il y a lieu d’admettre qu’une motivation sommaire est suffisante.

En l’espèce, au vu de la motivation contenue dans la décision elle-même, complétée encore par les explications apportées par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse, et à défaut par la demanderesse de fournir la moindre indication en quoi la décision déférée pècherait par un défaut de motivation, le tribunal est amené à retenir que la motivation à la base de la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée fournie en l’espèce est conforme aux exigences de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale, ou s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006, le Monténégro a été retenu comme constituant un pays d’origine sûr. Etant donné qu’il est constant en cause que la demanderesse et ses enfants mineurs ont la nationalité monténégrine et ont résidé au Monténégro avant de venir au Luxembourg, c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr.

Au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21 (2) de la même loi oblige le ministre nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, en tout état de cause de procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de la demande de protection internationale, si le demandeur possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale de la demanderesse, a conclu qu'elle provient d'un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et dans les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, sur base des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

L'analyse de la situation personnelle décrite par la demanderesse à l’appui de son recours ne permet cependant pas d'en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle. En effet, par rapport aux problèmes avec son mari dont la demanderesse fait état, il se pose la question de savoir si sa situation est telle qu’elle ne peut pas bénéficier d’une protection de la part des autorités de son pays d’origine. Or, elle a indiqué lors de son audition qu’elle n’a pas déposé une plainte contre son mari auprès de la police locale. Si elle explique ce défaut d’avoir recherché l’aide et la protection des autorités monténégrines par la peur de représailles de son mari et par la circonstance que les autorités de son pays d’origine n’assumeraient pas leur responsabilité en matière de violence contre les femmes, et plus particulièrement contre la violence conjugale, en se référent à cet égard plus particulièrement à un rapport du Haut Commissariat aux droits de l’homme, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement relève qu’elle aurait également pu présenter ses doléances auprès de « l’Ombudsman », si elle ne faisait pas confiance à la police. En outre, le représentant étatique souligne que l’Etat monténégrin a adopté en 2010 la « Law on Protection from Domestic Violence ». Partant, un défaut de volonté ou de capacité des autorités monténégrines d’accorder une protection adéquate à la demanderesse ne saurait être retenu en l’espèce, étant donné que la demanderesse n’a même pas tenté de rechercher cette protection.

Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que la demanderesse provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20 (1) c), respectivement de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de la demande de protection internationale.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y a lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre du 18 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte de la situation actuelle des femmes au Monténégro. Elle estime que le fait d’avoir considéré que les problèmes avec son mari qu’elle invoque seraient des délits de droit commun constituerait une omission de l’évaluation individuelle de sa demande de protection internationale, telle que prévue par l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006. En se prévalant de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, elle expose que la crainte de persécutions serait raisonnable lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur de protection internationale, que la réalité de cette crainte se trouverait documentée au rapport final des Nations Unies du 21 octobre 2011, dont il ressort que bien que des lois aient été mises en place, la discrimination envers les femmes serait omniprésente, que les procédures n’auraient pas été mises en place et qu’il y aurait donc absence de poursuites et manquement de la police.

Elle soutient que le ministre aurait basé la décision litigieuse sur un examen superficiel et insuffisant des faits sans tenir compte de sa situation réelle. Elle déclare encore que les femmes monténégrines constitueraient un groupe social et feraient souvent l’objet d’attaques, de menaces, d’intimidations, de mariage forcé et de discriminations de tout genre, sans que la police ne leur accorde une protection suffisante, de sorte que son agresseur, à savoir son mari devrait être considéré comme un acteur de persécution au sens de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006. Elle en déduit qu’elle justifierait de persécutions fondées dans son chef au sens des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 en raison de son appartenance à la communauté des femmes monténégrines.

Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. […] » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose que : « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des liens auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection peut être accordée par :

a) l’Etat, ou b) des parties ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci.

(2) Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Il est constant en cause que le mari de la demanderesse, du comportement duquel elle se plaint, est une personne privée, de sorte que, tel que relevé ci-avant, ce dernier ne peut être qualifié d’acteur de persécutions au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2008 que sous la condition que les entités définies à l’article 29 de la loi du 5 mai 2006 ne veulent ou ne peuvent pas accorder à la demanderesse une protection adéquate.

En l’espèce, la demanderesse a cependant indiqué lors de son audition qu’elle n’a pas déposé plainte contre son mari auprès de la police locale au motif qu’elle aurait peur de représailles.

Or, à défaut d’avoir au moins essayé de rechercher la protection de la police, voire celle d’instances supérieures, et à défaut d’indices concrets susceptibles de faire admettre que le recours à la police serait vain, le tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir un défaut de protection de la part des autorités monténégrines ou encore permettant de justifier le défaut par la demanderesse de rechercher l’aide des autorités de leur pays d’origine. Ce constat s’impose d’autant plus au regard des explications fournies par la partie étatique, sources à l’appui, relatives aux efforts déployés par les autorités monténégrines au niveau de la protection de leurs citoyens contre la violence domestique.

En ce qui concerne l’accident de train survenu en 2006 et suite auquel les enfants de la demanderesse se trouveraient dans un état de stress, force est au tribunal de constater qu’en l’absence de toute précision fournie par la demanderesse quant au contexte dans lequel ledit accident s’est produit, cet accident ne saurait recevoir une qualification autre que celle d’une fatalité ayant pu frapper tout usager des transports en commun. Le tribunal est amené à retenir à cet égard qu’aucun élément du récit de la demanderesse ne permet de conclure à l’existence d’une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à la demanderesse et à ses enfants mineurs le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».

L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra partant porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que la demanderesse avance, du risque de subir des atteintes graves qu’elle-même et ses enfants mineurs encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse se limite à exposer des développements théoriques relatifs aux articles 2 e), 37 et 39 de la loi du 5 mai 2006 sans apporter une précision ayant trait au cas d’espèce. Il y a dès lors lieu de conclure que ladite demande est basée sur les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les problèmes dont fait état la demanderesse en raison du comportement de son mari suite à l’accident de travail de ce dernier, tel que développé ci-

avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la demanderesse ne saurait se prévaloir de la protection des autorités de son pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder la protection subsidiaire au sens de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006.

Quant à l’accident de train survenu en 2006 et se trouvant à l’origine d’un état de stress dans le chef des enfants de la demanderesse, dans la mesure où il a été retenu ci-dessus que cet accident ne peut pas recevoir une qualification autre que celle d’une fatalité ayant pu frapper tout usager des transports en commun, la demanderesse ne saurait pas non plus en déduire un risque pour ses enfants d’encourir des atteintes graves au sens de l’article et 37 de la loi du 5 mai 2006.

Il se dégage de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que la demanderesse n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle-même et ses enfants mineurs courent le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 18 septembre 2012 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

La demanderesse estime que l’ordre de quitter le territoire serait illégal au motif qu’un retour dans son pays d’origine entraînerait pour elle des conséquences graves.

Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 20 (2) de la loi du 29 août 2008.

A défaut d’autres moyens soulevés par la demanderesse, le tribunal ne saurait mettre ne cause la légalité de l’ordre de quitter pris à l’égard de la demanderesse, étant précisé que la simple affirmation de la demanderesse qu’un retour dans son pays d’origine entraînerait pour elle des conséquences graves, à défaut de fournir la moindre explication ou précision à cet égard, n’est pas de nature à mettre en échec la légalité de la décision prise à son égard.

Il suit de ce qui précède que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 500 euros sollicitée par la demanderesse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 septembre 2012 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 septembre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2012, par le vice-président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.

s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19/12/2012 Le Greffier du Tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 31558
Date de la décision : 19/12/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2012-12-19;31558 ?

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