Tribunal administratif N° 29238 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 octobre 2011 3e chambre Audience publique du 2 mai 2012 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 29238 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2011 par Maître Sabrina Martin, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 5 juillet 2011 prononçant à son égard la sanction disciplinaire d’une amende correspondant à cinq dixièmes d’une mensualité brute de traitement de base;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2011 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2012 par Maître Sabrina Martin au nom de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yasmine Cherifi, en remplacement de Maître Sabrina Martin, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 avril 2012.
Monsieur …, … auprès de l’administration de la Navigation Aérienne, entra au service de l’Etat le 1er septembre 1982 et obtint sa nomination définitive le 1er septembre 1984.
En date du 9 février 2010, le ministre du Développement durable et des Infrastructures saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après désigné par « le commissaire du gouvernement », de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur …. En date du 18 avril 2011, le commissaire du gouvernement transmit le dossier au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommé le « Conseil de discipline ».
Par une décision du 5 juillet 2011, le Conseil de discipline prononça à l’encontre de Monsieur … la sanction disciplinaire d’une amende correspondant à cinq dixièmes d’une mensualité brute de traitement de base.
Ladite décision est fondée sur les considérations en droit suivantes :
« […] Il convient tout d'abord de rappeler qu'aux termes de l'article 56 de la loi du 16 avril 1979 telle que modifiée, fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, l'instruction disciplinaire appartient au commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire ou à ses adjoints. L'article 56, paragraphe 2 du statut général dispose que lorsque des faits, faisant présumer que le fonctionnaire a manqué à ses devoirs, sont à sa connaissance, le membre du Gouvernement compétent saisit le commissaire du Gouvernement qui procède à l'instruction disciplinaire et que dans le cadre de cette instruction, il rassemble tous les éléments à charge et à décharge du fonctionnaire susceptibles d'avoir une influence sur les mesures à prendre.
En l'occurrence, le commissaire du Gouvernement a été saisi, non pas par un courrier de l'a.s.b.l. …, mais par un courrier du Ministre du Développement durable et des Infrastructures du 9 février 2010, d'une instruction disciplinaire à charge de …. La saisine du commissaire du Gouvernement est dès lors régulière.
S'il est par ailleurs vrai qu'au regard de l'article 1 du règlement grand-ducal du 8 mai 2007 pris notamment en application de la loi du 19 mai 1999 ayant institué une Direction de l'aviation civile, les comptes rendus d'événements qui mettent en danger un aéronef ou ses occupants, ont pour objectif la prévention des accidents et incidents et non la détermination de fautes et de responsabilités, le Ministre était néanmoins parfaitement en droit de diligenter une procédure disciplinaire concernant des faits qui étaient dans le domaine public pour avoir été commentés dans la presse et qui n'avaient de toute évidence aucune vocation à rester secrets. Il aurait au contraire été parfaitement incompréhensible que le Ministre compétent se désintéresse de cette affaire.
Interrogé dans le cadre de l'instruction disciplinaire le Directeur de l'Administration des enquêtes techniques a déclaré que son administration était chargée d'un rapport d'enquête technique qui n'était pas encore clôturé et que les éléments de cette enquête ne devraient en aucun cas trouver leur utilisation dans le cadre d'une instruction disciplinaire.
Si, pour employer les termes du règlement n° 996/2010 du Parlement Européen et du Conseil du 20 octobre 2010, l'unique objectif des enquêtes de sécurité devrait être la prévention des accidents et incidents et non pas la détermination des fautes ou des responsabilités, le but de la procédure disciplinaire est évidemment d'un autre ordre.
En effet, l'action disciplinaire s'exerce dans l'intérêt d'une profession ou d'un service public. Les sanctions prononcées doivent être compris sous cet aspect. Ainsi la répression disciplinaire tend à assurer la cohérence interne à l'administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité auprès des administrés (cf. TA 12 mars 2008).
Si l'enquête de sécurité ne peut pas avoir pour but la détermination des fautes et responsabilités, on ne saurait en déduire que toute procédure disciplinaire est interdite dans le domaine de l'aviation civile.
