Tribunal administratif N° 24796 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2008 3e chambre Audience publique du 1er avril 2009 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24796 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2008 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kinshasa (RDC), de nationalité congolaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 avril 2008 lui refusant l’autorisation de séjour et refusant de le tolérer provisoirement au Grand-Duché de Luxembourg et d’une décision confirmative prise par le même ministre le 4 juin 2008 suite à l’introduction d’un recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 février 2009.
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Le 5 mai 2003, Monsieur … introduisit une demande d’asile au Grand-Duché de Luxembourg.
Cette demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », du 5 décembre 2006.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision ministérielle fut définitivement rejeté en instance d’appel par un arrêt de la Cour administrative du 18 décembre 2007 (n° 23219C).
Par courrier de son mandataire du 11 mars 2008, Monsieur … présenta au ministre une demande sollicitant l’octroi d’une autorisation de séjour, sinon d’un statut de tolérance en insistant d’un coté sur le sort lui réservé en cas de retour en RDC et d’un autre côté sur l’absence de tout lien familial avec son pays d’origine et sur son degré d’intégration élevé au Luxembourg.
Par décision du 24 avril 2008, le ministre refusa de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour au motif que Monsieur … ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants pour subvenir à ses besoins et qu’il ne fait pas état de raisons humanitaires justifiant dans son chef l’octroi de l’autorisation sollicitée. Le ministre précisa par ailleurs :
« Toutefois je suis disposé à accorder une tolérance provisoire à titre tout à fait exceptionnel afin de permettre à votre mandant d’achever sa deuxième année en CITP-
chauffage sanitaire, à condition toute fois que votre mandant s’engage à retourner volontairement dans son pays d’origine. Par ailleurs, cette tolérance ne sera pas prorogeable ».
Par courrier de son mandataire du 14 mai 2008, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision. Il fit valoir qu’étant en possession d’une somme d’argent de 8.000 €, il disposerait des moyens suffisants pour subvenir à ses besoins. Il rappela à la même occasion les raisons humanitaires à l’appui de sa demande d’autorisation de séjour et ajouta que la décision en ce qu’elle a trait à la tolérance équivaudrait à un refus.
Par une décision du 4 juin 2008, le ministre confirma son refus antérieur relatif à l’autorisation de séjour et refusa de faire droit au statut de tolérance au motif qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait conformément à l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après la « loi du 22 mai 2006 ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 24 avril et 4 juin 2008.
Aucun recours au fond n’étant prévu en cette matière, le recours en annulation introduit est recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi.
1. Quant au refus de l’autorisation de séjour Monsieur … soulève d’abord que les décisions litigieuses devraient encourir l’annulation pour violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. Il souligne que le ministre se serait limité à reproduire comme seuls motifs à l’appui de son refus d’autorisation de séjour les conditions légales prévues par la loi, sans expliquer in concreto la raison pour laquelle il estimait qu’un montant de 8.000 €, dont il aurait fait preuve au moment de l’introduction de sa demande, ne serait pas considéré comme moyens personnels suffisants.
Il ajoute que dans la mesure où il disposerait sur son compte bancaire de la somme de 8.000 €, les décisions litigieuses devraient encourir l’annulation à cause d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il aurait disposé, au jour de la demande introduite, de revenus personnels légalement acquis, de sorte que l’autorisation de séjour n’aurait pas pu lui être refusée.
Le délégué du gouvernement complète la motivation relative au défaut de moyens d’existence personnels en précisant qu’une somme de 8.000 € ne saurait suffire pour vivre longtemps au Luxembourg, de sorte que la possession de cette somme serait insuffisante pour justifier de l’existence de moyens d’existence personnels suffisants au sens de la loi. Il relève à cet égard que l’intéressé ne disposerait ni d’un permis de travail, ni d’un visa lui permettant de continuer de subvenir à ses besoins.
En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.
