Tribunal administratif N° 24926 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2008 Audience publique du 17 novembre 2008 Recours formé par Madame … et consorts contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 15 L.5.5.2006)
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Vu la requête déposée le 17 octobre 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Serbie) agissant en son nom propre ainsi qu’en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs …, ayant demeuré ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 septembre 2008, notifiée le 15 octobre 2008, par laquelle le ministre s’est déclaré incompétent sur base de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection et de l’article 9 § 4 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 pour statuer sur sa demande en protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 3 novembre 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG au nom et pour le compte de la demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Olivier LANG, Monsieur le délégué du Gouvernement Claude LICK et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 10 et 17 novembre 2008.
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Le 29 juillet 2008, Madame … agissant tant en son nom personnel qu'en celui de ses enfants mineurs … , introduisit oralement une demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 18 septembre 2008, notifiée à la demanderesse en mains propres en date du 15 octobre 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, se basant sur la disposition de l'article 9, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement n° 343/2003 », se déclara incompétent pour connaître de la demande d'asile, soulignant que ce serait la République fédérale d'Allemagne qui serait responsable du traitement de leur demande d'asile. Cette compétence est basée sur le fait que les enfants de Madame … seraient titulaires de visas d'entrée délivrés par les autorités allemandes et valables du 22 juillet 2008 au 4 août 2008.
Les autorités luxembourgeoises ont dans la suite sollicité et obtenu le 16 octobre 2008, de la part des autorités allemandes, un engagement de reprise en charge de Madame … et de ses enfants, qui ont été transférés en Allemagne en date du 21 octobre 2008.
Par requête déposée le 17 octobre 2008, Madame … agissant tant en son nom personnel qu'en celui de ses trois enfants mineurs a introduit un recours tendant à l'annulation de la décision d'incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 18 septembre 2008.
La demanderesse conteste à l’appui de son recours que ses enfants seraient titulaires des visas dont se prévaut le ministre pour asseoir sa décision d'incompétence.
Elle fait encore plaider qu’à admettre que ses enfants soient titulaires desdits visas, ce qu’elle conteste formellement, aucun critère du règlement n° 343/2003 ne désignerait un autre Etat membre pour examiner sa demande personnelle de protection internationale ; dès lors elle estime qu’en application de l’article 3, paragraphe 1er, du règlement n° 343/2003, seul le Grand-Duché de Luxembourg serait compétent pour connaître de sa demande personnelle.
Sur base de ce constat, la demanderesse se prévaut ensuite des dispositions de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 343/2003, aux termes desquelles la situation d’un mineur accompagnant un demandeur d’asile serait indissociable de celle de son parent, de sorte que l’Etat responsable de l’examen de la demande dudit parent serait également responsable pour connaître de la situation du mineur.
Elle fait plus particulièrement plaider à ce sujet, au vu des dispositions afférentes du règlement n° 343/2003, que ce serait le sort réservé à la demande du parent qui déterminerait celui à réserver à celle des enfants, et non l’inverse comme l’aurait décidé le ministre.
A titre subsidiaire, Madame … conteste encore que la base légale invoquée par le ministre, à savoir l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 343/2003, puisse légalement fonder la décision d’incompétence déférée, cette disposition n’étant pas de nature à s’appliquer à sa situation, alors qu’elle ne serait pas titulaire d’un quelconque titre de séjour ou visa : par ailleurs, elle relève qu’en tout état de cause, les visas attribués à ses enfants, périmés, ne leur auraient pas permis l’entrée sur le territoire d’un Etat membre, que ce soit en Allemagne, où ils ne se seraient plus rendus depuis 1998 ou au Luxembourg, où ils seraient entrés de manière clandestine.
Le délégué du Gouvernement, pour sa part, estime que la demanderesse ferait une interprétation erronée des dispositions du règlement n° 343/2003. Il expose ainsi que l’article 4, paragraphe 3 poserait le principe selon lequel la situation du demandeur mineur qui accompagne un demandeur majeur est indissociable de la situation du parent, la disposition en question ajoutant que la situation du mineur relève de la responsabilité de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile du parent, responsabilité qui serait déterminée au chapitre III, et, en ce qui concerne la situation de la demanderesse et de ses enfants, par les articles 9, paragraphe 4, et 14.