Il convient de constater par ailleurs que les fautes reprochées à … sont indépendantes de toute défaillance technique éventuelle et de toute vétusté éventuelle des installations, même si … tente en permanence de ramener les débats sur le terrain de la sécurité des installations techniques.
Si … avait respecté les procédures, l'incident grave du … ne se serait pas produit. Il est établi et … ne le conteste d'ailleurs pas, qu'il a donné l'autorisation à un avion … d'atterrir, sans avoir pris soin de vérifier au préalable avec une rigueur élémentaire que la voie était libre, et ceci, bien que la visibilité fût très réduite en raison du brouillard épais et bien qu'il n'ait pu ignorer qu'une camionnette avait reçu l'autorisation quelques minutes plus tôt de se rendre sur la piste. Il est en tout cas évident que … n'a pas pu entendre de la part de l'équipage du véhicule n° 23 la confirmation qu'elle avait quitté la piste puisqu'une telle confirmation n'a manifestement pas été donnée. Les deux agents se trouvaient sur la piste plongée dans le brouillard lorsque l'avion … a atterri. Il n'est pas permis d'admettre que les deux agents auraient confirmé leur départ de la piste tout en y restant avec leur véhicule au risque de leur vie. … affirme actuellement qu'il n'a entendu qu'un vague bruit émanant de l'installation radio qu'il a interprété comme la confirmation que l'équipage avait quitté la piste et il regrette aujourd'hui ne pas avoir sollicité une deuxième confirmation telle que prévue par la procédure anglaise.
Soit … avait tout simplement oublié la présence de la voiture n° 23 sur la piste vu le brouillard épais, soit … a, avec une négligence inimaginable, pris un bruit indéfinissable de l'installation radio pour une confirmation de libération de la piste d'atterrissage sans solliciter une nouvelle confirmation, avec les risques qu'il ne pouvait ignorer. Ces fautes ne trouvent manifestement pas leur origine dans une défaillance technique.
En agissant de la sorte … a manqué à l'article 9 paragraphe 1 du statut général qui lui impose de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose et au paragraphe 2 de cet article aux termes duquel il est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées.
Il a encore manqué à l'article 10 paragraphe 1 alinéa 1 du statut général qui lui impose d'éviter dans l'exercice de ses fonctions tout ce qui pourrait compromettre les intérêts du service public.
Aux termes de l'article 53 du statut général, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.
… est … auprès de l'Administration de la navigation aérienne. Il est entré en service le 1 er septembre 1982 et tient sa nomination du 1er septembre 1984 et aucun antécédent disciplinaire formel n'est consigné dans son dossier.
Le délégué du Gouvernement a proposé de condamner …, compte tenu, d'une part, de la gravité certaine des faits et, d'autre part, de la difficulté de la tâche incombant aux contrôleurs du ciel, à la suspension des majorations biennales ou au retard dans la promotion ou l'avancement.
Au vu de la gravité de la faute disciplinaire retenue à charge de … et à l'absence d'antécédents dans son casier disciplinaire, le Conseil décide de prononcer la sanction disciplinaire prévue aux articles 47.3 du statut général, à savoir l'amende qu'il fixe à cinq dixièmes d'une mensualité brute du traitement de base. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2011, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 5 juillet 2011 du Conseil de discipline.
Aux termes de l’article 54, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désigné par « le statut général », « en dehors des cas où le Conseil de discipline statue en appel, le fonctionnaire frappé d’une sanction disciplinaire prononcée par le Conseil de discipline ou suspendu conformément à l’article 48, paragraphe 1er, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, prendre recours au Tribunal administratif qui statue comme juge du fond. […] ».
L’article 54, paragraphe 2, précité, du statut général prévoyant un recours au fond contre les décisions du Conseil de discipline prononçant une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal dirigé contre la décision du Conseil de discipline du 5 juillet 2011 n’ayant pas statué en appel, mais ayant prononcé une sanction disciplinaire à l’égard du demandeur conformément à l’article 54, paragraphe 2, précité. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits ayant donné lieu à la décision entreprise, fait valoir trois ordres de moyens.
