Tribunal administratif N° 29981 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mars 2012 2ème chambre Audience publique du 10 mai 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29981 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2012 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Christine Freymuth, avocate, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à …, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 22 février 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à l’annulation, sinon à la réformation de la décision du même ministre du 22 février 2012 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2012 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Olivier Lang au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mai 2012.
En date du 22 novembre 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du 23 novembre 2011, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, en date du 27 décembre 2011, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 22 février 2012, notifiée par courrier recommandé du 23 février 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur …, qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire endéans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 22 novembre 2011.
En vertu des dispositions de l'article 20§1 de la loi précitée du 5 mai 2006, je vous informe qu'il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée parce que vous tombez sous les trois cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » b) « il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » c) « le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la présente loi; » En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 novembre 2011 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 27 décembre 2011.
Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Serbie le 15 septembre 2010 et séjourné pendant un an en Belgique avant de venir au Luxembourg. Vous dites que vous auriez été chez un ami qui vous aurait promis de vous y régler le séjour, en vain. Vous n'auriez pas déposé une demande d'asile en Belgique. Un ami belge vous aurait inscrit à la commune en Belgique et vous seriez resté presque un an. Vous auriez entendu parler du Luxembourg et auriez décidé d'y aller. Enfin, vous ne sauriez pas pourquoi vous n'avez pas demandé asile en Belgique. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 22 novembre 2011.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre depuis 10 ans d'un parti politique dénommé « … », dont le leader s'appellerait …. Vous dites que vous ne seriez pas très actif et que vous auriez assisté à des réunions une fois par mois parce que vous vous seriez ennuyé. Fin 2010, vous auriez critiqué … et vous auriez été agressé par trois personnes, que vous auriez identifiées en tant que …, … et …. Elles seraient connues dans votre village et elles auraient beaucoup d'argent. Vous dites qu'elles seraient « plus fortes que la police ». Vous pensez que ces personnes seraient membres du parti de …, leader du parti opposé au vôtre, et qu'elles seraient protégées par son parti. Quand la police serait venue, vous et ces trois personnes auraient été emmenés au poste mais vous auriez été déclaré le coupable (le rapport statuerait que vous auriez agressé verbalement ces personnes et provoqué la bagarre) tandis que ces trois personnes auraient été relâchées tout de suite. La police vous aurait gardé au poste et les agents vous auraient tapé. Vous déclarez avoir dû dormir au poste et avoir été relâché le lendemain. Vous dites avoir eu un hématome au visage mais vous n'auriez pas de certificat médical. Votre avocat … vous aurait conseillé de ne rien faire à cause de ces trois personnes et que vous risqueriez un an de prison. Enfin, vous ne vous seriez pas présenté à la convocation au tribunal les 17 ou 18 septembre 2010 parce que vous auriez eu peur d'être condamné à une peine de prison, raison pour laquelle vous auriez quitté la Serbie.
Vous confirmez que vous n'auriez ni porté plainte contre les trois personnages …, … et …, ni porté plainte contre les agents de police.
Vous n'invoquez pas d'autres raisons pour lesquelles vous auriez quitté la Serbie.
Vous estimez qu'un retour en Serbie aurait comme conséquence que vous iriez en prison à cause de ces trois personnes …, … et …. Vous seriez recherché et vous pensez même déjà avoir été condamné.
Vous avez également peur d'avoir des problèmes parce que vous avez déposé une demande de protection internationale.
Enfin, vous dites que vous n'auriez pas pu vous installer dans une autre région de la Serbie.
En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. Force est de constater que vous avez quitté la Serbie parce que vous auriez eu des problèmes avec des personnes privées et avec la police, qui selon vos dires, vous auraient accusé à tort. De même, vous faites état de maltraitances de la part de la police. Vous auriez peur d'être condamné. Or, ces faits sont d'ordre privé et ne sauraient constituer des actes de persécution au sens de la convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006. De même si les faits relatés sont certes condamnables, la résolution relève de la compétence du droit commun. Ils sont donc davantage à considérer comme des délits de droit commun punissables par la loi serbe et non comme acte de persécution.