En l’espèce, les décisions litigieuses sont motivées sur l’absence de moyens d’existence personnels suffisants, motivation qui a été utilement complétée en cours de procédure contentieuse, de sorte que le moyen mettant en cause une violation de l’article 6 cité ci-avant n’est pas fondé.
En ce qui concerne le bien fondé de ladite motivation, force est de constater que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a souligné que cette somme ne saurait suffire pour longtemps à Monsieur … de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, même à admettre que le demandeur soit peu dépensier, étant donné que le coût de la vie est relativement élevé au Luxembourg.
Il s’ensuit que le tribunal ne saurait retenir dans le chef du ministre une erreur manifeste d’appréciation des faits lui soumis en ayant retenu qu’un montant de 8.000 € ne saurait être considéré comme équivalent à des moyens personnels suffisants permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, de sorte que le moyen soulevé est à rejeter.
Quant à l’absence de raisons humanitaires valables lui opposée, le demandeur reproche au ministre de s’être encore livré à une erreur manifeste d’appréciation des faits, étant donné que les circonstances par lui relatées en rapport avec un éventuel retour dans son pays seraient à qualifier en tant que raisons humanitaires valables. Il renvoie à cet égard à son histoire vécue en RDC l’ayant poussé à fuir son pays et à poser une demande d’asile au Luxembourg. Il fait encore état de la perte de tout lien familial et social en RDC dans son chef et de l’absence de toute perspective d’avenir pour lui dans ce pays tout en insistant parallèlement sur le processus solide d’intégration qu’il aurait suivi au Luxembourg depuis son arrivée.
A ce titre, le délégué du gouvernement prend appui sur une jurisprudence des juridictions administratives ayant retenu qu’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires est une question de pure opportunité qui devrait échapper au contrôle de légalité, étant donné qu’aucun texte légal ne comporte de disposition imposant, voire prévoyant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.
A propos du deuxième motif de refus fondé sur l'absence alléguée de raisons humanitaires, il y a lieu de relever d'abord qu'aucun texte légal ne comporte de disposition imposant, voire prévoyant l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons humanitaires1 et que l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, ci-
après la « loi du 28 mars 1972 » s'il énonce certes de façon limitative les motifs de refus d'entrée et de séjour, ne définit pas pour autant les conditions auxquelles l'étranger doit répondre afin de bénéficier d'une autorisation de séjour.
Il s'ensuit que le ministre peut, en procédant à l'examen d'une demande en vue de l'octroi d'une autorisation de séjour, prendre en compte l'ensemble des éléments de fait et de droit qu'il estime nécessaires à son analyse et que, même dans le cas vérifié en l'espèce où l'une des conditions facultatives de refus est donnée, le ministre dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour accorder le bénéfice sollicité.
En l'espèce, le ministre a refusé de délivrer une autorisation de séjour en retenant de manière expresse au titre de motivation l'absence de raisons humanitaires.
Si les considérations de pure opportunité d'une décision administrative échappent certes au contrôle du juge de l'annulation, celui-ci garde néanmoins un droit et un devoir de contrôle portant sur l'existence du motif de refus concrètement invoqué (Cour adm. 12 juin 2007, n° 22626C). Il appartient en effet au juge administratif de vérifier si les faits à la base du motif de refus retenu par le ministre sont établis, ce contrôle faisant partie, avec la recherche de l'erreur de droit, de l'erreur manifeste d'appréciation et du détournement de pouvoir, du contrôle minimum pesant sur les actes, même sur ceux pris en vertu d'un pouvoir discrétionnaire (V° Jusrisclasseur administratif, Recours pour excès de pouvoir, Fascicule 1152, n° 78). En effet, même en l'absence de critères liant la compétence, un refus administratif ne peut être fondé que sur des motifs en liaison avec l'esprit de la loi et les intentions générales du législateur, étant entendu par ailleurs qu'un acte administratif, quel qu'il soit, ne peut jamais viser un but autre que d'intérêt général.
