Tribunal administratif N° 23873 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2007 Audience publique du 7 juillet 2008 Recours formé par les époux …, … contre une décision du bourgmestre de la Ville de Luxembourg en matière d’accès à la voirie
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23873 du rôle et déposée le 21 décembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …-…, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de refus du bourgmestre de la Ville de Luxembourg datée du 9 octobre 2007 leur refusant la reconnaissance d’un emplacement de stationnement aménagé dans le passage cocher de leur immeuble sis à Luxembourg, …, ainsi qu’un accès à la voirie y relatif ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 28 décembre 2007 portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2008 par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2008 par Maître Christian POINT pour compte de la Ville de Luxembourg ;
Vu la communication de ce mémoire en réponse au mandataire des demandeurs intervenue par télécopie en date du même jour ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 avril 2008 par Maître Albert RODESCH au nom des demandeurs ;
Vu la communication de ce mémoire en réplique au mandataire de l’administration communale de la Ville de Luxembourg intervenue le même jour ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2008 par Maître Christian POINT pour compte de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu la communication de ce mémoire en duplique au mandataire des demandeurs intervenue par télécopie en date du même jour ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Caroline GODFROID, en remplacement de Maître Albert RODESCH, et Gilles DAUPHIN, en remplacement de Maître Christian POINT, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 juin 2008.
En conclusion d’un échange de correspondance nourri, Madame …-…, agissant pour compte de la succession de feue …, propriétaire d’un immeuble sis à…, adressa une demande au bourgmestre de la Ville de Luxembourg tendant à obtenir la reconnaissance de l’existence d’un garage dans ledit immeuble ainsi que l’abaissement du trottoir devant cette propriété, trottoir qui avait été rehaussé à l’occasion des travaux de rénovation effectués dans cette rue au cours de l’année 2003.
Par réponse du 9 octobre 2007, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg refusa la demande précitée en les termes suivants :
« J'ai bien reçu votre courrier du 2 octobre 2007 par lequel vous demandez une réponse favorable à votre requête relative à un emplacement de stationnement qui existerait dans le passage cocher de l'immeuble sis ….
L'examen des pièces soumises à l'appui de votre sollicitation a fait ressortir que le passage dont question est carrelé et n'est manifestement pas utilisé comme emplacement de stationnement.
Par ailleurs, il a été constaté qu'une marche d'escalier réduit la largeur du passage qui dès lors ne dispose pas des dimensions fixées par l'article 17 du règlement sur les bâtisses pour les emplacements de stationnement (2,30 mètres).
Finalement, les plans soumis à l'appui de votre demande indiquent que les pièces du rez-de-chaussée sont affectés à des fins de « bureau» et cette situation est confirmée par des panneaux indicateurs fixés à la façade, qui montrent que différentes sociétés et avocats sont implantés dans l'immeuble.
Or, la Ville n'a jamais été saisie d'une demande de changement d'affectation pour cet immeuble qui, d'après les autorisations initiales, est une maison d'habitation avec un atelier de menuiserie en annexe.
Vous voudrez donc revoir la destination de l'immeuble … pour vous conformer à l'affectation autorisée, à savoir le logement, ceci d'autant plus que la maison est située dans une zone d'habitation 2 où les bureaux ne sont pas admis. (…) » A l’encontre de cette décision Monsieur … et son épouse, Madame …-…, en leurs qualités d’héritiers de feue … et d’actuels propriétaires de l’immeuble sis à …, ont fait introduire un recours en annulation par requête déposée le 21 décembre 2007.
A l’appui de leur recours les demandeurs exposent que si « depuis mémoire d'homme », le trottoir bordant la voie publique à l'extérieur de leur immeuble était doté d'un abaissement, cet abaissement fut enlevé lors des travaux de réfection de la … durant le printemps de l'année 2003, et remplacé par un trottoir ordinaire, de sorte à condamner l'entrée de l'immeuble comme garage.
A cet égard les demandeurs affirment que la qualité de garage fut reconnue à l’entrée de leur immeuble non seulement pendant des décennies, mais que l’entrée en question fut toujours utilisée comme telle par les propriétaires successifs, et ce dans l'exercice de leurs professions respectives. Ils donnent par ailleurs à considérer que la Ville reconnaîtrait les entrées comme garages dans d'autres immeubles, voisins de l'immeuble des requérants, telle que la maison sise au numéro … de la rue …, dont l’entrée disposerait de dimensions identiques.
Ils contestent par ailleurs la référence faite par le bourgmestre à l'article 17.5 du règlement sur les bâtisses (« RB ») applicable, qui requiert pour des emplacements de stationnement des dimensions d'au moins 2,30 mètres sur 5 mètres, alors que l'entrée en question serait dotée effectivement des dimensions de 2,30 mètres sur 11 mètres.
