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04/12/2006 | LUXEMBOURG | N°21500

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 décembre 2006, 21500


Tribunal administratif N° 21500 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2006 Audience publique du 4 décembre 2006 Recours formé par Madame , Weilerbach contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21500 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame , née le 21 juin 1979 à Kano (Nigeria),

de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-6590 Weilerbach, 5, route de Die...

Tribunal administratif N° 21500 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2006 Audience publique du 4 décembre 2006 Recours formé par Madame , Weilerbach contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 21500 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2006 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame , née le 21 juin 1979 à Kano (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-6590 Weilerbach, 5, route de Diekirch, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 avril 2006 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 mai 2006 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES qui s’est référée au mémoire écrit de la partie publique à l’audience publique du 27 novembre 2006.

Madame introduisit en date du 21 janvier 2005 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Elle fut entendue en outre en dates des 25 janvier 8 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame par décision du 4 avril 2006, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 4 avril 2006, de ce qu’elle ne saurait bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève en relevant d’abord que nombreuses contradictions et imprécisions dans son récit laisseraient planer des doutes sur l’intégralité de son passé, y compris le motif de fuite invoqué. Le ministre a relevé plus particulièrement dans ce contexte ce qui suit :

« En effet, il est peu concevable que vous n’ayez rien payé pour votre voyage en Europe et que vous ne sachiez pas où vous auriez atterri, alors que vous auriez été accompagnée par un ami, Richard. Pour le surplus, vous précisez avoir passé une semaine dans la maison de ce Richard, toujours sans savoir où vous vous trouviez, ce qui est peu probable. A cela s’ajoute que vous dites d’abord ne pas savoir avec quel passeport vous auriez voyagé et passé les contrôles, pour dire par après que ce Richard vous aurait donné un passeport anglais. De même vous attestez que vous ne seriez pas en mesure de vous souvenir de la durée du trajet en voiture entre l’aéroport où vous auriez atterri, et l’arrivée à la maison de votre ami Richard. De même est-il improbable que vous auriez quitté Lagos quand il faisait nuit, et que, lors de votre arrivée à un aéroport européen et à la maison de votre ami au Luxembourg, il aurait toujours fait nuit. En plus, vous dites avoir quitté le Nigeria entre le mois de décembre 2004 et janvier 2005, sans que vous sauriez préciser la date exacte, ce qui semble invraisemblable, sachant qu’au mois de décembre les chrétiens fêtent Noël et peu après la plupart du monde, y inclus le Nigeria, fête le Nouvel An. Il semble fort improbable que vous ne sauriez pas vous souvenir où vous auriez été pendant ces deux dates-clé. Or, vous prétendez avoir passé une semaine en Europe avant le dépôt de votre demande d’asile, demande qui date du 21 janvier 2005. Par déduction, votre arrivée en Europe daterait donc de la mi-janvier, ce qui contredit fortement vos dires ».

Le ministre reproche encore à Madame d’être restée très évasive dans ses réponses lorsqu’elle fut confrontée à ces imprécisions qui auraient porté par ailleurs non seulement sur les dates en rapport avec son voyage vers le Luxembourg, mais également sur le moment du décès de son père, ainsi que sur des faits relatifs à sa propre vie familiale, le ministre ayant relevé à cet égard que Madame , tout en affirmant que le père de son enfant avait emmené son fils il y a longtemps, serait néanmoins dans l’incapacité de se souvenir du nom de ce père et de dater les événements relatés. Concernant les agressions relatées dont Madame aurait été victime, le ministre a également relevé des incohérences en ce sens qu’elle a indiqué avoir été agressée à Lagos par la même famille de Musulmans qui aurait tué sa famille, mais qu’en revanche elle a déclaré par la suite qu’elle aurait entendu dire que cette même famille serait à sa recherche mais qu’elle serait incapable d’en reconnaître les membres. Au-delà de toutes ces incohérences le ministre a également retenu, à titre subsidiaire, que les faits invoqués par Madame ne seraient pas de nature à dénoter dans son chef l’existence de craintes de persécution en sens de la Convention de Genève, étant donné que le motif de vengeance invoqué est fondé sur des soupçons à l’égard de sa famille en rapport avec le meurtre d’un membre de la famille concernée et ne présenterait dès lors aucun facteur de rattachement à la Convention de Genève. Le ministre a relevé finalement que l’intéressée n’aurait pas recherché à obtenir la protection des autorités nigérianes, tout en précisant que les autorités de Kano auraient pourtant appelé en mai 2004 à l’arrêt des combats entre Musulmans et Chrétiens.

