Tribunal administratif N° 28822 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2011 1re chambre Audience publique du 9 juillet 2012 Recours formé par Madame … et consorts, …, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg, en présence de Monsieur … et de Madame …, …, en matière de permis de construire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 28822 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet par Maître François TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, …, demeurant à L-…, et de Monsieur …, …, ainsi que de son épouse, Madame …, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision rendue par le bourgmestre de la Ville de Luxembourg en date du 7 avril 2011, leur refusant son accord de principe en vue de la construction d’un immeuble à logements multiples à L-1214 Luxembourg, … ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 21 juillet 2011, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er août 2011 par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 3 août 2011, portant signification de ce recours à Monsieur …, demeurant à L-…, ainsi qu’à Madame …, veuve de Monsieur MMM, demeurant à L-… ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 août 2011 par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de Madame … ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2011 par Maître Charles KAUFHOLD au nom de Monsieur … et de Madame … ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2011 par Maître Christian POINT, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique, erronément qualifié de « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 janvier 2012 par Maître François TURK au nom de Madame …, de Monsieur … ainsi que de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2012 par Maître Charles KAUFHOLD au nom de Monsieur … et de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2012 par Maître Christian POINT, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Lionel SPET, en remplacement de Maître François TURK, Maître Christian POINT, et Maître Anne SCHMIT, en remplacement de Maître Charles KAUFHOLD, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juillet 2012.
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Le 8 mars 2010, Madame …, Monsieur … ainsi que l’épouse de celui-ci, Madame …, ci-après « les consorts … », propriétaires des parcelles … sises à … Luxembourg, …, adressèrent au bourgmestre de la Ville de Luxembourg, ci-après « le bourgmestre », une demande en obtention d’un accord de principe préalable à une autorisation de construire définitive, pour la construction d’un immeuble unique à appartements multiples s’étendant sur les trois parcelles sus-indiquées.
Le bourgmestre en accusa réception par courrier du 12 mars 2010 et délivra un avis au public destiné à être affiché de façon lisible et visible sur la parcelle devant recevoir la construction projetée.
Monsieur …, propriétaire de la parcelle …, adjacente des terrains concernés par le projet des consorts …, informa le bourgmestre de son intérêt à être tenu au courant du suivi réservé au projet en question.
En date du 7 juin 2010, le bourgmestre l’avisa officiellement de la demande des consorts ….
Par courrier du 29 juin 2010, Monsieur … s’opposa formellement à l’autorisation de la construction projetée par les consorts …, tandis que par courrier du 5 juillet 2010, Monsieur MMM, époux de Madame …, propriétaires de la parcelle …, firent également part de leur désaccord au bourgmestre, lequel prit position par rapport à ces oppositions par courrier du 4 octobre 2010.
Par courrier du 11 octobre 2010, Monsieur MMM réitéra ses critiques tandis que le 29 octobre 2010, Monsieur … réitéra son opposition stricte à la réalisation du projet des consorts ….
Par décision du 7 avril 2011, le bourgmestre notifia aux consorts … son refus d’admettre l’application des articles A.0.2.c) et A.0.2.d) de la partie écrite du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg, refus libellé comme suit :
« En date du 8 mars 2010 vous aviez introduit, […], un projet pour la construction d’un immeuble résidentiel sur la parcelle sise …, tout en demandant l’application des dispositions des articles A.O.2.c) - Les constructions en deuxième position - et A.0.2.d) - La transposition des volumes et des surfaces - de la partie écrite du plan d’aménagement général.
Dans le cadre de la procédure prévue par ces articles, les propriétaires des parcelles adjacentes ont pu présenter leurs remarques et objections, sachant qu’une des conditions pour l’applicabilité de l’article A.O.2.d) est celle qu’il n’y ait pas de gêne anormale pour les propriétés voisines.