Ils contestent encore toute incidence du fait que l’entrée en question soit carrelée, un tel choix relevant uniquement du choix du propriétaire et n’empêcherait pas l’utilisation de l’entrée en question en tant que garage.
Les demandeurs reprochent de surcroît à la Ville d’avoir dans un premier temps exigé l’élaboration à leurs frais de plans d’architectes - et ce alors qu’un technicien communal aurait pu procéder à un simple mesurage -, dont il résulterait que l’entrée présenterait des dimensions de l'ordre de 2,30 mètres x 10,76 mètres, pour ensuite, dans un deuxième temps, refuser de tenir compte de ces plans à l'encontre de tout bon sens.
Ils en concluent que la Ville de Luxembourg ferait une double erreur de raisonnement, étant donné qu’il n'appartiendrait pas à la Ville, entité administrative, d'ordonner d’un côté l'utilisation d'une pièce comme garage, pareil choix étant du ressort unique du propriétaire, et de l’autre côté d’interdire de facto l’utilisation de l’entrée aux fins de garage par le relèvement à cet endroit du trottoir.
La Ville de Luxembourg, pour sa part, relève de prime abord que la décision déférée contiendrait un double volet, le premier volet portant refus d’aménagement des emplacements de parking sollicités, tandis que le second volet, qui ne constituerait pas une décision administrative, porterait invitation aux demandeurs de se conformer à la destination de l’affectation autorisée de l’immeuble comme maison d’habitation.
A cet égard, la Ville de Luxembourg se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours par rapport au premier volet, et, en ce qui concerne le second volet, elle soulève l’irrecevabilité du recours.
Il résulte cependant à ce sujet des éclaircissements fournis par les demandeurs dans leur mémoire en réplique que leur recours se limite au premier volet de la décision déférée, les demandeurs poursuivant l’annulation du refus communal d’aménager un garage dans l’entrée de leur immeuble.
En ce qui concerne dès lors la recevabilité du recours tel que délimité ci-
dessus, il y a lieu de relever que comme aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en matière de permis de construire et d’accès à la voirie, seul un recours en annulation a pu être introduit.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
Quant au fond, la Ville de Luxembourg, outre de nier formellement avoir reconnu à un quelconque moment l’entrée de l’immeuble des demandeurs comme étant un garage ou un emplacement de parking, souligne que les plans d’architecte fournis par les demandeurs auraient révélé la présence d’une marche d’escalier qui réduirait la largueur requise par l’article 17.5 RB pour une place de stationnement.
Elle conteste encore avoir changé d’argumentaire au fil du temps, mais insiste au contraire avoir, de manière constante, défendu la position qu’un abaissement du trottoir ne se justifierait qu’en présence d’un emplacement de parking dûment autorisé, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. La Ville de Luxembourg explique par ailleurs que l’affectation sollicitée de l’entrée en tant qu’emplacement de stationnement entraverait tant l’accès au bâtiment en première position que celui au bâtiment sis en seconde position et desservi par le passage accessible par l’entrée cochère litigieuse.
Elle conteste de même avoir soumis les demandeurs à un traitement inégalitaire, étant donné que la situation d’un immeuble voisin mise en avant par les demandeurs ne serait pas comparable à celle de leur immeuble.
Il convient de prime abord de constater que l’article 17.5. RB, dont l’applicabilité au cas d’espèce n’est pas contestée par les demandeurs, dispose que « les emplacements de stationnement devront avoir des accès faciles et permanents sur la voie publique tenant compte des impératifs de sécurité de la circulation, leurs dimensions seront d’au moins 2,30 sur 5,00 mètres ». Or il appert à ce sujet à l’étude des plans versés en cause que si le passage en question, destiné par les demandeurs au stationnement de deux véhicules garés l’un derrière l’autre, accuse une longueur de 10,76 mètres, il ne présente en revanche pas sur toute cette longueur la largeur minimale requise de 2,30 mètres, une marche d’escaliers d’une profondeur de quelque 30 centimètres empiétant dans ledit passage, de sorte à réduire sa largeur à 2 mètres sur environ 1,30 mètres.
Il en résulte que ledit passage ne présente pas les dimensions minimales requises pour être admis en tant qu’emplacement de stationnement au sens de l’article 17.5 RB, de sorte que le bourgmestre, appelé à faire son analyse au regard de la demande lui adressée à la date où il statue suivant la réglementation communale d’urbanisme applicable à ce moment, a valablement pu, au vu de ce constat, refuser audit passage la qualité d’emplacement de parking et par conséquent, refuser d’abaisser le trottoir devant l’entrée en question.