En ce qui concerne les trois concernés …, … et …, ces personnes ne sauraient être identifiées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En application de l'article 28 de cette loi au cas de l'espèce, il ne ressort pas de vos déclarations que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection contre l'agissement de ces personnes. Vous dites ne pas avoir porté plainte contre les divers agissements. Il n'est donc nullement établi que les autorités policières seraient dans l'incapacité ou auraient refusé de vous fournir une protection quelconque, étant donné que vous ne donnez pas de raison valable pour laquelle vous n'auriez pas sollicité une telle protection. Le fait que vous dites, en vous basant sur des déclarations de personnes de votre village, que ces personnes seraient plus « fortes que la police » ne seraient contredire ce constat.
Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.
Les mauvais traitements dont vous faites état de la part de certains policiers sont certes à condamner, mais il y a lieu de rappeler que selon une jurisprudence constante « des chicaneries quotidiennes par les autorités de police et les coups infligés lors d'un contrôle de police constituent des pratiques certes condamnables, mais ne sont pas d'une gravité telle qu'ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève ». De même, il y a lieu d'ajouter que vous ne vous seriez pas plaint du comportement de certains policiers auprès de leurs supérieurs hiérarchiques ou après des autorités compétentes en matière d'inspection de la police après cet incident. Le fait que vous craigniez de retourner en Serbie à cause d'une éventuelle condamnation ne serait également pas fonder une demande en obtention d'une protection internationale.
Enfin, en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République de Serbie doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de votre demande de protection internationale.
Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation de votre demande de protection internationale, des raisons d'ordre privé ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Serbie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…)».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 22 février 2012 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à l’annulation sinon à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Quant aux faits, le demandeur invoque les motifs exposés lors de son audition auprès de l’agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, et notamment qu’il serait membre depuis 10 ans d'un parti politique dénommé « … », dont le dirigeant s'appellerait …, et dont il ne serait pas un membre très actif, étant donné qu’il ne se serait rendu que de temps en temps à des réunions dudit parti. Fin 2010, en critiquant le dirigeant d’un parti politique adverse, Monsieur …, il aurait été agressé par trois personnes, …, … et …, des personnes très influentes dans son village et membres du parti de …. Tant lui-même que ses agresseurs auraient été arrêtés par la police qui aurait cependant relâché tout de suite ces derniers, sachant qu’il aurait été considéré comme ayant été à l’origine de l’altercation (le rapport indiquerait qu’il aurait agressé verbalement ces personnes et provoqué la bagarre).
Lors de sa détention, qui aurait duré une nuit, il aurait fait l’objet de violences policières. Sur conseil de son avocat, …, il aurait décidé de ne pas porter plainte, ni contre …, … et …, ni contre les policiers. Suite à une convocation au tribunal pour les 17 ou 18 septembre 2010, le demandeur expose avoir quitté la Serbie, de peur d'être condamné à une peine de prison.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés. Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, Monsieur …, s’emparant de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 », reproche en substance à cette décision de ne pas indiquer concrètement le cas déterminé sur lequel le ministre, parmi les trois cas d’ouverture cités de la procédure accélérée telle que prévue à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, se serait basé, dès lors qu’il serait impossible, à la lecture de la décision déférée, d’isoler les motifs qui permettraient de justifier ce volet de la décision. Il estime en particulier que les motifs reproduits dans la décision sembleraient exclusivement concerner la décision de refus au fond.
A cet égard, le délégué du gouvernement fait valoir que la décision litigieuse, en ce qu’elle mentionne que le demandeur ne ferait valoir que des motifs d’ordre privé et personnel et que les incidents relatés ne seraient pas assez graves pour pouvoir être qualifiés de persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006, indiquerait sans équivoque qu’elle serait basée à la fois sur les points a) et b) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006. Par ailleurs, en retenant que le demandeur serait originaire de Serbie, pays qui est inscrit sur la liste des pays d’origine sûr aux termes du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », le ministre aurait également basé la décision déférée sur le point c) de l’article 20 paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision déférée serait à rejeter.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé. Il convient cependant de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée, l’autorité ayant posé l’acte étant par ailleurs admise à compléter la motivation en cours d’instance contentieuse.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que le ministre n’indique en effet pas au début de sa décision quel cas d’ouverture justifie, concrètement, le recours à la procédure accélérée telle que prévue à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, le ministre se bornant à indiquer trois cas d’ouverture distincts en affirmant que le demandeur tomberait sous l’un de ces cas, sans pour autant préciser lequel, de sorte que la décision déférée pêche effectivement, de ce point de vue, par un défaut de précision.
