Tribunal administratif Numéro 25397 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2009 3e chambre Audience publique du 8 décembre 2009 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25397 du rôle et déposée le 13 février 2009 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne Devin-Kessler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 13 novembre 2008 l’informant qu’il ne remplit pas la condition de qualification professionnelle requise pour l’exercice du métier de loueur de taxis et de voitures de location ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement en date du 18 mars 2009 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2009 par Maître Anne Devin-Kessler au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2009 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Anne Devin-Kessler, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 juin 2009 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 29 septembre 2009, prononçant la rupture du délibéré et invitant les parties à déposer des mémoires supplémentaires ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2009 par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2009 par Maître Anne Devin-Kessler au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions attaquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi Monsieur le délégué du gouvernement en Guy Schleder en ses plaidoiries à l’audience publique du 11 novembre 2009.
Par courrier du 27 août 2007, le ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il envisageait de lui retirer son autorisation d’établissement n°… délivrée le 1er juin 2006, au motif suivant : « […] il s’est avéré après vérifications que l’autorisation en question vous a été indûment octroyée sur base d’un faux document soumis à l’appui de votre demande, en l’occurrence un certificat CE.
En conséquence […] vous ne remplissez pas la condition pourtant fondamentale de qualification professionnelle requise expressément à l’article 3, alinéa 1er de la loi du 28 décembre 1988 en vue d’accéder à l’exercice d’une activité y prévue ». Le ministre indiqua par ailleurs à Monsieur … qu’il disposait d’un délai de huit jours afin de présenter, le cas échéant, des observations quant au retrait envisagé.
Par courrier du 27 septembre 2007, le ministre s’adressa de nouveau à Monsieur … dans les termes suivants : « Suite au courrier du 27 août 2007, il a été procédé à une reconsidération de la qualification professionnelle par un réexamen de votre dossier de la part de la commission prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997 et le 9 juillet 2004.
Il en résulte que vous ne remplissez pas la condition de qualification professionnelle requise pour l’exercice du métier de loueur de taxis et de voitures de location […]». Le ministre invita Monsieur … à produire un certificat du Centre commun de la sécurité sociale ou d’une autorité administrative compétente du pays de provenance attestant un stage de trois années dans le métier visé et attira, par ailleurs, l’attention de Monsieur … sur les cours de formation accélérée organisés par la Chambre de commerce du Grand-Duché de Luxembourg.
Par courrier du 15 octobre 2007, Monsieur … transmit au ministre un certificat de travail attestant qu’il a été employé par la société … s.a. en qualité de chauffeur de taxis du 6 octobre 1986 au 31 janvier 1988.
Le 9 novembre 2007, le ministre répondit à Monsieur … qu’avant que son dossier ne puisse faire l’objet d’un réexamen, il était prié de fournir un certificat « CE délivré soit par les « Chambres des Métiers ou Chambres de Commerce et de l’Industrie » pour les indépendants, soit par la « Direction Départementale du Travail et de l’Emploi » pour les salariés renseignant sur les activités professionnelles exercées en France ».
Le 15 juillet 2008, le ministre s’adressa de nouveau à Monsieur …, en les termes suivants : « […] Vu que la qualification que vous aviez initialement fournie était fausse et vu que vous n’avez pas fourni les pièces requises pour constater que vous disposiez des qualifications requises pour continuer votre entreprise de taxi, nous avons l’intention de procéder à la révocation de votre autorisation n°… du 1er juin 2006 […] ». Le ministre expliqua encore à Monsieur … qu’il disposait d’un délai de huit jours pour présenter ses observations quant au retrait envisagé.
Par courrier du 24 juillet 2008, adressé au ministre, Monsieur … expliqua ce qui suit :
« Faisant suite à votre courrier du 15 juillet 2008, je me permets de vous informer qu’en date du 17/07/2008 je vous ai transmis, par lettre recommandée, la pièce que vous m’aviez demander en date du 09 novembre 2007 pour compléter mon dossier, à savoir – l’Attestation C.E. délivrée par la « Direction Départementale du Travail et de l’Emploi ».
