La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2006 | LUXEMBOURG | N°20971,21006

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2006, 20971,21006


Tribunal administratif Numéros 20971 et 21006 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement en dates des 31 janvier et 13 février 2006 Audience publique du 12 juillet 2006 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur en matière d’employé de l’Etat

--------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20971 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en da

te du 31 janvier 2006 par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre ...

Tribunal administratif Numéros 20971 et 21006 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement en dates des 31 janvier et 13 février 2006 Audience publique du 12 juillet 2006 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur en matière d’employé de l’Etat

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20971 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 janvier 2006 par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, employée de l’Etat de la carrière C auprès du STATEC, demeurant à L-

…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur du 13 octobre 2005 par laquelle il lui a refusé la reconnaissance dans son chef de l’existence d’un contrat d’engagement à durée indéterminée, ainsi que d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 23 décembre 2004 par laquelle il a autorisé le relèvement de la durée maximale de l’engagement à durée déterminée de 24 mois de Madame … ;

II.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 21006 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2006 par Maître Monique WATGEN, préqualifiée, au nom de Madame …, également préqualifiée, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur du 26 janvier 2006 par laquelle il a confirmé la décision précitée du 13 octobre 2005 par laquelle il lui a refusé la reconnaissance dans son chef de l’existence d’un contrat d’engagement à durée indéterminée ;

I. et II.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2006 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par le mandataire de Madame … au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2006 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2006 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Monique WATGEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Par un contrat d’engagement signé en date du 6 juin 2003 entre le ministre de l’Economie et Madame …, celle-ci fut engagée pour une durée déterminée, à savoir pour la période du 15 juin au 31 décembre 2003, en tant qu’employée de la carrière C au sein du service central de la statistique et des études économiques, dénommé ci-

après le « STATEC », et plus particulièrement dans le cadre de l’enquête continue sur les budgets des ménages. Ledit contrat d’engagement précise expressément qu’il est régi notamment par la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail.

En date du 10 décembre 2003, un nouveau contrat d’engagement fut conclu entre les mêmes parties pour une durée déterminée, allant du 1er janvier au 31 décembre 2004, avec la précision que le contrat en question peut être renouvelé. Ledit contrat concerne le même poste au sein du STATEC que celui visé par le contrat antérieurement signé en date du 6 juin 2003. En date du même jour, fut signé un avenant au contrat d’engagement précité du 6 juin 2003, qui a été complété de la manière suivante : « article 2 – le contrat peut être renouvelé ».

Par arrêté du 23 décembre 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, au vu d’une demande afférente présentée par le ministère de l’Economie en date du 16 décembre 2004, a décidé que « la durée maximale autorisée pour le contrat à durée déterminée moyennant lequel a été engagée Madame …, employée auprès du STATEC, est fixée, renouvellements compris, à 30,5 mois (du 15 juin 2003 au 31 décembre 2005) ».

Enfin, un troisième contrat d’engagement fut signé en date du 24 décembre 2004 entre le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur et Madame …, par lequel celle-ci fut engagée au STATEC « en qualité d’employée de la carrière C pour une durée déterminée et à tâche complète en raison de 40 heures par semaine », avec la précision que le contrat du 10 décembre 2003 est prolongé pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2005. Ledit contrat précise encore en son article 3 que Madame … bénéficie de la qualité d’employée de l’Etat et que le contrat en question est régi tant par la loi précitée du 24 mai 1989 que par la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat.

Par courrier du 13 septembre 2005, le mandataire de Madame … s’adressa au ministre de l’Economie et du Commerce extérieur et le pria de bien vouloir lui soumettre pour signature dans le chef de sa mandante « un nouveau contrat de travail à tâche complète, qualifié correctement de contrat de louage de services à durée indéterminée, valable à partir du 16 juin 2005 », au motif que le contrat de travail dont bénéficie Madame … excède la période de 24 mois, de sorte qu’il devrait nécessairement être qualifié de contrat de travail à durée indéterminée. Afin d’étayer son argumentation, ledit mandataire s’est basé sur les dispositions des articles 8 et 13 de la loi précitée du 24 mai 1989, rendue applicable aux employés de l’Etat en vertu de l’article 4 de la loi du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat.

Par courrier du 13 octobre 2005, le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur informa le mandataire de Madame … de ce que le contrat d’engagement de celle-ci « n’a pas été conclu en violation des dispositions légales », en fournissant les explications suivantes :

« L’enquête EBM qui sert à appréhender la structure de la consommation finale des ménages et au calcul de la pondération de l’indice des prix est mise en œuvre (depuis mars 2003) moyennant une combinaison d’agents internes et d’un staff d’enquêteurs free lance (depuis février 2005), formés à cet effet.

Le 16 décembre 2004, le STATEC a sollicité l’autorisation de prolonger le contrat de Mme … jusqu’au 31 décembre 2005 auprès de Monsieur le Ministre du Travail et de l’Emploi afin de garantir la continuité de l’enquête EBM (Enquête Budget des Ménages) au mois de janvier 2005 en vertu de l’article 8 (3) de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail stipulant : « Le ministre du travail peut exceptionnellement autoriser le relèvement de la période maximale visée au paragraphe (1) dans l’intérêt des salariés exerçant des activités dont le contenu requiert des connaissances hautement spécialisées et une expérience professionnelle confirmée dans la spécialisation ».