Il se fait maintenant que deux voisins se sont opposés à l’application des articles A.0.2.c) et A.0.2.d) en déclarant d’une part que 1a construction ne s’intègre pas de façon harmonieuse dans l’ensemble de la zone et en exprimant d’autre part leurs craintes quant aux gênes engendrées.
Au vu de ces deux oppositions, j’ai décidé ne pas admettre l’application des articles A.O.2.c) et A.0.2.d) de la partie écrite du plan d’aménagement général et je vous invite à introduire un projet se basant sur les dispositions normales de la zone d’habitation 2. Le hangar au fond de la parcelle peut être maintenu dans le cadre de ce nouveau projet.
En application du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, je tiens à vous informer qu’un recours en annulation contre ma décision de refus peut être introduit devant le tribunal administratif dans un délai de 3 mois à partir de la présente notification, par requête signée d’un avocat inscrit à la liste 1 des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats.
(…) ».
Par requête déposée le 6 juillet 2011, inscrite sous le numéro 28822 du rôle, les consorts … on fait introduire un recours en annulation contre cette décision de refus.
Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en matière d’urbanisme, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée au tribunal.
Ledit recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, les demandeurs, après avoir relaté les faits gisant à la base de leur demande en obtention d’un accord de principe et les rétroactes de la décision de refus actuellement déférée, attaquent la décision déférée par deux moyens relatifs à sa légalité intrinsèque.
Ils soulèvent ainsi en premier lieu l’illégalité de l’article A.0.2.d) du plan d’aménagement général de la Ville de Luxembourg, ci-après « PAG », en ce que cette disposition, qui indique que la ou les constructions doivent s’intégrer de manière harmonieuse dans l’ensemble de la zone, ne fixerait toutefois aucun critère objectif permettant à l’administration communale de juger du caractère harmonieux ou non d’une construction, de sorte à octroyer un pouvoir qualifié de « subjectif, absolu et incontrôlable » au bourgmestre en matière esthétique, ce qui serait illégal, le pouvoir du bourgmestre en matière d’esthétique devant rester limité et en tout état de cause circonscrit au travers de critères précis.
Tant l’administration communale que les parties tierces intéressées, à savoir Monsieur … et Madame …, ayant relevé que les demandeurs ne sauraient, d’une part, contester la légalité de l’article A.0.2.d) et, d’autre part, vouloir néanmoins s’en prévaloir afin de bénéficier du régime dérogatoire de la transposition des volumes y inscrite, un demandeur n’étant en effet pas censé conclure contre lui-même et à sa propre encontre1, le litismandataire des consorts … a déclaré lors de l’audience publique du 2 juillet 2012 renoncer à ce moyen, de sorte que le tribunal n’est pas amené à vérifier plus en avant la question2.
En ce qui concerne le second moyen des demandeurs, ceux-ci, après avoir rappelé que le bourgmestre aurait dans un premier temps, dans ses courriers du 4 octobre 2010, estimé que les objections des parties tierces-intéressées, tirées d’une prétendue gêne anormale pour les propriétés voisines, ne seraient pas fondées, exposent qu’en l’espèce, le fait de choisir l’option de la transposition des volumes et surfaces prévue aux articles A.0.2.c) et A.0.2.d) PAG permettrait à la construction envisagée de mieux s’intégrer dans son environnement et ce sans porter de gêne aux propriétés voisines, la transposition des volumes projetée permettant en effet de réduire la hauteur de la construction : ainsi au lieu des 14,50 mètres autorisés suivant les dispositions normales du PAG, la construction projetée ne mesurerait que 11 mètres de hauteur, ce qui serait dans l’intérêt des voisins contigus aux parcelles en question. Par ailleurs, la partie de l’immeuble projeté dépassant la limite des 13 mètres de profondeur normale ne concernerait que le rez-de-chaussée de cette construction, tandis que le projet ne prévoirait pas d’habitation en seconde position, en lieu et place de l’ancienne menuiserie, ce qui serait encore en faveur des voisins, le projet de construction envisagé prévoyant en effet de détruire la menuiserie en question pour autant que les demandeurs puissent bénéficier des dispositions relatives à la transposition des volumes et surfaces. Pour le surplus, le volume occupé par l’immeuble serait tout à fait raisonnable et conforme aux dispositions légales et réglementaires.