Le 3 mai 2006, Madame fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision en insistant sur les difficultés pour une personne de confession chrétienne de vivre dans un Etat soumis à la Charia depuis le 21 juin 2000 et en faisant valoir que les incohérences apparentes relevées par le ministre seraient le reflet de son stress lors de ses entretiens.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale par une décision du 12 mai 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2006, Madame a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 4 avril et 12 mai 2006.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, elle réexpose la situation générale dans son pays d’origine pour soutenir qu’elle serait marquée par une augmentation des violences entre Musulmans et Chrétiens. A l’appui de son recours, la demanderesse se réfère à ses déclarations lors de son audition pour expliquer qu’elle aurait été contrainte de se prostituer et que son billet d’avion aurait été payé par le proxénète qui l’aurait prise en charge. Quant aux différentes incohérences lui reprochées elle fait exposer qu’elle n’aurait qu’un très faible niveau d’éducation, de sorte qu’il ne serait pas surprenant qu’elle ait pu faire, à un moment donné, l’amalgame entre l’Europe globalement considérée et l’un seulement des pays qui la composent. Elle insiste en outre sur le caractère particulièrement traumatique de son parcours vécu dans son pays d’origine, ainsi que sur la situation de stress à laquelle elle aurait été exposée lors de son audition. S’estimant pour le surplus clairement exposée à un risque actuel de persécution à caractère religieux en cas de retour dans son pays d’origine, elle reproche dès lors au ministre de ne pas avoir accueilli favorablement sa demande d’asile.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement insiste que Madame a déclaré être recherchée par les membres d’une famille musulmane qui aurait assassiné ses proches et souligne qu’elle aurait pu s’installer dans le sud du Nigeria peuplé majoritairement par des chrétiens et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, étant donné qu’il serait improbable qu’elle soit retrouvée dans un autre Etat du Nigeria par les membres de cette même famille.

Quant aux arguments présentés pour justifier et expliquer les nombreuses contradictions et imprécisions relevées par le ministre, le représentant étatique explique qu’elles ne seraient pas convaincantes et relève en outre qu’il ne serait pas établi que les autorités nigériennes auraient refusé d’accorder une quelconque protection à Madame et auraient été incapables de le faire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Si le tribunal peut certes s’accorder avec la demanderesse pour retenir que le catalogue d’incohérences et d’invraisemblances dressé par le ministre à l’appui de sa décision initiale est susceptible d’être relativisé par un certain nombre de facteurs, dont notamment le faible degré d’éducation allégué de l’intéressée, ainsi que les explications fournies en cause, force est néanmoins de constater qu’au-delà des doutes émis par le ministre sur la crédibilité du récit présenté à l’appui de la demande d’asile sous examen, les craintes de persécution mises en avant par la demanderesse trouvent leur origine, quant à leur spécificité, exclusivement dans un différend d’ordre familial s’inscrivant dans une démarche de vengeance et échappant de ce fait au champ d’application de la Convention de Genève, sinon encore dans la situation générale au Nigeria, non susceptible à elle-seule de justifier l’octroi du statut de réfugié politique.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu retenir que la demande d’asile présentée par Madame n’était pas fondée.

Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 décembre 2006 par :

Mme Lenert, vice-président, Mme Lamesch, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21500
Date de la décision : 04/12/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-12-04;21500 ?

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