Il ressort cependant de la lecture de la décision déférée que le ministre y précise plus loin le ou les cas de figure justifiant à ses yeux le recours à la procédure accélérée, le ministre retenant ainsi que les faits dénoncés ne seraient que d’ordre privé, constat s’inscrivant directement dans le cas d’ouverture figurant à l’article 20 (1) a) et b), motivation confirmée d’ailleurs par le délégué du gouvernement en cours d’instance contentieuse. Force est encore de constater que le ministre a énoncé à titre supplémentaire que le demandeur serait originaire de Serbie, pays qui figure sur la liste des pays d’origine sûr, telle que fixée par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, sans que ce constat serait contredit par l’examen individuel de la demande de protection internationale du demandeur, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le ministre a également basé la décision déférée sur l’article 20 (1) c), de la loi du 5 mai 2006, motivation confirmée par le délégué du gouvernement en cours d’instance.
Il suit des développements qui précèdent que le moyen afférent laisse d’être fondé.
En ce qui concerne ensuite la légalité interne de ce volet de la décision déférée, le demandeur passe en revue les différents cas d’ouverture indiqués par le ministre, en argumentant à chaque fois pourquoi, à son avis, le recours par le ministre à chacun de ces trois cas d’ouverture serait mal fondé, le demandeur estimant que les conditions d’application de ces trois cas d’ouverture ne seraient, par ailleurs, pas données en l’espèce.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raison de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, force est au tribunal de constater que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne le cas énuméré au point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, force est de constater qu’aux termes de l’article 21 de cette même loi : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international de droit civil et politique ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ses droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, la Serbie a été retenue comme étant un pays d’origine sûr, de sorte qu’il y a lieu de conclure que c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr. Cependant, dans la mesure où le demandeur demande à ce que ledit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 soit écarté en l’espèce par voie d’exception, il y a lieu d’analyser si le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 est conforme à sa loi habilitante à savoir la loi du 5 mai 2006, contrôle effectué en vertu de l’article 95 de la Constitution qui impose aux cours et tribunaux de n’appliquer les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois.
A cet égard, force est au tribunal de constater que les moyens et arguments invoqués par le demandeur ne sont pas suffisants pour énerver le constat du règlement grand-ducal critiqué, à savoir que la Serbie est réputé être un pays d’origine sûr, et que ledit règlement a dès lors respecté les conditions fixées par la loi habilitante à savoir que les droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et les libertés fondamentales, le Pacte international de droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont observés en Serbie et que ce pays respecte le principe du non- refoulement prévu par la Convention de Genève ou encore que la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ses droits et libertés y est mis en place. En effet, le demandeur invoque comme seules pièces, d’une part, un rapport du « Centre for Liberal-Democratics Studys » intitulé « CORRUPTION IN SERBIA FIVE YEARS LATER » de 2007 et des extraits du rapport dressé par le « Bureau of Democracy, Human Rights and Labor » américain du 8 avril 2011 portant sur des exemples de violences policières en Serbie en 2008, respectivement en 2009 qui ne sauraient, pour le premier, au vu de sa date de publication, et pour le second, au vu de la période concernée, refléter la situation actuelle en Serbie. Lors des plaidoiries, le litismandataire du demandeur a, d’autre part, fait état d’un rapport de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe intitulé « The honouring of obligations and commitments by Serbia » du 9 janvier 2012. Or, les conclusions du prédit rapport ne permettent pas de mettre en doute le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 selon lequel la Serbie est réputée être un pays d’origine sûr, le rapport retenant que, bien que « (…) some key issues remain unresolved or incomplete, or were not completely implemented: reform of the Justice System, Electoral Law, fight against corruption, etc.(…) », « (…) [l’assemblée parlementaire] believe[s] that the efforts made by Serbia to honour its commitments and obligations and bring itself into line with European standards in the areas of human rights, the rule of law and democracy should be recognised and supported by the Council of Europe.