Les consorts … soutiennent encore que la construction projetée s’intègrerait de manière tout à fait harmonieuse dans son environnement existant : c’est ainsi que la construction projetée serait dans l’alignement parfait côté rue des constructions existantes et qu’elle respecterait tous les alignements et retraits frontaux et latéraux ainsi que les hauteurs et gabarits, seule la profondeur de construction étant dépassée par le jeu de la suppression d’une construction en deuxième position et transposition d’une partie des volumes et surface de la construction en deuxième position sur la construction projetée. Ils soulignent par ailleurs que leur projet de construction aurait pour but une concentration des volumes bâtis côté rue, ce qui permettrait de libérer entièrement l’arrière de la parcelle : le projet serait de la sorte conforme à la situation relative à la majorité des parcelles du voisinage, privilégiant la préservation et conservation d’une surface importante dédiée aux espaces verts et jardins situés en arrière des bandes de construction réglementaires.
Ils en concluent que le projet litigieux ferait la part belle à l’harmonie et garantirait aux voisins une vue agréable sur l’ensemble de l’arrière de la parcelle, et ce alors qu’ils auraient eu la possibilité d’introduire un projet prévoyant une construction en seconde position, laquelle aurait nécessairement induit une suppression de la majeure partie des espaces verts et jardin en fond de parcelle.
1 Voir trib. adm. 29 juin 2005, n° 19199, confirmé par arrêt du 19 janvier 2006, n° 20097C, Pas. adm. 2011, V° Procédure contentieuse, n° 298.
2 Voir trib. adm. 24 octobre 2010, n° 13074, confirmé sur ce point par arrêt du 21 mars 2002, n° 14261C, Pas.
adm. 2011, V° Procédure contentieuse, n° 364.
En ce qui concerne les gênes alléguées, les demandeurs estiment dans le cadre de leur mémoire en réplique que le bourgmestre aurait fondé sa décision sur d’hypothétiques gênes causées aux voisins de l’immeuble projeté pour refuser l’application des dispositions dérogatoires des articles A.0.2. c) et A.0.2. d) PAG, ce qui équivaudrait à un défaut manifeste de motivation de la part du bourgmestre, tant il serait impossible de dire sur quel critère objectif le bourgmestre se serait basé pour prendre cette décision de refus.
Plus concrètement, ils affirment que le projet ne causerait aucune nuisance quelconque aux voisins et serait plus favorable qu’une construction classique avec construction d’une seconde construction en deuxième position, tant il garantirait une vue agréable pour le voisinage, un ensoleillement tout à fait satisfaisant et une certaine intimité : aussi, en ce qui concerne les craintes des voisins quant aux vues dont pourrait disposer la terrasse au rez-de-
chaussée de l’immeuble projetée, les consorts … font plaider qu’il existerait un mur de séparation entre les parcelles en question, de sorte à faire obstacle à toute vue sur la propriété de Monsieur …. Par ailleurs, la profondeur de la construction projetée du côté du voisin de gauche, à savoir Monsieur …, ne dépasserait que légèrement la profondeur réglementaire et ceci uniquement en ce qui concerne le rez-de-chaussée. Or, ce dépassement ne serait pas visible par Monsieur … car son garage ferait écran par rapport au volume transposé, de sorte qu’il ne pourrait se plaindre d’une violation d’intimité, son garage ainsi qu’une palissade assurant de surcroît une fonction de protection de son intimité.
En ce qui concerne la perte d’ensoleillement alléguée, les demandeurs arguent que la propriété de Monsieur … serait située au nord par rapport à la construction projetée, de sorte qu’il n’y aurait pas d’ombre portée pouvant représenter une gêne pour lui.