En ce qui concerne l’affirmation des demandeurs selon laquelle le refus direct du bourgmestre de reconnaître l’affectation de l’entrée en tant que garage, respectivement le refus indirect du bourgmestre de rabaisser en cet endroit le trottoir, violerait un droit acquis, il y a lieu de rappeler que conformément au principe de l’intangibilité des droits acquis, un acte administratif individuel ne peut pas être abrogé lorsqu’il a créé des droits au profit des administrés. Il s’en dégage qu’un droit acquis doit nécessairement trouver son origine dans un acte administratif individuel créateur de droits : un administré ne peut prétendre au respect d'un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l'autorité administrative a réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef.
Force est de constater qu’en l’espèce l’administration communale n’a posé aucun acte individuel formel de nature à créer de droits dans le chef des demandeurs relatif aux emplacements de parking litigieux. En effet, si les demandeurs affirment à cet égard dans leur mémoire en réplique avoir obtenu en date du 9 juin 1997 l’aval de la Ville de Luxembourg relativement à des plans qui prévoyaient « un garage à l’entrée » de l’immeuble sis …, force est de constater que les plans tels qu’approuvés à l’époque, relatifs à l’aménagement d’une habitation sise en deuxième position, ne révèlent que l’existence d’un passage menant par une porte cochère de la rue à cette habitation en seconde position.
Si une notice explicative, jointe à l’époque à la demande d’autorisation afférente, mentionne certes que « l’emplacement pour voiture, demandé par le présent aménagement, est disponible dans le porche d’entrée du bâtiment principal (porte cochère) », il y a cependant lieu de constater que cette notice n’a pas fait l’objet de l’autorisation délivrée par le bourgmestre.
Il y a dès lors lieu de constater que les demandeurs ne sauraient, en l’état actuel du dossier, pas se prévaloir d’un acte explicite de la Ville de Luxembourg, mais tout au plus de l’abstention, voire de la passivité de la commune face à une situation de fait, de sorte à se prévaloir de la renonciation tacite de la commune, sinon de sa tolérance, tirée du fait que le trottoir était jusqu’en 2003 abaissé face à la porte cochère.
La question qui se pose est dès lors de savoir si l’éventuelle inaction d’une autorité administrative face à une situation illégale - consistant en l’espèce en l’absence de réaction de la Ville de Luxembourg confrontée à la prédite notice explicative illustrant la volonté des propriétaires d’utiliser le passage en tant qu’emplacements de parking - crée dans le chef du contrevenant un droit au maintien de l’illégalité.
Il est à ce sujet admis qu’une situation illégale, maintenue au mépris des dispositions réglementaires applicables ne saurait être régularisée par le défaut de réaction, même pendant une longue période, par la commune, de sorte que les demandeurs ne sauraient en l’espèce se prévaloir utilement de l’inaction de l’administration communale1, respectivement actuellement d’un revirement d’attitude de l’administration.
Cette conclusion n’est pas énervée par le moyen des demandeurs tiré du fait que les propriétaires et occupants successifs de l’immeuble auraient pu bénéficier de 1 Voir trib.adm. 26 mars 1997, n° 9558; trib. adm. 16 février 2004, n° 16832, confirmé par Cour adm., 13 juillet 2004, n° 17811C, Pas. adm. 2006, V° Urbanisme, n°64.
la tolérance alléguée, une succession de propriétaires, fussent-ils de bonne foi, ne purgeant pas l’illégalité de la situation.
Enfin, en ce qui concerne l’allégation que d’autres immeubles bénéficiant d’une configuration identique à celui des demandeurs auraient obtenu l’autorisation d’aménager des emplacements de parking, il y a lieu de constater que les demandeurs affirment à ce sujet que l’immeuble en question, à savoir l’immeuble sis au n° 4a de la …, répondrait à l’instar de leur immeuble, aux prescriptions règlementaires : or s’il ressort effectivement d’un courrier du bourgmestre daté du 7 juillet 2005 que le garage de l’immeuble sis 4a, … dispose des dimensions règlementaires requises, il n’en est pas de même, comme retenu ci-avant, du passage de l’immeuble des demandeurs qui ne présente pas la largeur requise, de sorte qu’il ne saurait y avoir d’inégalité de traitement au détriment des demandeurs, leur situation n’étant pas similaire à celle de leurs voisins.
Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Les demandeurs réclament encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- €., demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juillet 2008 par :
Paulette Lenert, vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Marc Sünnen, juge, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6