In conclusion, we can say that Serbia remains on the right track and has adopted an impressive number of laws. The adoption of such an important number of laws in fundamental areas (such as the judificiary) in such a short period of time is quite unusual, and we should ensure that this new legal framework is operational and functioning well. However, we will have to monitor the implementation of these laws and ensure that the democratic and legal institutions and national monitoring mechanisms are in place.
However, we believe that it is crucial for us to make sure that the legislation passed produces the desired results and that the structural changes required by the transition from a post-Yugoslav country to a democratic state are firmly anchored. Therefore, our attention will focus particularly on the mechanisms to establish a sustainable democracy based on Council of Europe standards and include, among others, the reform of the judiciary system (including a transparent procedure for the (re)appointment of judges and the setting-up of the highest judicial courts), the building-up of a transparent party funding system, independent media, and the full compliance of the laws on freedom of speech, association, etc, in conformity with Council of Europe standards and their full implementation. » Or, à défaut d’éléments illustrant la situation du système politique, judiciaire et policier actuel de la Serbie, voire d’éléments prouvant que la Serbie ne serait pas à considérer comme un pays d’origine sûr, le tribunal ne saurait faire droit à la demande tendant à écarter, par voie d’exception, le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.
Il y a encore lieu de constater qu’au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est pas suffisant pour conclure ipso facto qu’il soit statué sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, étant donné qu’aux termes de l’article 21 (2) le ministre est obligé, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par voie de règlement grand-ducal, de procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de la demande de protection internationale, si le demandeur possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays. Il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que le ministre, après examen de la demande de protection internationale du demandeur, a conclu qu’il provient d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’établir les raisons concrètes susceptibles de renverser ce constat. Or, tel que relevé ci-avant les seuls éléments objectifs que le demandeur a présentés à cet égard sont des rapports du « Centre for Liberal-Democratics Studys » de 2007, du « Bureau of Democracy, Human Rights and Labor » américain du 8 avril 2011 et de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe intitulé « The honouring of obligations and commitments by Serbia » du 9 janvier 2012 qui, comme le tribunal l’a retenu ci avant, ne sont pas de nature à établir que la situation actuelle serait telle qu’on ne puisse qualifier la Serbie de pays d’origine sûr. Par ailleurs, il est constant en cause que le demandeur n’a pas recherché la protection des autorités serbes ou d’autres organisations internationales ou locales présentes en Serbie, de sorte que les éléments soumis au tribunal sont insuffisants pour retenir que la conclusion du ministre selon laquelle la Serbie est à qualifier, dans le chef du demandeur, de pays d’origine sûr, serait erronée.
Le demandeur rappelle encore, dans le contexte de son recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que la décision de procédure accélérée lui porterait gravement préjudice, étant donné qu’elle le forcerait à agir dans l’urgence dans un délai deux fois plus court que le délai de droit commun, et qu’elle le priverait de son droit à un deuxième degré de juridiction auquel il aurait eu droit s’il ne s’était pas vu appliquer l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Outre qu’il ne s’agit en l’espèce, tel que formulé, pas d’un moyen, il convient de constater, d’une part, qu’en dépit de l’urgence alléguée, le litismandataire du demandeur a introduit une requête introductive d’instance et a déposé un mémoire en réplique - de sorte qu’aucune atteinte aux droits du demandeur n’est en l’espèce décelable - et, d’autre part, que le double degré de juridiction n’est garanti par l’article 2 du Protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qu’en matière pénale.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20 (1) c), respectivement de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y a lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours en annulation sinon subsidiairement en réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Avant tout progrès en cause, il y a lieu de souligner que malgré le fait que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur dans sa requête introductive d’instance, conclut principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle lui ayant refusé l’octroi de la protection internationale, le recours en annulation étant introduit à titre principal en raison de ce que la décision ministérielle du 22 février 2012 violerait l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, pour avoir omis d’analyser la situation générale du pays d’origine du demandeur.
Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire, de sorte que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.
Le recours subsidiaire en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Force est à cet égard au tribunal de relever que si, en la présente matière, le recours principal en annulation est irrecevable, il est loisible au demandeur de conclure, dans le cadre du recours subsidiaire en réformation, principalement à l’annulation de la décision déférée.