Du côté du voisin de droite, à savoir Madame …, les consorts … font exposer qu’une haie existante et plantée par Madame …, de dimension et hauteur importantes, ferait écran par rapport à la construction projetée et cacherait la majorité de la façade latérale, de même que cette haie assurerait une protection adéquate contre de prétendus regards indiscrets ; par ailleurs, les hauteurs réduites et les retraits latéraux augmentés de la construction projetée seraient tels que l’ombre portée par cette dernière ne représenterait pas de gêne pour Madame ….
L’administration communale, de son côté, expose que les questions d’intégration harmonieuse et d’absence de gêne anormale relèveraient du pouvoir d’appréciation du bourgmestre, lequel ne saurait relever du contrôle des juridictions administratives, sauf l’hypothèse d’une erreur d’appréciation manifeste. Aussi, elle dénie aux juridictions administratives le droit, dans le cadre d’un recours en annulation, de procéder à une appréciation ni des conditions d’une intégration harmonieuse de la construction projetée dans l’ensemble de la zone, ni de l’existence d’une gêne anormale, pour expliquer ensuite que le bourgmestre, notamment face aux critiques exprimées par les voisins, avait estimé que les consorts … n’auraient pas démontré que leur projet satisfaisait aux exigences de l’article A.0.2.d) PAG qui érige en condition sine qua non à l’application du mécanisme de transposition des volumes et des surfaces le fait que les constructions s’intègrent de façon harmonieuse dans l’ensemble de la zone et qu’il n’en résulte aucune gêne anormale pour les propriétés voisines. Aussi, à défaut pour les consorts … de démontrer que le bourgmestre aurait commis une erreur d’appréciation manifeste, leur recours devrait être rejeté comme non fondé.
Les parties tierces-intéressées, pour leur part, relèvent que la … accueillerait essentiellement des maisons uni- et bi-familiales, de sorte qu’un immeuble unique aux dimensions « énormes » du projet litigieux, ne saurait s’y intégrer harmonieusement ; dès lors, elles considèrent que le bourgmestre aurait violé les dispositions du PAG s’il avait autorisé la construction d’un immeuble conçu sur base des dispositions de l’article A.0.2. d) qui ne s’intégrerait pas de façon harmonieuse dans la zone concernée.
A cet égard, elles s’appuient sur la maquette volumétrique du projet pour soutenir que la résidence projetée aurait des dimensions énormes et serait loin de trouver sa place normale entre leurs maisons uni-familiales, et ce notamment parce que la profondeur de la résidence dépasserait largement la bande de construction et s’étendrait tout le long de la propriété de Madame ….
Les parties-tierces intéressées font encore état des nuisances suivantes qui résulteraient du projet litigieux : absence de soleil sur la terrasse et le jardin, obscurité, manque de sphère privée, manque d’intimité et nuisances sonores, les parties-tierces intéressées soulignant tout particulièrement la présence au rez-de-chaussée et au 1er étage et au 2e étage du projet de terrasses offrant une vue imminente sur le jardin et la terrasse de Monsieur …, tandis que le projet prévoirait encore trois terrasses latérales ainsi que de deux balcons latéraux du côté de la propriété de Madame …, qui seraient de nature à détruire complètement la sphère privée et l’intimité de cette dernière, laquelle devrait encore subir l’ombre engendrée par l’immeuble projetée.
Tel que relevé par les parties demanderesses ainsi que par l’administration communale, le tribunal administratif est en l’espèce saisi d’un recours en annulation, dans le cadre duquel il peut vérifier les faits formant la base de la décision administrative qui lui est soumise et examiner si ces faits sont de nature à justifier la décision. Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis. Cependant, même dans le cadre d’un recours en annulation, à l’occasion de l’examen de l’exactitude des faits invoqués à l’appui d’une décision, de la pertinence des motifs dûment établis et du contrôle de cette décision sous l’aspect de la compétence, de l’excès ou du détournement de pouvoir, cette vérification peut s’étendre le cas échéant au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis. Cette faculté est cependant limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité. Elle ne saurait avoir pour but de priver l’autorité compétente, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n’est pas sujette à un recours en réformation. Il appartient à l’autorité administrative compétente de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence en assumant à l’égard des intéressés, à l’égard des organes politiques qui ont pour mission de contrôler son activité et à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence3.