En premier lieu, il invoque la nullité de la procédure disciplinaire en faisant état d’une violation de l’article 1er (2), respectivement des articles 5 et 10 de la loi du 30 avril 2008 portant création de l’administration des enquêtes techniques et abrogation de la loi du 8 mars 2002 sur les entités d’enquêtes techniques relatives aux accidents et accidents graves survenus dans les domaines de l’aviation civile, des transports maritimes et des chemins de fer, en reprochant au conseil de discipline d’avoir statué sans le rapport établi suite à l’enquête technique prévue par la loi précitée du 30 avril 2008, en faisant valoir que ladite enquête technique constituerait un préalable obligatoire à toute procédure disciplinaire, et d’avoir statué uniquement sur base d’un rapport du directeur de l’Aviation civile et d’un rapport de l’administration de la Navigation aérienne, deux rapports que le demandeur qualifie de sommaires, alors que seule l’administration des enquêtes techniques instituée par la loi du 30 avril 2008 serait habilitée à mener une enquête. Dans ce même contexte, il fait valoir qu’une violation des droits de la défense et du principe du contradictoire consacrés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée « la CEDH », devrait être retenue, dans la mesure où toutes les causes ayant conduit à l’incident litigieux n’auraient pas été vérifiées et qu’il aurait fait l’objet d’une procédure disciplinaire sans avoir connaissance du rapport de l’enquête technique.
En second lieu, il invoque une violation de l’article 56 (2) du statut général en reprochant au commissaire du gouvernement de ne pas avoir instruit à décharge, sans rechercher les causes réelles de l’incident litigieux, qui d’après lui, serait dû à une défaillance technique, plus particulièrement à une défaillance au niveau du matériel de communication, dont il aurait fait état lors de son audition. Il en conclut que la sanction disciplinaire reposerait sur une instruction faite uniquement à charge, de surcroît prématurément transmise au conseil de discipline en l’absence du rapport de l’enquête technique.
En troisième lieu, le demandeur conclut à une absence de faute grave dans son chef, justifiant la sanction prise à son encontre, en invoquant une violation de l’article 10 respectivement de l’article 53, alinéa 1er du statut général.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Quant au premier moyen fondé sur une violation des articles 1er, 5 et 10 de la loi du 30 avril 2008, précitée, c’est à tort que le demandeur soutient que l’enquête technique y prévue constituerait un préalable obligatoire à une instruction disciplinaire. En effet, non seulement aucune disposition de la loi du 30 avril 2008, précitée, ni du statut général instaure l’enquête technique en un préalable obligatoire à une instruction disciplinaire, mais encore l’enquête technique prévue par la loi du 30 avril 2008 et l’instruction disciplinaire prévue par le statut général poursuivent deux objectifs différents. En effet, l’article 5 de la loi du 30 avril 2008, précitée, précise que l’enquête technique n’a en aucun cas pour objet de déterminer des fautes ou des responsabilités, mais elle est destinée à atteindre l’objectif de la loi du 30 avril 2008 tel qu’inscrit à son article 1er , à savoir celui d’améliorer la sécurité notamment dans le domaine de l’aviation civile par la prévention d’accidents ou d’incidents graves, alors que l’instruction disciplinaire a pour objet de déterminer si les manquements statutaires reprochés au fonctionnaire concerné s’avèrent avérés. Au regard des objectifs différents poursuivis par l’instruction disciplinaire et par l’enquête technique, la loi du 30 avril 2008 ne s’oppose pas à ce que le commissaire du gouvernement ait été saisi par le ministre non pas sur base de l’enquête technique prévue par ladite loi du 30 avril 2008, mais en s’appuyant sur deux rapports préliminaires, l’un de la direction de l’aviation civile, et l’autre de l’administration de la navigation aérienne.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de la loi du 30 avril 2008, précitée, est à rejeter comme étant non fondé.
Quant au moyen fondé sur l’article 6 de la CEDH invoqué par le demandeur dans le même contexte, il convient de relever que si ledit article n’est pas applicable à la phase administrative de la procédure disciplinaire des fonctionnaires de l’Etat, qui ne constitue qu’une étape d’un processus décisionnel et ne revêt pas en elle-même un caractère juridictionnel, mais a une nature purement administrative, l’autorité administrative est néanmoins tenue d’observer les principes généraux du droit qui s’imposent en la matière, dont plus particulièrement le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense. Force est cependant de constater qu’en l’espèce, ni l’instruction disciplinaire, ni la décision du Conseil de discipline n’ont été fondées sur le rapport de l’instruction technique prévu par la loi du 30 avril 2008, de sorte qu’un tel rapport n’a pas été invoqué à l’encontre du demandeur sans que celui-ci ait pu en prendre connaissance ou faire valoir ses moyens. Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue violation des droits de la défense, respectivement du principe du contradictoire est à rejeter pour manquer de pertinence.
