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23/05/2007 | LUXEMBOURG | N°22732

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mai 2007, 22732


Tribunal administratif N° 22732 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2007 Audience publique du 23 mai 2007 Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 15, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 26 mars 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 22 décembre 1...

Tribunal administratif N° 22732 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2007 Audience publique du 23 mai 2007 Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 15, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 26 mars 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 22 décembre 1958 à Kovacica (Serbie) et de son épouse, Madame …, née le … (Serbie), tous les deux de nationalité serbe, déclarant demeurer actuellement à L-

…, avec la précision toutefois que Monsieur … est actuellement incarcéré en République Fédérale d’Allemagne, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 janvier 2007, notifiée le 19 mars 2007, portant déclaration d’incompétence à connaître de leurs demandes en obtention du statut de réfugié, au motif que la compétence afférente reviendrait à la Suède ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 avril 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 avril 2007 par Maître Adrian SEDLO au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves MWANA TUMBA, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2007.

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Le 12 décembre 2006, Monsieur … et son épouse, Madame … introduisirent oralement une demande en obtention d’une protection internationale auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Il ressort du procès-verbal de la police grand-ducale établi à la date en question, que les époux …-… avaient auparavant déjà introduit une demande d’asile en Suède, et plus particulièrement à Malmö en date du 14 octobre 2005. Il se dégage encore dudit procès-verbal 2 que Monsieur … a été signalé à deux reprises en République Fédérale d’Allemagne et qu’il y est également connu sous l’identité de « …», que les époux vivaient de 1990 à 1998 en tant que demandeurs d’asile en République Fédérale d’Allemagne, pour enfin avoir été refoulés vers Belgrade et que leur fils, marié à une ressortissante allemande, est légalement domicilié en République Fédérale d’Allemagne. D’après les déclarations des époux …-…, telles qu’enregistrées audit procès-verbal, ils auraient quitté la Serbie le dimanche précédent le dépôt de leur demande d’asile au Luxembourg et quelqu’un les aurait amenés de la Serbie au Luxembourg moyennant un camion. Au cours de l’interrogatoire par un agent de la police grand-ducale, ils ont déclaré ne pas être en possession de passeports et ne pas avoir déposé une demande d’asile dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, à l’exception de l’Allemagne. Ce n’est que sur l’insistance de l’agent de la police grand-ducale qu’ils ont admis avoir séjourné en Suède et au Danemark et d’avoir déposé des demandes d’asile.

Par décision du 24 janvier 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, se basant sur les dispositions de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection et de l’article 16 paragraphe 1er du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement n° 343/2003 », se déclara incompétent pour connaître de la demande d’asile des époux …-…, en soulignant que ce serait le Royaume de Suède qui serait responsable du traitement de leur demande d’asile. Cette compétence est basée sur le fait que les époux …-… avaient précédemment déposé une demande d’asile en Suède en date du 14 octobre 2005.

Les autorités luxembourgeoises ont dans la suite sollicité et obtenu, après un premier refus, de la part des autorités suédoises, un engagement de reprise en charge des époux …-….

Il ressort d’un premier document intitulé « Transfer notification according to the Dublin regulation » envoyé le 21 mars 2007 au « Swedish Migration Board, Dublin Unit », que Monsieur … est déclaré comme ayant disparu. Il ressort d’un deuxième document portant le même titre, et envoyé en date du même 21 mars 2007 à l’autorité suédoise précitée, que Madame … devra être transféré aux autorités suédoises moyennant un vol devant quitter l’aéroport de Luxembourg le 27 mars 2007 à 10.25 heures.

Par courrier du mandataire des époux …-… du 23 mars 2007, un recours gracieux a été introduit devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration contre la décision ministérielle précitée du 24 janvier 2007 dans la mesure où Madame … est concernée. Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a confirmé sa décision précitée du 24 janvier 2007 par courrier du 23 mars 2007.

Par requête déposée le 26 mars 2007, inscrite sous le numéro 22732 du rôle, Monsieur … et son épouse, Madame … ont introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision d’incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 janvier 2007, leur notifiée le 19 mars 2007, et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 22733 du rôle, ils ont introduit une demande en sursis à exécution, sinon en institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à ladite décision ministérielle ainsi que par rapport à un acte du 21 mars 2007 notifié aux autorités suédoises, qui déciderait du transfert de Madame … vers la Suède.