Ce contrôle ne saurait toutefois avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d'appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu'il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu'il appartient au seul ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l'égard des intéressés qu'à l'égard de l'opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence.
En l’espèce, les raisons humanitaires invoquées par Monsieur … en relation avec son histoire vécue en RDC ont déjà fait l’objet d’une analyse par les juridictions administratives dans le cadre de l’examen du recours contentieux introduit par celui-ci à l’encontre du refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que les mêmes éléments ne sauraient justifier à eux seuls la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.
Dans son arrêt du 18 décembre 2007, la Cour administrative a en effet retenu ce qui suit :
1 cf. Cour adm. 17 octobre 2006, n° 21574C du rôle « Considérant que l’appelant se dit persécuté et avoir été, bien qu’innocent, incarcéré dans le contexte des poursuites exercées à l’occasion de l’assassinat du président Laurent Désiré Kabila survenu en 2001 ;
Considérant que le ministre, dans la décision déférée, a énoncé comme motif de refus de la demande d’asile, que, à supposer même établi la réalité de l’incarcération dans le contexte de l’assassinat de Laurent Désiré Kabila survenu en 2001 ce fait serait « certes condamnable mais il ne saurait suffire pour fonder à lui seul un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié ou pour fonder dans votre chef une crainte justifiée d’être persécutée du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection » ;
que le ministre s’est encore référé aux efforts du pouvoir actuellement en place de rétablir la paix, ce pouvoir étant issu d’élections démocratiques tenues en 2006 ;
Considérant qu’il y a lieu de suivre le ministre en ce qu’il a retenu que les faits gisant à la base de la demande d’asile ne relèvent pas de motifs d’asile tels que définis à la Convention de Genève, l’appelant n’affirmant pas même, se limitant à invoquer un emprisonnement illégal en présence de son innocence, que les actes incriminés procéderaient de l’une des causes d’asile définies à la Convention ;
Considérant en ce qui concerne le risque en cas de retour en son pays, s’il est exact que la loi du 5 mai 2006 porte en son article 26(4) que « Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas », il n’en est pas moins que, dans le cadre d’un recours en réformation, la situation en fait et en droit d’une cause est à apprécier au moment où statue le juge, c’est-à-dire en considération, en l’espèce, du changement de situation en République Démocratique du Congo retenue par le ministre et dont la Cour partage l’appréciation ;
que cette modification de la situation politique depuis les évènements de 2001 et la fuite de l’appelant en 2003 est de nature à contredire l’« indice sérieux de la crainte fondée…d’être persécuté » qui en perd sa pertinence ;
Considérant qu’il en est de même pour ce qui est des évènements ayant eu lieu depuis le départ du demandeur et des « activités exercées par le demandeur depuis son départ » visés à l’article 27 de la même loi, alors que le fait par l’appelant d’avoir publiquement, lors de son séjour au Luxembourg, critiqué la régularité des élections de 2006 ne saurait constituer en l’espèce « une crainte fondée d’être persécuté ou un risque de subir des atteintes graves » au sens de la loi, ceci encore en considération du rétablissement de la situation en son pays d’origine et par ailleurs alors que la condition d’appréciation du texte n’est pas donnée, condition qui prévoit qu’il soit « établi que les activités sur lesquelles cette demande se fonde constituent l’expression et la prolongation de convictions ou d’orientations affichées dans le pays d’origine », alors que le demandeur d’asile a déclaré en sa déposition du 9 juillet 2003 ne pas avoir eu de problèmes du fait de son adhésion politique, situation dont il n’y a pas lieu de présumer une détérioration en présence de changements positifs de la situation de la République Démocratique du Congo depuis les évènements visés ci-dessus ».