Il souligne que si la situation du mineur suit celle du majeur, le texte de l'article 4, paragraphe 3 n'exclurait pas l'application des articles 9, paragraphe 4, et 14 qui s'appliqueraient à tout membre de la famille, sans distinguer qu’il s’agisse d'un majeur ou d'un mineur. Selon le représentant étatique, en application de l’article 14, étant donné que tous les membres de la famille requérante avaient simultanément déposé des demandes d'asile au Luxembourg, et que la seule application de l'article 9, paragraphe 4, aurait conduit à séparer les membres de la famille, serait responsable de l'examen des demandes d'asile de l'ensemble des membres de la famille, l'Etat membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux, ce qui serait au vu des trois visas délivrés l'Allemagne.
L'article 4, paragraphe 3, qui ne constituerait donc pas un critère alors qu'il ne serait pas inclus dans l'hiérarchie des critères du chapitre III, fixerait dès lors seulement le principe général que l'enfant ne doit pas être séparé du parent, mais n'exclurait selon le délégué du Gouvernement pas l'application des critères de détermination des articles 9 et 14.
La demanderesse, dans son mémoire en réplique, s’oppose à l’argumentation de la partie étatique en faisant plaider que l’article 14 invoqué par le délégué du Gouvernement ne concernerait que les demandes d’asile présentées par des membres d’une famille, alors qu’en l’espèce les enfants mineurs de la demanderesse n’auraient pas déposé de telle demande, mais qu’ils l’accompagnaient seulement lorsqu’elle avait présenté sa demande.
Elle relève encore que le règlement n° 343/2003 prévoirait des règles spécifiques pour les mineurs et qu’il distinguerait notamment lorsque des mineurs sont accompagnés par leurs parents et lorsqu’ils ne le sont pas.
Enfin, elle réitère ses contestations en ce qui concerne la délivrance alléguée de visas à ses enfants tout comme elle conteste que ces visas, à supposer qu’ils existent, aient réellement permis leur entrée sur le territoire d’un Etat membre.
Etant donné que l’article 17 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en annulation contre la décision d’incompétence, une requête sollicitant l’annulation de cette décision d’incompétence a pu valablement être déposée. Le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
En ce qui concerne le fond du présent litige, l’article 15 de la loi relative au droit d’asile précise en son alinéa 1er que « si, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, un autre pays est responsable de l’examen de la demande, le ministre surseoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la prise respectivement reprise en charge » et en son alinéa 2 « Lorsque le pays responsable accepte la prise en charge, le ministre se déclare incompétent pour l’examen de la demande de protection internationale par une décision motivée qui est communiquée par écrit au demandeur. Les informations relatives au droit de recours sont expressément mentionnées dans la décision. Le demandeur est transféré vers le pays responsable de l’examen de sa demande ».
Par ailleurs, conformément à l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 343/2003 prévoit que « si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis l'entrée sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres. Lorsque le demandeur d'asile est titulaire d'un ou plusieurs titres de séjour périmés depuis plus de deux ans ou d'un ou plusieurs visas périmés depuis plus de six mois lui ayant effectivement permis l'entrée sur le territoire d'un État membre et s'il n'a pas quitté le territoire des États membres, l'État membre dans lequel la demande est introduite est responsable ».
En l’espèce, il ressort des documents versés en cause que contrairement aux allégations de la demanderesse, non seulement elle-même a demandé l’obtention d’une protection, mais encore que ses enfants mineurs … ont expressément formulé une demande en ce sens, tous les membres de la famille ayant à cet égard signé un formulaire par lequel ils sollicitent « politiki azil ».
Or, conformément à l’article 2, point d), du règlement n° 343/2003, est considéré comme « demandeur d’asile » le ressortissant d’un pays tiers ayant présenté une demande d’asile sur lequel il n’a pas encore été statué définitivement : il s’ensuit que tant Madame … que ses trois fils doivent être considérés individuellement comme demandeurs d’asile au sens du prédit règlement.
Les moyens de la demanderesse tendant à instaurer un traitement différencié entre sa situation de demanderesse en protection internationale et celles de ses fils, qu’elle présente comme l’ayant uniquement accompagnée, sont dès lors à écarter, tout comme d’ailleurs ceux relatifs à la qualité de mineurs de ses fils, le règlement n° 343/2003 ne prévoyant pas de traitement différencié des mineurs d’âge demandeurs d’asile, sauf le cas prévu à l’article 6 des mineurs non accompagnés, cas étranger à celui des fils de Madame ….