3 Par ordonnance du 26 mars 2007, le premier vice-président du tribunal administratif a déclaré la demande de sursis à exécution, sinon en institution d’une mesure de sauvegarde non fondée et en a débouté les demandeurs.

L’article 17 de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit qu’en matière de décisions d’incompétence prises au titre de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours au fond, les demandeurs soutiennent qu’en date du 10 février 2006, ils auraient quitté la Suède pour aller vivre en Serbie et qu’après avoir passé quelques mois en Serbie, ils auraient quitté leur pays d’origine pour se rendre au Luxembourg et y déposer leur demande d’asile en date du 12 décembre 2006.

Ils font valoir que dans cette hypothèse, à savoir en cas de retour dans leur pays d’origine après avoir été débouté de leur demande d’asile en Suède, l’Etat luxembourgeois devrait se déclarer compétent en vertu de l’article 16§3 du règlement n° 343/2003 pour examiner leur demande en obtention d’une protection internationale.

Ils font encore exposer que l’expulsion de Madame … vers la Suède porterait une atteinte grave non seulement à son droit de voir traiter sa demande d’asile par les autorités luxembourgeoises, mais également à son droit au respect d’une vie privée et familiale conformément à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où l’expulsion aurait eu pour conséquence de la séparer de son mari qui serait actuellement incarcéré en République Fédérale d’Allemagne.

Le délégué du Gouvernement conteste le fait que les demandeurs seraient retournés vivre en Serbie après avoir été déboutés de leur demande d’asile en Suède. Il relève à cet égard que les demandeurs n’ont pas rapporté de preuves relatives à leur retour en Serbie et que le fait qu’ils ont d’abord tenté de nier leur présence dans ce pays, corroborerait ce raisonnement.

Le délégué du Gouvernement conteste ensuite que la décision litigieuse soit de nature à porter atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et plus particulièrement au droit au respect de la vie privée et familiale des demandeurs. Il souligne le fait que M. … est en train de purger une peine de prison en Allemagne, cette incarcération rendant de toute façon l’existence d’une vie familiale impossible. Pour le surplus, il estime que M. … pourra rejoindre, à sa sortie de prison, son épouse en Suède. Il fait sien en outre le raisonnement du juge des référés pour soutenir que les demandeurs ne sauraient se prévaloir d’aucun préjudice au cas où leur demande serait examinée dans un Etat membre plutôt que dans un autre et il conclut au débouté du recours des demandeurs.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent qu’en vertu de l’article 26 (5) de la loi précitée du 5 mai 2006, ils ne seraient pas tenus de rapporter la preuve de leurs affirmations. Ils estiment qu’il résulterait à la fois du rapport de police établi le 12 décembre 2006 ainsi que de la décision de refus de prise en charge du « Swedish Migration Board » du 8 janvier 2007, qu’ils auraient quitté la Suède le 10 février 2006 pour retourner vivre en 4 Serbie et ils se prévalent d’une attestation versée au dossier pour soutenir qu’il serait établi que M. … se trouvait en Serbie entre le 25 octobre 2006 et le 2 novembre 2006 puisqu’il aurait déposé dans un procès en qualité de témoin. Ils contestent encore avoir nié leur présence en Suède et estiment qu’ils avaient donné tous les détails et renseignements utiles lors de leur audition du 12 décembre 2006. Ils relèvent finalement que même si le tribunal admettait qu’ils avaient tenté de nier leur présence en Suède, ceci ne serait pas de nature à remettre en cause la réalité de leur retour en Serbie.

Concernant la violation de l’article 8 de la CEDH, ils soutiennent que toute détention, même régulière au regard de l’article 5 de la CEDH, entraînerait par nature une restriction à la vie privée et familiale des intéressés. Il serait cependant essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir le contact avec sa famille proche.

A cet égard, ils relèvent que M. … serait incarcéré à Trèves et que cette ville serait proche du Grand-Duché de Luxembourg mais non pas de la Suède, de sorte que si Madame … pouvait vivre à Luxembourg, elle pourrait régulièrement rendre visite à son mari, ce qui maintiendrait la possibilité d’une vie familiale entre les époux. Ils concluent partant à une violation flagrante de l’article 8 de la CEDH.

Sur base des dispositions de l’article 16 (1) du règlement n° 343/2003 qui dispose que « L’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile en vertu du présent règlement est tenu de : e) reprendre en charge, dans les conditions prévues à l’article 20, le ressortissant d’un pays tiers dont il a rejeté la demande et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre Etat membre », les autorités suédoises ont accepté la reprise en charge des demandeurs.