En l’absence de toute définition légale contraignante de ce qu’il y a lieu d’entendre par raisons humanitaires, le ministre a partant valablement pu estimer que des raisons humanitaires en relation avec sa situation vécue en RDC pour accorder l’autorisation de séjour n’existaient pas en cause.
En ce qui concerne l’intégration de Monsieur … au Luxembourg et l’absence de toute perspective dans son pays d’origine, le tribunal n’entrevoit pas en quoi sa situation serait différente de celle de grand nombre d’autres demandeurs d’asile déboutés.
Monsieur … fait encore valoir que les décisions litigieuses violeraient l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et l’article 14, alinéa dernier de la loi du 28 mars 1972.
A ce sujet, il y a cependant lieu de relever que la référence à l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée n’est pas pertinente en l’espèce, la disposition d’ordre humanitaire de l’article 14 ne s’appliquant qu’à la matière de l’expulsion et de l’éloignement, matière étrangère à la question de l’attribution d’une autorisation de séjour2.
Le même raisonnement est à appliquer en ce qui concerne l’article 3 CEDH3. En effet, si cet article prohibe certes non seulement à l’Etat partie à ladite convention de pratiquer la torture et de ne pas infliger de traitements inhumains ou dégradants, mais impose également à l’Etat une sorte d’obligation de comportement consistant à protéger toute personne relevant de sa juridiction contre une situation irrémédiable de danger objectif de mauvais traitement, même si cette situation s’accomplit en dehors de sa juridiction, cette disposition interdisant par conséquent à l’Etat d’expulser ou de rapatrier une personne vers son pays d’origine où il est établi que la vie de l’intéressé est menacée et que les autorités qui y sont au pouvoir ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du pays concerné ou tolèrent voire encouragent des agressions, de sorte à justifier que l’intéressé soit admis à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au moment où la circonstance de fait aura cessé, l’article 3 CEDH n’est en revanche pas de nature à imposer à l’Etat d’accorder à la personne intéressée une autorisation de séjour au sens de la loi du 28 mars 19724.
Il s’ensuit que ces reproches ne sont pas de nature à énerver la régularité et la légalité de la décision portant refus d’entrée et de séjour.
Enfin, Monsieur … fait encore valoir que les décisions litigieuses violeraient l’article 8 de la CEDH.
L’article 8 de la CEDH dispose que :
« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2 Cf. CA 29 novembre 2005, n° 20059C, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, n° 314.
3 Cf. TA 6 février 2006, n° 20365, Pas.adm. 2008, V° Etrangers, n° 317.
4 TA 23 janvier 2008, n°23224 et 23426, confirmé par CA 8 juillet 2008, n° 24114C 2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.
L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.
S’il est exact que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que « le respect de la vie privée doit aussi englober dans une certaine mesure le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables » il n’en reste pas moins qu’il y a lieu d’analyser cas par cas si la vie privée invoquée est susceptible de tomber dans le champ d’application de l’article 8 de la CEDH.
En l’espèce, Monsieur … est venu en mai 2003 à l’âge adulte de 25 ans au Luxembourg.
La période y passée est somme toute relativement courte s’étalant sur une durée de 3 ans et demi. A partir de l’arrêt de la Cour administrative du 18 décembre 2007 rejetant définitivement son recours à l’encontre de la décision lui refusant une protection au Luxembourg, Monsieur … est fixé sur son sort et sait qu’il est obligé de quitter le pays. A cela s’ajoute que Monsieur … est venu seul au Luxembourg, que toute sa famille se trouve en RDC et qu’il dispose d’une formation qui devrait lui permettre de trouver relativement facilement du travail dans son pays d’origine en cas de retour et de s’y intégrer de nouveau après une période d’absence qui a été inférieure à 5 ans.
Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de retenir que la vie privée invoquée par le demandeur ne s’analyse pas en vie privée au sens de l’article 8 de la CEDH, de sorte que le moyen invoqué est à rejeter pour ne pas être fondé.