Le moyen d’annulation, tel que développé par le demandeur ayant trait à la légalité externe de la décision déférée, s’analyse en une violation de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, étant donné que le ministre aurait omis d’indiquer, conformément à l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, son évaluation des éléments de la situation générale dans le pays d’origine du demandeur.
En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux. La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé (…) », étant entendu, d’une part, qu’il convient de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée, et, d’autre part que l’autorité administrative est admise, même au cours de la procédure contentieuse, de fournir les motifs à la base de la décision, et qu’un défaut de motivation, en violation du prédit article 6, n’entraîne l’annulation de la décision litigieuse que pour autant que les motifs légaux ne se dégagent ni de la décision, ni des éléments fournis par l’autorité administrative au cours de la procédure contentieuse1.
Or, en l’espèce, le délégué du gouvernement a explicitement pris position sur la situation générale en Serbie, d’une part, en relevant les efforts effectués par les autorités serbes afin de réformer les services de police, notamment par la création du « Sector for Internal Control of the Police » en 2006 et du fait de l’assistance de l’organisation « for Security and Co-operation in Europe » à la formation des officiers de police serbe, et d’autre part, en citant un article récent de l’organisation « for Security and Co-operation in Europe » de janvier 2012.
Force est de constater que le moyen soulevé par le demandeur sur l’absence d’indication des motifs dans la décision n’est dès lors pas fondé, de sorte qu’il doit être rejeté.
Le demandeur expose ensuite les faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale. Il aurait été agressé fin 2010, en sa qualité de membre d'un parti politique, par trois personnes, …, … et …, des personnes très influentes dans son village et membres d’un parti politique adverse. Tant lui-même que ses agresseurs auraient été arrêtés par la police qui aurait cependant relâché tout de suite ces derniers, sachant qu’il aurait été considéré comme ayant été à l’origine de l’altercation (le rapport statuerait qu’il aurait agressé 1 cf. trib. adm. 2 février 2009, n°24399 du rôle, Pas. adm. 2011, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 75 et les autres références y citées.
verbalement ces personnes et provoqué la bagarre). Lors de son arrestation et sa détention subséquente, qui aurait duré une nuit, il aurait fait l’objet de violences policières. Suite à une convocation au tribunal pour les 17 ou 18 septembre 2010, il aurait quitté la Serbie, de peur d'être condamné à une peine de prison.
En droit, le demandeur expose que les faits dont il fait état répondraient aux critères de qualification du statut de réfugié et que les persécutions subies auraient porté atteinte à sa dignité humaine, ce qui constituerait une atteinte à ses droits fondamentaux tels que protégés par les articles 2, 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée « CEDH ». Il se prévaut encore des articles 21, 28 c), 29, paragraphe 2, 31, paragraphes 1) et 2) a) à d) ainsi que de l’article 32, paragraphe 1) e) de la loi du 5 mai 2006.
Il fait par ailleurs état des articles 18 b) et 26 paragraphe (3) a) et (4) de la loi du 5 mai 2006, pour reprocher au ministre une instruction défaillante de son dossier.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que le recours en réformation serait à rejeter comme non fondé.
En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 e) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’il apparaît qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Force est tout d’abord au tribunal de relever que les motifs qui sous-tendent la demande de protection internationale du demandeur sont de deux ordres, à savoir, d’une part, l’agression provenant de personnes qui feraient partie du parti politique de …, et, d’autre part, les violences policières subies suite à son arrestation.
Concernant l’altercation entre le demandeur et les personnes dénommés …, … et …, qui seraient des adhérents du parti politique de …, ces faits sont de nature à constituer des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’il s’agit d’infractions pour lesquelles la motivation des auteurs de ces infractions se fonde sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. Il y a lieu de constater que l’origine de ces menaces semble a priori provenir des opinions politiques du demandeur, étant donné que ce dernier aurait été attaqué pendant qu’il exposait « à vive voix les raisons pour lesquelles selon son opinion, le programme politique de … [serait] meilleur que celui de … (…) ». Le tribunal est cependant amené à constater que, bien qu’il s’agit a priori d’actes se fondant sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir les opinions politiques, le demandeur n’a pas rapporté des éléments qui permettent de retenir que ce seul événement ait pu atteindre le niveau de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 rendant sa vie intolérable en Serbie, cette agression, qui se résume à un incident isolé, sans que les auteurs de l’agression aient, dans les mois qui ont suivi l’incident, encore essayé de menacer, voire d’agresser, le demandeur, pris en sa globalité, ne constituant en particulier pas une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en l’espèce de la liberté d’opinion.