En deuxième lieu, le demandeur invoque une violation de l’article 56 (2) du statut général, en reprochant au commissaire du gouvernement de ne pas avoir instruit à sa décharge.
En vertu de l’article 56 (2), alinéa 2 du statut général, le commissaire du gouvernement est obligé d’instruire à charge et à décharge du fonctionnaire contre lequel une instruction disciplinaire est menée.
Force est cependant de constater que contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, le commissaire du gouvernement a pris en compte, lors de son instruction, les explications fournies par le demandeur et tendant à justifier l’incident lui reproché par une défaillance technique du microphone utilisé pour les conversations avec l’avion et la camionnette impliqués dans l’incident du …. En effet, il se dégage du dossier administratif que plusieurs témoins, dont notamment le technicien qui a procédé à des tests sur le matériel de communication, ont été questionnés par le commissaire du gouvernement sur le fonctionnement du microphone litigieux. D’autre part, il se dégage du cachet du commissariat du gouvernement apposé sur le constat au sujet de l’état de fonctionnement du microphone FG21 du 18 février 2010 versé par le demandeur aux débats que contrairement à ce que semble insinuer ce dernier, cette pièce figurait parmi les pièces du dossier d’instruction.
Enfin, il se dégage du rapport d’instruction que le commissaire du gouvernement a pris en compte les explications du demandeur quant au dysfonctionnement allégué des installations techniques en ce que, sous le point 3.1.2. du rapport d’instruction, il a examiné les témoignages recueillis au regard de la question du fonctionnement des installations techniques et en ce qu’il a, sous le point 3.2. de son rapport, envisagé les responsabilités du demandeur sous deux angles, à savoir celui-ci de l’existence d’une défaillance technique et celui d’un défaut d’une défaillance technique.
Il s’ensuit que c’est à tort que le demandeur reproche au commissaire du gouvernement de ne pas avoir instruit à sa décharge, étant relevé que la seule circonstance que le commissaire du gouvernement n’a pas retenu une défaillance technique pour mettre à néant les reproches soulevés à l’encontre du demandeur ne permet pas de conclure à un manquement à son obligation d’instruire à décharge découlant de l’article 56 (2) du statut général. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter comme étant non fondé.
Enfin, le demandeur conteste tout manquement à ses obligations statutaires et met, pour le surplus, en cause la proportionnalité de la sanction prononcée à son égard.
Il est reproché au demandeur d’avoir accordé l’autorisation à un avion d’atterrir, alors qu’une camionnette d’entretien se trouvait toujours sur la piste d’atterrissage et ainsi de ne pas avoir respecté les procédures applicables en la matière.
Il est constant qu’en date du …, un avion a, lors de l’atterrissage, heurté une camionnette du service électrotechnique se trouvant encore sur la piste d’atterrissage.
Il n’est pas non plus contesté que le demandeur a, en sa qualité de contrôleur-tour responsable des avions sur l’aire de manœuvre et des avions en approche finale et au décollage, donné à l’avion en question l’autorisation d’atterrir et qu’il avait pareillement connaissance de la présence antérieure de la camionnette sur la piste.
Le demandeur soutient avoir demandé à son collègue de service, qui avait la qualité d’assistant-tour, de donner l’ordre à la camionnette de dégager la piste, tandis que lesdits agents contestent avoir reçu un quelconque ordre en ce sens. Le demandeur prétend plus précisément avoir entendu une confirmation des agents en charge de la camionnette qu’ils auraient dégagé la piste, pour ensuite, devant le Conseil de discipline, admettre avoir, le cas échéant, pris un bruit de l’installation de communication comme une telle confirmation.