N’ayant pas reçu de vos nouvelles depuis, j’ai supposé que mon dossier était complet (…) » Par courrier du 3 octobre 2008, le ministre sollicita de Monsieur … un certificat attestant qu’il dispose des connaissances en gestion d’entreprise ou bien la preuve de la réussite au test clôturant les cours pour créateurs d’entreprises organisés par la Chambre des Métiers au Grand-Duché de Luxembourg.
En réponse à ce courrier Monsieur … fit parvenir au ministre par courrier du 20 octobre 2008, entré au ministère le 21 octobre 2008, une copie d’un extrait du registre du commerce et des sociétés de Briey, concernant la gestion d’une entreprise pendant la période du 1er février 1999 au 5 juin 1999.
Par courrier du 13 novembre 2008, le ministre s’adressa de nouveau à Monsieur … en les termes suivants : « Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre requête sous rubrique et plus particulièrement à votre lettre du 21 octobre 2008 ainsi qu'aux pièces supplémentaires versées au dossier à cette occasion. Votre demande a fait entre temps l'objet d'un réexamen de la part de la commission prévue à l'article 2 de la loi d'établissement du 26 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997 et le 9 juillet 2004.
Il en résulte que vous ne remplissez pas la condition de qualification professionnelle requise pour l'exercice du métier de loueur de taxis et de voitures de location no 318-11 de la liste artisanale prévue au règlement grand-ducal du 4 février 2005.
Avant tout progrès en cause, vous voudrez me produire la preuve de votre réussite au test clôturant les cours pour créateurs d'entreprises organisés par la Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg, conformément à l'article 2 (3) du règlement grand-ducal du 4 février 2005.
A toutes fins utiles, je vous signale que ce texte dispose comme suit : «Les personnes qui sollicitent l'autorisation d'établissement pour un métier secondaire sur base du stage au sens du paragraphe (2) doivent avoir des connaissances en gestion d'entreprise.
Les connaissances en gestion d'entreprise peuvent notamment être prouvées par la preuve de la réussite à une épreuve de connaissance de cours de gestion d'entreprise. Les cours de gestion d'entreprise doivent comporter au moins 45 heures de formation dans les différents aspects de la gestion d'entreprise» La présente décision peut faire l'objet d'un recours par voie d'avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif ».
Par requête déposée le 13 février 2009 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à l’annulation du courrier du ministre du 13 novembre 2008 l’informant qu’il ne remplit pas la condition de qualification professionnelle requise pour l’exercice du métier de loueur de taxis et de voitures de location et le priant de produire la preuve de sa réussite au test clôturant les cours pour créateurs d’entreprises organisés par la Chambre des Métiers au Grand-Duché de Luxembourg.
L’article 2, alinéa 8 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi que de certaines professions libérales, désignée ci-après par « la loi du 28 décembre 1988 », dispose que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en présence d’une décision d’octroi, de refus ou de révocation d’une autorisation d’établissement, de sorte qu’en l’espèce, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.
Quant à la recevabilité du recours, question d’ordre public pouvant être soulevée d’office par le tribunal, le tribunal demanda à l’audience publique du 24 juin 2009 aux parties en cause si un acte administratif avait suivi celui du 13 novembre 2008, déféré en l’espèce, et invita les parties à le déposer, le cas échéant, au greffe du tribunal administratif.
Le 26 juin 2009, le délégué du gouvernement déposa au greffe du tribunal administratif un courrier du ministre du 18 février 2009 adressé au demandeur, de la teneur suivante : « Par la présente, je reviens au courrier ministériel du 15 juillet 2008, étant donné que vous avez fait usage d'un faux afin de remplir les conditions de qualifications professionnelles requises et à défaut d'avoir présenté des preuves prouvant cette dernière, je révoque par la présente l'autorisation no … délivrée en date du 1ier juin 2006, conformément aux dispositions des articles 2 et 3 de la loi d'établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997 et le 9 juillet 2004.
A la même occasion, je vous informe que les différentes administrations et institutions suivantes ont été mises au courant : Chambre de Commerce, Chambre des Métiers, Administration de l'Enregistrement, Administration des Contributions Directes, Administration des Douanes et Accises, Inspection du Travail et des Mines, Centre Commun de la Sécurité Sociale et Ministère de la Justice.
Je vous prie dans ces conditions de remettre l'autorisation en question dans les meilleurs délais à mes services.
La présente décision peut faire l'objet d'un recours par voie d'avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif ».