Force est encore au tribunal de constater que les violences policières subies suite à son arrestation ne sauraient être considérées comme constituant des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’il s’agit d’infractions de droit commun pour lesquelles il n’est pas établi que la motivation des auteurs de ces infractions se fonderait sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, le demandeur restant muet sur les raisons qui auraient pu amener les policiers à l’agresser.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner la situation générale en Serbie, pour apprécier si l'Etat serbe dispose d'un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner des actes tels que dénoncés par le demandeur et si les instances étatiques serbes étaient disposées ou capables d’assurer à la population une protection efficace, étant donné que le demandeur n’a pas fait état de craintes de persécutions fondées sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne le refus du ministre de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate que le demandeur base essentiellement son recours sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, en ce qui concerne les problèmes que le demandeur prétend avoir rencontré avec les dénommés …, … et …, ainsi qu’avec les autorités policières, force est de constater que ces problèmes sont également insuffisants pour établir dans son chef un risque réel de subir encore à l’heure actuelle les atteintes graves définies à l’article 37 de ladite loi du 5 mai 2006, étant souligné que l’article 37, lequel vise notamment la peine de mort, l’exécution ou la torture, exige que les persécutions subies atteignent une certaine gravité, laquelle n’est en l’espèce pas donnée, le demandeur ne se prévalant en l’espèce que de deux agressions physiques, au cours desquelles le demandeur aurait eu un hématome au visage et quelques hématomes dans le dos.
La même absence de gravité suffisante s’impose encore en ce qui concerne la crainte mise en avant par le demandeur, du fait de devoir vivre dans la crainte constante de faire l’objet des atteintes graves décrites ci-avant, le cas échéant, en restant cloîtré chez lui, ce qui constituerait pour lui de véritables tortures, sinon des traitements inhumains, sinon des traitements dégradants au sens de l’article 3 CEDH.
Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier ni des arguments du demandeur que la situation qui prévaut actuellement en Serbie corresponde à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 précité.
Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être annulée, voire réformée, ainsi que pour violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désigné par « la loi du 29 août 2008 ».
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur n’a à aucun moment fait état de craintes de persécution telles que définies à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 ni d’atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire sur le fondement de l’article 129 de la loi du 29 août 2008.
Il soutient par ailleurs que l’ordre de quitter le territoire aurait encore été pris en violation de l’article 3 de la CEDH, au regard des mêmes considérations que celles ayant été développées sous l’aspect du volet du recours ayant trait à la réformation de la décision de refus de la protection internationale. Le demandeur souligne à cet égard, que ce ne serait pas parce qu’il aurait été débouté de sa demande de protection internationale qu’il ne serait pas exposé à un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Serbie. Il souligne que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme prendrait en compte des risques de mauvais traitements résultant de facteurs purement objectifs, indépendants des autorités ou des droits internes de l’Etat de destination, en matière d’éloignement des étrangers. Il conclut que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale, serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe, de sorte que le champ d’application de l’article 3 CEDH serait beaucoup plus large que celui des articles 2 c) et 2 e) de la loi du 5 mai 2006, et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas faire valablement état d’un risque de traitements inhumains et dégradants dans son pays d’origine, qui interdirait son éloignement vers ce pays.
Enfin, il souligne que l’article 3 CEDH, combiné à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 poseraient un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 CEDH.
Il convient de rappeler que si l’article 3 CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés.
S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Serbie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, étant entendu par ailleurs qu’un défaut de protection de la part des autorités serbes reste à l’état de pure allégation, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Serbie soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 CEDH.
Partant, le recours en annulation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 22 février 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare irrecevable le recours principal en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 22 février 2012 portant refus d’une protection internationale ;
reçoit en la forme le recours en réformation formulé à titre subsidiaire contre la décision ministérielle du 22 février 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 22 février 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
2 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 10 mai 2012 par le premier vice-président en présence du greffier assumé Sabrina Knebler.
s. Sabrina Knebler s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 mai 2012 Le Greffier assumé du Tribunal administratif 17