Les contestations du demandeur portent dès lors sur la question de savoir si l’ordre qu’il prétend avoir demandé à son collègue de donner aux agents en charge de la camionnette se trouvant sur la piste a bien été réceptionné par ceux-ci. En l’occurrence, le demandeur soutient que le fait que la camionnette n’a pas quitté la piste serait dû, non pas à un oubli de sa part, mais à un dysfonctionnement du microphone de transmission de son collègue de service qui aurait donné l’ordre à la camionnette.
Il appartient au demandeur, qui en sa qualité de contrôleur-tour était au moment de l’incident responsable pour s’assurer que la piste soit dégagée avant qu’il accorde à un avion l’autorisation d’atterrir, d’établir que l’incident n’est pas dû à un manquement de sa part, mais, comme il le soutient, qu’il est dû à une défaillance technique du matériel de communication.
Il se dégage des dépositions des agents en charge du véhicule ayant été heurté par l’avion que ceux-ci n’ont reçu aucun ordre de dégager la piste.
Il est encore constant qu’il n’existe aucun enregistrement de l’instruction de dégager la piste que le demandeur déclare avoir donnée.
Quant à la question de savoir si le défaut de réception d’un tel ordre s’explique par un dysfonctionnement du matériel de communication ou par un oubli du demandeur, il se dégage des éléments du dossier d’instruction que le système de transmission des messages a fonctionné encore peu de temps avant l’incident et qu’il a également fonctionné peu de temps après. Dans la suite, le microphone FG21 a été contrôlé par des ingénieurs de la direction de l’aviation civile, qui sont arrivés à la conclusion que le matériel fonctionnait correctement, avec la seule réserve qu’il a été constaté que le câblage n’était pas exécuté selon les règles de l’art et qu’il fallait pousser le bouton-poussoir de la commande vocale à fond pour qu’une communication soit transmise. L’ingénieur en question a néanmoins encore souligné qu’il n’est pas certain que le microphone contrôlé était bien celui utilisé au moment de l’incident du …, puisque les contrôleurs en charge lors de l’incident avaient immédiatement après cet incident demandé à ce que le microphone soit échangé, celui ayant fait l’objet du contrôle étant néanmoins celui ayant été échangé. Il s’ensuit qu’au regard de ces éléments, les affirmations du demandeur que l’incident litigieux trouverait son origine dans un dysfonctionnement du matériel de communication ne se trouve pas établi. Le demandeur a certes encore fait état d’un autre non-fonctionnement du système de communication qui aurait été constaté en date du 17 février 2010 pour appuyer sa thèse. Néanmoins, le procès-verbal afférent ne renseigne pas qu’il s’agissait du même microphone que celui utilisé lors de l’incident du …, d’une part, le témoin … affirmant d’ailleurs qu’il ne s’agissait pas du même matériel et le témoin … mettant même en doute la réalité de l’incident en question du 17 février 2010, et même à admettre qu’il s’agisse du même matériel, un dysfonctionnement ponctuel en date du 17 février 2010 ne permet pas ipso facto de conclure à un pareil dysfonctionnement en date du …, d’autre part. Dès lors, que le cas échéant, d’autres appareils ou voire le même appareil n’aient dans la suite pas fonctionnés de manière correcte ne permet pas d’établir que le jour litigieux, le microphone utilisé n’ait pas fonctionné.
Au regard de ces éléments, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier, la thèse du demandeur fondée sur un dysfonctionnement du microphone utilisé ne peut pas être retenue comme établie.
Au-delà de ce constat, il convient encore de relever que le Conseil de discipline a retenu que les fautes reprochées au demandeur sont indépendantes de toute défaillance technique éventuelle, en relevant que soit le demandeur avait tout simplement oublié la présence de la voiture n° 23 sur la piste vu le brouillard épais, soit il a pris un bruit indéfinissable de l'installation radio pour une confirmation de la libération de la piste d'atterrissage sans solliciter une nouvelle confirmation, avec les risques qu'il ne pouvait ignorer et en concluant que dans les deux hypothèses les fautes commises ne trouvent manifestement pas leur origine dans une défaillance technique.