Au vu de la pièce déposée, le tribunal prononça par avis du 29 septembre 2009 la rupture du délibéré, afin de permettre aux parties de prendre position quant au caractère décisionnel du courrier du 13 novembre 2008, déféré en l’espèce.
Le délégué du gouvernement estime que la seule décision ayant été prise en l’espèce serait celle du 18 février 2009 révoquant l’autorisation d’établissement n°… du 1er juin 2006.
Il en conclut que le recours dirigé contre la lettre du 13 novembre 2008 serait irrecevable dans la mesure où cette lettre ne constituerait qu’un acte préparatoire de la décision finale.
De son côté, le demandeur estime que lors d’une réunion dans les bureaux du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en septembre 2007, son interlocuteur aurait déclaré que son autorisation d’établissement était révoquée, ledit retrait lui aurait été signifié une nouvelle fois au moyen d’un courrier recommandé en date du 18 février 2009. Or, il ne saurait en découler que le recours dirigé contre le courrier du 13 novembre 2008 serait irrecevable. Dans cette hypothèse, le ministre aurait voulu l’induire en erreur en indiquant dans le courrier du 13 novembre 2008, les possibilités de recours contre ledit courrier.
Il convient de relever en premier lieu que l’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision1. Ainsi, échappent au recours contentieux les actes préparatoires qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci2 et non point des actes mettant définitivement fin à la procédure.
En l’espèce, le tribunal est amené à constater que le courrier déféré du 13 novembre 2008 se borne à informer le demandeur que suite aux pièces supplémentaires qu’il a déposées, et au réexamen de son dossier par la commission prévue à l’article 2 de la loi du 28 décembre 1988, il ne remplit toujours pas la condition de la qualification professionnelle requise pour l’exercice du métier de loueur de taxis, mais qu’avant tout progrès en cause il est invité à produire la preuve de la réussite au test clôturant les cours pour créateurs d’entreprises organisés par la Chambre des Métiers au Grand-Duché de Luxembourg.
Le courrier déféré du 13 novembre 2008 ne contient ainsi pas d’élément de nature à faire grief et ne s’analyse pas en une décision administrative mettant définitivement fin à la procédure.
En effet, il se borne à informer le demandeur qu’il ne présente pas les qualités professionnelles requises, sans pour autant procéder au retrait de l’autorisation d’établissement. Par ailleurs, l’expression « avant tout autre progrès en cause » utilisée par le ministre indique qu’avant de procéder à une décision définitive, il entend laisser au demandeur la possibilité de redresser la situation en participant aux cours organisés par la Chambre des Métiers et en évitant ainsi une décision finale défavorable.
Les considérations qui précèdent sont encore confirmées par la décision ministérielle du 18 février 2009, versée en cause par le délégué du gouvernement et procédant au retrait de l’autorisation d’établissement du demandeur. En effet, ladite décision, contrairement au courrier déféré du 13 novembre 2008, précise expressément « je révoque par la présente l’autorisation n°… délivrée en date du 1er juin 2006 […] », de sorte qu’elle contient sans équivoque un élément de nature à faire grief et qu’elle constitue l’acte final dans la procédure, en ce qu’elle retire définitivement l’autorisation d’établissement au demandeur.
Il s’ensuit que le courrier déféré ne constitue pas un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, mais s’analyse en un acte préparatoire de la décision 1 cf. trib. adm. 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm. 2008, V° Actes administratifs, n° 26 et autres références y citées.
2 cf. Cour adm. 22 janvier 1998, n° 9647C du rôle, Pas. adm. 2008, V° Actes administratifs, n°25 et autres références y citées.
finale intervenue le 18 février 2009. Le recours en annulation dirigé à l’encontre du courrier ministériel du 13 novembre 2008 est partant à déclarer irrecevable.
Enfin, ni le fait que le courrier du 13 novembre 2008 indique les voies de recours ouvertes à son encontre, ni le fait qu’un agent du ministère ait apparemment, en septembre 2007, déclaré au demandeur que son autorisation d’établissement était retirée, ne sont de nature à énerver les constatations qui précèdent, étant donné que ces indications ne confèrent pas pour autant un caractère décisionnel au courrier déféré.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 8 décembre 2009 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8.12.2009 Le Greffier du Tribunal administratif 6