S’il est certes vrai dès lors que les conditions d’opportunité d’une des décisions échappent au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci, toutefois, garde un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence du motif de refus concerneraient-ils même une décision 3 Voir la jurisprudence citée sous Pas. adm. 2011, V° Recours en annulation, n° 29.
discrétionnaire. A ce sujet, il convient de souligner qu’un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend non pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge4. Aussi, même lorsque l’autorité administrative compétente a un pouvoir discrétionnaire pour agréer ou refuser une demande, l’existence et la validité des motifs sont une condition essentielle de la légalité de l’acte et il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée5, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu à annuler la décision en question.
En revanche, le juge administratif renonce à contrôler l’appréciation des faits par l’administration quand les faits sont tels qu’aux yeux de l’opinion ils autorisent un choix entre plusieurs solutions plausibles au regard de l’intérêt général6.
En l’espèce, comme indiqué ci-dessus, le bourgmestre a refusé aux consorts … le bénéfice du régime dérogatoire des articles A.0.2.c) (constructions en deuxième position) et A.0.2.d) (transposition des volumes et des surfaces) PAG, en se basant, d’une part, sur le fait que la construction ne s’intègrerait pas de façon harmonieuse dans l’ensemble de la zone et, d’autre part, sur les objections de voisins reposant sur des craintes quant aux gênes engendrées, étant souligné que les dispositions de l’article A.0.2.c) PAG ne sont en l’espèce pas pertinentes, le projet litigieux des consorts … ne prévoyant précisément pas de construction en seconde position, et ce contrairement à la situation actuelle où le terrain en question abrite une bâtisse en seconde position.
L’article A.0.2 d) PAG, pour sa part, dispose :
« La transposition des volumes et des surfaces La construction d’un ou de plusieurs immeubles dépassant ou implantés en dehors de la bande de construction admissible peut être autorisée, sous condition - que la ou les constructions ne dépassent ni en volume, ni en surface de planchers exploitables, les volumes et surfaces de planchers exploitables du ou des immeubles conçus suivant les dispositions applicables à la zone ;
- que les marges de reculement sur les limites latérales, imposées suivant les dispositions normales de la zone, soient observées à moins qu’il n’y ait un pignon nu en attente ;
- que la marge de reculement imposée sur la limite postérieure soit observée;
- que la hauteur de façade sur rue et le nombre de niveaux admis ne soient pas dépassée;
4 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.
5 CdE, 11 mars 1970, Pas.21, p.339.
6 Dominique Lagasse, L’erreur manifeste d’appréciation en droit administratif, Bruylant, 1986, p.510.
- que la ou les constructions s’intègrent de façon harmonieuse dans l’ensemble de la zone ;
- qu’il n’en résulte aucune gêne anormale pour les propriétés voisines.
Les propriétaires des parcelles contiguës sont informés du projet par les soins de l’administration communale; ils peuvent prendre connaissance du projet et formuler leurs objections, par écrit, pendant le délai de trente jours à partir de la notification qui se fera par lettre recommandée.
Une maquette volumétrique à l’échelle de 1:200 ou 1:500 doit être jointe à la demande d’accord de principe. » Au regard de cet article, il convient ensuite de relever que concernant le critère de l’intégration harmonieuse tel que requis par ledit article A.0.2 d) PAG pour qu’une transposition des volumes et des surfaces soit autorisable, il convient d’avoir égard à la construction projetée, d’une part, et à la zone d’implantation telle qu’elle se présente et se caractérise légalement, d’autre part7.