Le tribunal constate encore au vu des pièces versées en cause par la partie étatique que contrairement aux contestations afférentes de la demanderesse, tant elle-même que ses fils ont tous présenté en date du 15 juillet 2007 respectivement, en ce qui concerne … en date du 22 juillet 2008, une demande en obtention d’un visa auprès de l’ambassade d’Allemagne à Sarajevo, visas qui leur furent accordés le 22 juillet 2008 avec une validité expirant le 4 août 2008. Il résulte encore implicitement mais nécessairement de l’acceptation par l’Allemagne de sa compétence à traiter les demandes d’asile des consorts … sur base du prédit article 9, paragraphe 4, du règlement n° 343/2003 que cet Etat a confirmé la délivrance des visas en question.
Il y a encore lieu de retenir que ces constatations officielles sont de nature à pallier la défaut de production par l’Etat des visas litigieux, respectivement des copies de ceux-ci en tant que preuve matérielle, étant souligné que la demanderesse ne saurait reprocher au ministre une situation - à savoir le défaut de production de ces visas - qu’elle était à même de provoquer elle-même alors qu’elle et ses fils n’ont pas, en tant que titulaires initiaux des visas, communiqués ceux-ci aux services compétents du ministère à l’occasion du dépôt de leur demande de protection internationale.
Si la demanderesse maintient certes à cet égard ses contestations, du moins en affirmant ne pas avoir elle-même eu connaissance d’une telle demande, qui aurait sans doute été présentée à son insu par les passeurs, le tribunal ne saurait ne saurait ni accorder de crédit à ces affirmations, la demanderesse et ses enfants ayant produit des photographies à l’appui de leurs demandes, de sorte qu’ils ne pouvaient pas raisonnablement ignorer l’existence de ces demandes, ni tirer une quelconque conséquence juridique du fait éventuel que les demandes en question aient été introduites non pas personnellement par la demanderesse et ses enfants, mais pour leur compte par des passeurs, l’article 9 du règlement n° 343/2003 n’attachant aucune conséquence juridique à l’introduction d’une demande en obtention d’un titre de séjour ou d’un visa, mais prenant uniquement en compte le fait qu’une personne soit titulaire d’un tel titre de séjour ou d’un tel visa.
Il s’ensuit que la demanderesse et ses fils doivent encore être considérés comme titulaires de visas périmés depuis moins de six mois tels que visés par l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 343/2003.
La demanderesse fait plaider à cet égard, comme relevé ci-avant, que le simple fait d’être titulaire d’un visa périmé serait insuffisant, le texte de l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 343/2003 exigeant que le visa en question ait effectivement permis l’entrée sur le territoire d’un Etat membre, cette entrée effective devant être établie par exemple par l’apposition d’un tampon sur le visa par les autorités de l’Etat membre sur le territoire duquel le titulaire du visa aurait pénétré. Affirmant cependant être entrée avec ses fils clandestinement au Luxembourg, elle estime que la disposition précitée ne lui serait pas applicable.
Si le texte de l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 343/2003 exige certes que les visas dont question doivent avoir « effectivement permis l’entrée sur le territoire d’un Etat membre » à leurs titulaires, cette condition n’est cependant à lire comme imposant un usage effectif des visas lors de l’entrée sur le territoire, de sorte qu’a contrario, comme plaidé en l’espèce, l’entrée clandestine du titulaire d’un tel visa ne tomberait pas sous le champ d’application de la disposition, mais comme se rapportant à la possibilité légale d’entrer réellement sur le territoire, par opposition à certains types de visas qui, bien que délivrés par un Etat membre, ne permettent pas à leur titulaire d’« entrer effectivement » sur leur territoire, tels que notamment les visas de transit aéroportuaire visés à l’article 2, point k), iv) du règlement n° 343/2003 qui permettent de passer par la zone de transit d’un aéroport sans cependant accéder au territoire de l’Etat membre concerné.
Le ministre s’est en l’espèce prévalu de la délivrance par les autorités allemandes de visas valables respectivement du 22 juillet 2008 au 4 août 2008 au profit de Madame … et de ses fils, habilitant ceux-ci à « entrer effectivement » sur le territoire d’un Etat membre - en l’occurrence l’Allemagne - de sorte qu’il a valablement pu se prévaloir des dispositions de l’article 9, paragraphe 4, du prédit règlement n° 343/2003 pour conclure à sa propre incompétence ainsi qu’à la compétence de la République fédérale d’Allemagne afin de traiter de la demande de protection internationale des consorts ….
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par Madame … est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 novembre 2008 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
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