La référence à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 août 1996 dans une affaire C. c Belgique n’est pas pertinente étant donné que les faits soumis à l’analyse de la Cour diffèrent substantiellement de ceux soumis au tribunal en l’espèce.
En effet dans l’affaire soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, l’intéressé de nationalité marocaine soumis à une mesure d’expulsion pour avoir commis des infractions pouvait se prévaloir d’une vie familiale et privée en Belgique. A ce titre la Cour a souligné :
« La Cour note l'existence d'attaches réelles du requérant avec la Belgique, où il a vécu dès l’âge de onze ans avec ses parents, son frère et ses sœurs, dans une habitation appartenant à la famille. Il y a suivi une partie de sa scolarité́, reçu une formation professionnelle et exercé le métier de chauffeur de taxi dans l'entreprise familiale. Plus tard, il y a habité avec sa femme et son fils, lui-même né et scolarisé en Belgique. Contrairement à ses sœurs, toutefois, il n'a pas demandé la naturalisation ». Il y a encore lieu de préciser que la Cour a retenu dans cette espèce que l’expulsion n’était pas disproportionnée aux buts légitimes poursuivis et que partant il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la CEDH.
Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse, dirigé contre le refus ministériel de séjour, n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme n’étant pas fondé.
2. Quant au refus de la tolérance Monsieur … fait valoir que la notion de « statut de tolérance » ne serait pas contenue dans le texte de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006. Le statut de tolérance ne constituerait donc pas un statut légal que le ministre accorderait ou non et qui serait soumis à des conditions et conséquences juridiques. Le texte n’instituerait qu’un pouvoir discrétionnaire du ministre d’accepter une situation de fait crée par des circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement de l’intéressé. Ainsi la limite au pouvoir discrétionnaire du ministre serait constituée par l’existence de circonstances de fait, alors qu’il ne pourrait décider de tolérer une personne provisoirement sur le territoire que si des circonstances de fait rendent impossible l’exécution matérielle de l’éloignement. Le ministre qui aurait compétence pour délivrer une attestation prévue par l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006 serait également compétent pour procéder à l’éloignement de l’étranger, de sorte qu’il appartiendrait à lui seul de décider quelles circonstances de fait seraient susceptibles de rendre l’exécution matérielle de l’éloignement impossible. La décision de refus du 4 juin 2008 serait dès lors illégale au motif que le ministre ne pourrait exiger de sa part la preuve de circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement dans la mesure où lui-même aurait décidé de le tolérer sur le territoire.
A titre subsidiaire, au cas où le tribunal estimerait qu’il serait nécessaire de prouver de telles circonstances, il estime que dans la mesure où le ministre lui a proposé dans son courrier du 24 avril 2008 une tolérance provisoire, il y aurait lieu d’admettre que de telles circonstances auraient existé à l’époque.
A titre tout à fait subsidiaire, le demandeur estime qu’il aurait prouvé à suffisance les circonstances de fait rendant impossible l’exécution matérielle de son éloignement. En effet, ces circonstances de fait seraient à rechercher dans sa situation personnelle rendant son retour dans son pays d’origine impossible en raison de son intégration au Luxembourg et des risques encourus en cas de retour.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur. Il précise qu’on ne pourrait prétendre que le ministre aurait décidé de tolérer Monsieur … au Luxembourg dans la mesure où la tolérance devrait résulter d’un acte positif, d’une décision administrative. Il donne également à considérer que si le demandeur, débouté de sa demande de protection internationale, est resté au Luxembourg, ce ne serait pas par volonté gouvernementale ou par empêchement matériel, mais en raison du refus du demandeur de retourner volontairement dans son pays d’origine. Pour le surplus le demandeur ne ferait que produire les mêmes moyens que ceux avancés dans le cadre de l’autorisation de séjour sollicitée, moyens qui seraient étrangers à la notion de tolérance et qui auraient déjà été toisés par le tribunal dans le cadre de la protection internationale.