Il convient ensuite de constater que si, dans le cadre de sa décision et des développements juridiques à proprement parler, tels que produits par l’administration communale en cours de procédure contentieuse, l’administration communale, respectivement le bourgmestre, sont restés essentiellement sommaire et succinct, en soutenant simplement que la construction projetée ne s’intègrerait pas de façon harmonieuse dans l’ensemble de la zone d’implantation, le bourgmestre s’est toutefois expressément référé aux objections des parties tierces-intéressées, telles que discutées par le bourgmestre dans son courrier du 4 octobre 2011, adressé en copie aux parties demanderesses, et amplifiées par les parties tierces-
intéressées en cours de procédure contentieuse.
A cet égard, le tribunal doit constater, au vu des photographies et plans versés en cause ainsi que de la maquette volumétrique du projet litigieux, que ce dernier présente a priori une architecture étrangère à sa zone d’implantation, caractérisée majoritairement par des maisons d’habitation unifamiliales ou en rangée d’architecture classique, de formes rectangulaires régulières, toutes pourvues de toits à plusieurs versants, et s’insérant dans des gabarits de forme plus ou moins semblables, alors que l’immeuble projeté présentera une architecture moderne, caractérisée par une toiture plate, la présence de nombreuses terrasses respectivement « coursives » entourant l’immeuble ainsi qu’une forme irrégulière, le projet dépassant encore largement l’alignement antérieur des bâtiments existants avoisinants. Or, de la sorte et confronté à sa zone d’implantation, le bâtiment projeté est loin d’apparaître comme constituant un élément trouvant sa place normale parmi les éléments qui forment le cadre existant, mais il s’agit au contraire d’un projet qui est caractérisé par le fait de ne pas avoir la même conception que l’ensemble des constructions avoisinantes, alors que pour s’intégrer harmonieusement il faudrait la retrouver.
En déduisant de ces éléments que la construction projetée ne s’intègrerait pas de façon harmonieuse dans l’ensemble de la zone d’implantation, le bourgmestre a pris une décision d’appréciation de l’opportunité de sa compétence, décision non viciée par une violation de la 7 Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28611C et 28617C.
loi et il n’est pas établi que l’acte ait été pris en violation des intérêts publics dont le bourgmestre a la charge ou du but poursuivi par le législateur.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par les demandeurs à une prétendue amélioration apportée par le projet litigieux par rapport aux immeubles réalisables sur le même terrain sans transposition de volumes, ni le bourgmestre, ni a fortiori le tribunal, n’étant appelés à arbiter entre deux projets potentiellement réalisables, l’un sur base des dispositions urbanistiques de droit commun et l’autre sur base du régime dérogatoire de la transposition des volumes, mais uniquement à vérifier - le tribunal par voie de contrôle marginal - si oui ou non le projet actuellement sous examen s’intègre harmonieusement dans le tissu avoisinant : aussi, les considérations relatives à ce qui est normalement et théoriquement autorisable sur la parcelle d’implantation sont à écarter pour être dépourvues de toute pertinence8.
Les conditions pour pouvoir bénéficier des dispositions dérogatoires de l’article A.0.2 d) PAG devant être remplies cumulativement, le fait qu’une seule des conditions ne soit pas valablement remplie justifie la décision du bourgmestre à suffisance, de sorte que l’examen de savoir si le projet litigieux est également source d’une gêne anormale pour les propriétés voisines, tel que soutenu par les parties tierces-intéressées et retenu par le bourgmestre, est superflu.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par les consorts … est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Les parties tierces intéressées, à savoir Monsieur … et Madame …, réclament encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros à charge des consorts …. Toutefois, les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge des parties tierces-
intéressées n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par les parties tierces intéressées ;
condamne les parties demanderesses aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2012 par :
8 Ibidem.
Marc Sünnen, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9.7.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 10