Le tribunal ne peut que confirmer la conclusion ainsi retenue par le Conseil de discipline. En effet, il se dégage du « Manual of Air Traffic Services » versé au dossier d’instruction et plus particulièrement de son point 4.1.11.3. que le contrôleur doit attendre la confirmation de l’instruction qu’il vient de donner (« read back ») pour s’assurer que son instruction a bien été réceptionnée. L’obligation d’attendre une telle confirmation n’a manifestement pas été respectée en l’espèce, dans la mesure où, même à admettre, comme le soutient le demandeur, que l’instruction qu’il déclare avoir donnée aux agents en charge de la camionnette n’a pas été réceptionnée par ceux-ci en raison d’une défaillance technique du microphone, le demandeur aurait pour le moins dû s’assurer de la réponse des agents avant d’accorder à l’avion l’autorisation d’atterrir, ce qu’il n’a pas fait. En effet, si une telle confirmation avait été donnée, comme le demandeur l’a prétendu lors de sa première audition, alors nécessairement le matériel de communication a fonctionné pour le moins à ce moment et ce message aurait dû être enregistré. Or, aucun tel enregistrement n’a été constaté. Soit le demandeur a mal interprété un bruit de l’installation technique comme étant une confirmation de la réception de l’instruction, comme il l’a déclaré dans une deuxième phase devant le Conseil de discipline. Dans cette deuxième hypothèse, le demandeur est néanmoins également à considérer comme étant en faute, en ce qu’il n’a pas pris toutes les mesures de précaution pour s’assurer du départ effectif de la camionnette de la piste d’atterrissage et s’est fié exclusivement à un bruit non autrement spécifié de l’installation radio. Ce comportement est d’autant plus reprochable que le jour en question, il y avait du brouillard, de sorte que la camionnette n’était pas visible pour les contrôleurs et qu’il était dès lors d’autant plus important de s’assurer que les messages par voie orale ont bien été compris et exécutés par les agents en charge de la camionnette avant d’accorder à un avion l’autorisation d’atterrir.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le Conseil de discipline a retenu des manquements aux obligations statutaires à charge du demandeur, en l’occurrence une violation de l’article 9, alinéa 1, du statut général suivant lequel le fonctionnaire doit se conformer aux règlements qui déterminent ses devoirs et l’exercice de ses fonctions ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs, à l’article 9, alinéa 2, du statut général rendant le fonctionnaire responsable de l’exécution correcte des tâches lui conférées, ainsi que de l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1 du statut général imposant au fonctionnaire d’éviter dans l’exercice de ses fonctions tout ce qui pourrait compromettre les intérêts du service public.
Quant à la proportionnalité de la sanction appliquée par le Conseil de discipline, il convient de relever qu’aux termes de l’article 53, alinéa 1er, du statut général, « l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé ».
Dans le cadre du recours en réformation introduit contre une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à apprécier la nature et la gravité des faits commis par l’agent en cause en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle de l’agent et ses antécédents éventuels.
En l’espèce, il est certes vrai que le demandeur n’a pas d’antécédents disciplinaires et qu’il a une ancienneté depuis 1982. Néanmoins, il y a également lieu de tenir compte de la responsabilité particulière attachée à la fonction exercée par le demandeur en ce que la sécurité des usagers de l’aéroport dépend de la bonne exécution de ses fonctions, de sorte qu’il est d’autant plus important qu’une rigueur absolue soit respectée au niveau de l’application des procédures en la matière. Il convient encore d’ajouter que si l’incident a impliqué uniquement des dégâts matériels, il est certain que les conséquences auraient pu être bien plus dramatiques.
Compte tenu de ces éléments et eu égard à la gravité des manquements retenus ci-
avant au regard des responsabilités particulières attachées à la fonction de contrôleur exercée par le demandeur, le tribunal est amené à retenir que la sanction prononcée en l’espèce par le Conseil de discipline, à savoir la troisième sanction la moins sévère de l’échelle des sanctions prévues par l’article 47 du statut général, correspondant d’ailleurs à une sanction nettement moins sévère que celles proposées par le délégué du gouvernement respectivement par le commissaire du gouvernement, n’est pas disproportionnée, mais adaptée aux éléments de la cause, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur.
Il s’ensuit que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit ledit recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 2 mai 2012 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 02.05.2012 Le Greffier du Tribunal administratif 9