Aux termes de l’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006 « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ». L’article 22 (3) de la même loi ajoute : « Une attestation de tolérance est remise à l’intéressé (…) ».
Il s’ensuit que la décision du ministre de tolérer provisoirement une personne sur le territoire du Grand-Duché est réservée aux demandeurs de protection internationale déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle.
Quant au moyen principal du demandeur selon lequel le ministre aurait décidé de le tolérer alors qu’il aurait accepté sa présence sur le territoire du Grand-Duché depuis le rejet de sa demande de protection internationale, force est au tribunal de constater que le fait de tolérer une personne déboutée de sa demande de protection internationale sur le territoire constitue une faculté du ministre que celui-ci peut exercer si l'exécution de la mesure d'éloignement, qui est de droit en cas de refus du statut de refugié, est matériellement impossible.
La preuve d’une éventuelle impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement obéit cependant aux règles de preuve de droit commun, ce qui implique que pour tolérer l’étranger sur le territoire – auquel cas le ministre est effectivement obligé de délivrer à l’étranger une attestation de tolérance – le ministre doit vérifier l’existence de circonstances qui empêchent l’exécution matérielle de l’éloignement. L’application du droit commun entraîne encore qu’en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l’existence, en l’occurrence à l’étranger qui revendique cette tolérance, d’en établir l’existence. Aucune présomption d’existence de circonstances matérielles empêchant l’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement n’existe en la matière et elles ne se déduisent pas ipso facto du séjour, même prolongé, sur le territoire de l’étranger débouté de sa demande d’asile5.
Dès lors, le moyen afférent du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.
Etant donné dès lors qu’il appartient au demandeur de faire preuve des circonstances de fait empêchant l’exécution matérielle de son éloignement, le tribunal est, par ailleurs, amené à constater que le demandeur reste en défaut de démontrer de telles circonstances.
S’il est certes exact que le ministre a, à travers son courrier du 24 avril 2008, proposé une tolérance pour une durée déterminée à Monsieur …, il n’en reste pas moins que suite au refus du demandeur d’accepter ladite proposition, le ministre a refusé la tolérance à travers une décision du 4 juin 2008 en la motivant sur l’absence de circonstances de fait rendant l’exécution matérielle de l’éloignement impossible, de sorte qu’au stade actuel le demandeur ne saurait dégager d’une attitude a priori favorable de la part du ministre adoptée à un certain moment au cours de la procédure d’examen de la demande introduite l’existence de circonstances de fait dans son chef, étant donné qu’il se dégage sans équivoque de la décision sous-examen que le ministre a refusé en fin de compte de faire droit à sa demande.
En l’espèce, il est constant que le demandeur a été définitivement débouté de sa demande d’asile, de sorte qu’il sera éloigné du territoire, conformément aux termes de l’article 22 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Dans ce contexte, l’allégation des risques encourus en RDC au vu de la situation générale et sécuritaire prévalant actuellement audit pays, à les supposer établies, ne sauraient 5 Cf. CA 11 novembre 2008, n° 24693C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
être considérés comme étant constitutives d’obstacles matériels rendant l’exécution matérielle de son éloignement impossible, étant entendu que les obstacles visés par la loi à travers l’emploi des termes « exécution matérielle » doivent avoir trait à l’éloignement proprement dit et non aux conditions d’accueil réservées à la personne concernée dans son pays d’origine.
Enfin en ce qui concerne la bonne intégration au Luxembourg, cet élément ne relève pas du cadre légal de la tolérance, le demandeur ne précisant en outre pas où résiderait dans ce contexte l’impossibilité matérielle justifiant l’octroi d’une attestation de tolérance.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er avril 2009 par :
Marc Feyereisen, président, Catherine Thomé, premier juge, Françoise Eberhard, juge, en présence du greffier Claude Legille.
s. Claude Legille s. Marc Feyereisen 10