La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2008 | LUXEMBOURG | N°23263

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2008, 23263


Tribunal administratif Numéro 23263 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2007 Audience publique du 21 février 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de tolérance

-------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23263 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2007 par Maître Veli TORUN, avocat à la Cour,

assisté de Maître Ali Sevki YAKISAN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des av...

Tribunal administratif Numéro 23263 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2007 Audience publique du 21 février 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de tolérance

-------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23263 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2007 par Maître Veli TORUN, avocat à la Cour, assisté de Maître Ali Sevki YAKISAN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Keama (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 mai 2007 par laquelle il s’est vu refuser l’octroi d’un statut de tolérance ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ali Sevki YAKISAN et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

_____________________________________________________________________

La demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés introduite par Monsieur … fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », du 18 avril 2006, confirmée, sur recours gracieux, par une décision du même ministre du 22 mai 2006. Un recours contentieux dirigé contre ces deux décisions ministérielles fut définitivement rejeté par un jugement du tribunal administratif du 4 décembre 2006 (n° 21567 du rôle), un appel n’ayant pas été interjeté devant la Cour administrative contre le jugement en question.

Par courrier du 9 mars 2007, Monsieur … fit introduire, par l’intermédiaire de son mandataire, auprès du ministre une demande en obtention du statut de tolérance en se basant sur l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Ladite demande fut rejetée par décision du ministre du 22 mai 2007 au motif « qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de [Monsieur …] serait impossible en raison de circonstances de fait conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 [précitée] (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2007, Monsieur … a fait introduire, suivant le libellé du dispositif de sa requête introductive d’instance, auquel le tribunal peut seul avoir égard, un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 22 mai 2007.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision litigieuse. En effet, comme l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, l’existence d’une telle possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné qu’aucun recours au fond n’est prévu en matière de refus du statut de tolérance, tel que prévu par l’article 22 de la loi précitée du 5 mai 2006, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.

Le recours en annulation introduit à titre principal est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’à l’heure actuelle la situation générale en Sierra Leone serait chaotique, caractérisée par des troubles politiques y existant depuis des décennies et des conflits armés entre les troupes étatiques et les rebelles. Ainsi, chaque résident de la Sierra Leone risquerait à tout moment d’être tué, enlevé ou emprisonné suivant le « bon vouloir des militaires », voire torturé par les rebelles. Cette situation politique générale et les répressions commises tant par les autorités étatiques que par les rebelles, auraient motivé le départ de sa famille de son pays d’origine et leurs séjours respectifs au Liberia, au Togo et au Monrovia, afin d’y trouver « un peu de paix » et d’échapper aux répressions dans leur pays d’origine. Quant à sa situation personnelle, il fait état du décès de son père en 1991, après avoir disparu pendant une certaine période, en soulignant que les conditions de ce décès seraient « encore troubles », de la disparition de sa mère ainsi que de sa concubine et de leurs deux enfants communs depuis plus de 7 ans. Il ajoute que lui-même aurait été menacé de mort par les rebelles pour le cas où il refuserait de les rejoindre. Il estime partant courir un risque pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il souligne qu’il aurait été battu à plusieurs reprises et menacé de mort par les groupes rebelles et qu’il ferait encore à l’heure actuelle l’objet de recherches par les autorités sierra-léonaises qui lui reprocheraient d’être membre d’un groupe rebelle. D’une manière générale, il craint de retourner dans son pays d’origine en raison de la situation générale qui y règne actuellement. Il estime par ailleurs que les autorités en place en Sierra Leone ne seraient pas en mesure de garantir la sécurité de leurs citoyens, en faisant notamment état des nombreux affrontements entre les groupes rebelles et l’armée étatique, qui causeraient de nombreuses victimes civiles, en se référant à un rapport de l’association Human Rights Watch.

Enfin, le demandeur se réfère à trois certificats médicaux afin d’établir des problèmes de santé dont il souffrirait et qui seraient apparus à la suite des mauvais traitements dont il aurait fait l’objet dans son pays d’origine, pour établir la nécessité de son séjour au Luxembourg afin d’y suivre un « traitement de longue durée ».

Le délégué du gouvernement estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé à Monsieur … l’octroi d’un statut de tolérance, en relevant que celui-ci a été définitivement débouté de sa demande d’asile et qu’il ne ferait pas état d’une quelconque raison matérielle qui l’empêcherait de retourner dans son pays d’origine.

En ce qui concerne les problèmes de santé invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande, le représentant étatique fait état de ce que lesdits problèmes de santé ne sauraient être dus à des mauvais traitements dont il aurait été la victime dans son pays d’origine, dans la mesure où le demandeur aurait relevé lui-même dans le cadre de son audition par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration au cours de l’instruction de sa demande d’asile qu’il n’aurait pas fait l’objet de mauvais traitements en Sierra Leone. Pour le surplus, le délégué du gouvernement estime que le demandeur n’aurait pas rapporté la preuve suivant laquelle un traitement médical approprié dans son pays d’origine serait impossible.

Aux termes de l’article 22 (1) de la loi précitée du 5 mai 2006, « si le statut de refugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire », tandis que l’article 22 (2) dispose que « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».

Il en découle que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs du statut de réfugié déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle, avec la conséquence qu’il appartient au demandeur qui, par définition, se trouve en séjour irrégulier lorsqu’il prétend au bénéfice d’un statut de tolérance, d’établir l’impossibilité alléguée pour prétendre à l’octroi dudit statut.

En l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a pas fait état d’un quelconque obstacle qui rendrait son éloignement du territoire impossible, les arguments très vagues avancés en cause ayant en substance trait à la situation politique générale prévalant actuellement en Sierra Leone et à un sentiment général de peur dans son chef. Or, ce faisant, le demandeur décrit une situation de fait qui est commune à la plupart des demandeurs d’asile déboutés provenant dudit pays d’origine, dont la fuite s’explique davantage par le souci de fuir une situation de précarité que par des persécutions ou un risque de persécutions spécifique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Dans ce contexte, il échet d’ailleurs de relever que la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur avait déjà été définitivement rejetée comme non fondée par le jugement précité du tribunal administratif du 4 décembre 2006.

Or, un sentiment général d’insécurité, tel celui éprouvé par le demandeur, ne suffit pas pour établir une impossibilité matérielle de procéder à son éloignement vers son pays d’origine. Une telle situation ne saurait partant justifier le bénéfice de la mesure provisoire qu’est le statut de tolérance.

Quant à l’état de santé du demandeur qui rendrait son éloignement vers son pays d’origine impossible, il échet de relever que les trois certificats médicaux versés par lui ne renseignent ni sur une maladie qui rendrait son retour matériellement impossible vers son pays d’origine ni une absence de traitement approprié des problèmes de santé dont il déclare souffrir en Sierra Leone, de sorte que l’impossibilité matérielle afférente laisse d’être vérifiée en fait. La personne qui se prévaut d’une impossibilité matérielle empêchant son éloignement est en effet tenue d’établir cette impossibilité ne serait-ce que par un début de preuve, de sorte qu’en l’absence de pièces versées en cause susceptibles de documenter l’impossibilité alléguée, le recours est à considérer comme étant non fondé.

Il s’ensuit que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge Françoise Eberhard, juge et lu à l’audience publique du 21 février 2008 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23263
Date de la décision : 21/02/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-02-21;23263 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award