Pour tenir en échec cette disposition et conclure à la compétence des autorités luxembourgeoises pour examiner leur demande d’asile, les demandeurs soutiennent être retournés vivre en Serbie en date du 10 février 2006 pour y séjourner pendant une période d’environ 11 mois, avant de se rendre au Luxembourg et y déposer leur demande d’asile. Il en découlerait qu’il ne pourrait être fait application de l’article 16 paragraphe 1, point e) du règlement n° 343/2003, de sorte que le Luxembourg devrait se déclarer compétent pour connaître de l’examen de leur demande d’asile, conformément à l’article 16, paragraphe 3, du même règlement n° 343/2003, qui dispose que « Les obligations prévues au paragraphe 1 cessent si le ressortissant d’un pays tiers a quitté le territoire des Etats membres pendant une durée d’au moins trois mois (…) ».

Force est de constater que les demandeurs n’ont fourni aucune preuve quant à la réalité de leur séjour en Serbie pendant la période litigieuse. L’attestation testimoniale versée à ce sujet est à écarter pour ne pas remplir les critères légaux en la matière et pour ne pas avoir fait l’objet d’une traduction. Par ailleurs, il ressort du dossier administratif que les demandeurs ont séjourné dans plusieurs pays de l’Union Européenne, ce qu’ils n’ont pas admis volontairement, mais seulement sur insistance de l’agent de la police grand-ducale les ayant interrogé dans le cadre du dépôt de leur demande d’asile au Luxembourg, que le demandeur a fait usage d’une autre identité en République Fédérale d’Allemagne, où il a fait l’objet de condamnations pénales, de sorte que la crédibilité des déclarations des demandeurs est sujette à caution. Dans ce cas, l’article 26 (5) de la loi précitée du 5 mai 2006 ne saurait trouver application. En effet, cet article fait abstraction de toute preuve si, notamment la crédibilité générale du récit est établie et si les déclarations des demandeurs ont été jugées cohérentes et plausibles. Or, comme relevé ci-avant, tel n’est pas le cas en l’espèce.

5 Comme il ne se dégage d’aucune pièce et d’aucun élément du dossier qu’après avoir quitté la Suède, les demandeurs se seraient rendus en Serbie avant de venir au Luxembourg et y introduire, en date du 12 décembre 2006, une demande d’asile, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a valablement pu se déclarer incompétent pour connaître de la demande d’asile introduite au Luxembourg et décider, d’un commun accord avec les autorités compétentes suédoises, de transférer les demandeurs en Suède, pays où ils avaient antérieurement introduit une demande d’asile.

Afin de voir mettre en échec le mécanisme de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de leur demande de protection internationale, les demandeurs s’emparent ensuite des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en faisant valoir que l’exécution de la décision litigieuse opérerait une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit au respect de sa vie privée et familiale.

Dans la mesure où la décision d’incompétence du ministre en faveur des autorités suédoises, lesquelles ont préalablement accepté la reprise en charge des demandeurs, comporte implicitement mais nécessairement la décision de transférer la demanderesse en Suède, il y a lieu d’examiner la conformité de ladite décision d’incompétence par rapport à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’article 8 de ladite Convention dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est certes vrai que le transfert de Madame … en Suède rend plus difficile, voire impossible une prise de contact régulière avec son époux moyennant des visites en Allemagne, force est cependant de constater que la décision d’incompétence litigieuse ne porte qu’incidemment atteinte à la vie familiale et que c’est avant tout l’incarcération de M. … en Allemagne en raison de condamnations pénales par lui encourues en Allemagne qui a générée ces difficultés. Aucun reproche à cet égard ne saurait être adressé au ministre qui avait pris une décision d’incompétence à l’égard des époux …-… prévoyant le transfert des deux époux en Suède, alors que ce n’est qu’en raison du comportement pénalement répréhensible de M. …, qui de surcroit avait quitté le Grand-Duché de Luxembourg sans autorisation et n’était pas présent le jour fixé pour le transfert, que le transfert des deux époux a été rendu impossible.

Il se dégage des considérations qui précèdent que ce n’est pas la décision d’incompétence qui a eu pour conséquence de séparer les époux et de rendre le cas échéant impossible leur vie privée et familiale, mais bien le comportement de M. ….

6 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la légalité de la décision d’incompétence litigieuse du 24 janvier 2007 ne se trouve pas ébranlée et que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mai 2007 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 22732
Date de la décision : 23/05/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2007-05-23;22732 ?

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