A la suite d’un recours gracieux introduit par le mandataire de Madame … par courrier du 7 novembre 2005 adressé au ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, celui-ci confirma par sa décision du 26 janvier 2006 sa décision antérieure du 13 octobre 2005, au motif que « l’autorisation de Monsieur le Ministre du Travail et de l’Emploi n’a pas été accordé dans le chef de votre cliente en violation des dispositions de l’article 8 (3) de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail ».

Par une première requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2006, et inscrite sous le numéro 20971 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur du 13 octobre 2005, ainsi que de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 23 décembre 2004, précitée, par laquelle il a autorisé le relèvement de la durée maximale de l’engagement à durée déterminée de 24 mois.

Par une deuxième requête, inscrite sous le numéro 21006 du rôle, Madame … a fait déposer au greffe du tribunal administratif le 13 février 2006 un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision confirmative également précitée du 26 janvier 2006 du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur.

Il échet tout d’abord de faire droit à la demande de jonction des recours introduits sous les numéros 20971 et 21006 du rôle telle que formulée par la partie demanderesse, au vu de l’identité des parties et de l’objet des deux instances, de sorte qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’y statuer par un seul et même jugement.

Aux termes de l’article 11.1 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, les contestations résultant du contrat d’emploi, dont plus précisément celles émanant de la demanderesse tendant à la requalification en contrat à durée indéterminée de ses différents engagements à travers les recours sous analyse, ainsi qu’au relèvement de la durée de son engagement, sont de la compétence du tribunal administratif statuant comme du juge du fond.

Les recours en réformation introduits sous les numéros du rôle 20971 et 21006 ayant par ailleurs été introduits suivant les formes et délai prévus par la loi, ils sont recevables.

La loi prévoyant un recours de pleine juridiction en la présente matière, les recours en annulation introduits en ordre subsidiaire sont en toute occurrence irrecevables.

La demanderesse critique tout d’abord la décision prise par le ministre du Travail et de l’Emploi en date du 23 décembre 2004, en soutenant que les conditions posées par l’article 8, paragraphe 3 de la loi précitée du 24 mai 1989 n’auraient pas été remplies en l’espèce, et que partant ledit ministre n’aurait pas été en droit de dispenser le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur du respect de la durée totale d’un engagement à durée déterminée au-delà de la période maximale de 24 mois permise, telle que se dégageant des articles 8 et 13 de la loi de 1989. La demanderesse conteste plus particulièrement constituer un salarié qui exerce des activités dont le contenu requiert des « connaissances hautement spécialisées et une expérience professionnelle confirmée dans la spécialisation ». Ainsi, elle fait état de ce qu’elle bénéficierait d’un niveau de formation scolaire moyen, en étant titulaire d’un diplôme sanctionnant des études secondaires techniques, qui aurait justifié sa classification en carrière C.

Par ailleurs, elle soutient qu’au sein du STATEC, elle aurait exercé une mission qui n’aurait pas nécessité des connaissances hautement spécialisées, étant donné qu’elle aurait été chargée pendant toute la durée de son engagement de procéder auprès des ménages privés à une enquête pour déterminer leurs habitudes de consommation, ainsi que l’ampleur de leurs dépenses régulières.

Elle soutient partant qu’afin de pouvoir exercer sa mission précitée, elle n’aurait eu besoin de disposer ni de connaissances hautement spécialisées ni encore d’une expérience professionnelle confirmée dans ladite spécialisation. Elle signale encore dans ce contexte que de toute façon, lors de son recrutement, elle n’aurait pas été en mesure de faire état d’une expérience professionnelle poussée, dans la mesure où le poste au STATEC aurait été son premier poste après la fin de ses études.

Par ailleurs, la demanderesse fait état de ce que son emploi ne rentrerait pas dans le cadre des « emplois visés à l’article 5, paragraphe 2, sous 7°, 8° et 9° » de la loi précitée du 24 mai 1989.

La demanderesse conclut partant à l’annulation pour cause de violation de la loi de l’arrêté ministériel précité du 23 décembre 2004, qui devrait également entraîner l’annulation des décisions du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur des 13 octobre 2005 et 26 janvier 2006. Il y aurait partant lieu de réformer les deux décisions du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur des 13 octobre 2005 et 26 janvier 2006 dans le sens à constater qu’elle disposerait d’un contrat d’engagement à durée indéterminée au service du STATEC à compter du 16 juin 2005.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement rappelle qu’en vertu de l’article 8 (3) de la loi précitée du 24 mai 1989, le ministre du Travail et de l’Emploi peut exceptionnellement autoriser le relèvement de la période maximale visée au paragraphe (1), à savoir 24 mois, dans l’intérêt des salariés exerçant des activités dont le contenu requiert des connaissances hautement spécialisées et une expérience professionnelle confirmée dans la spécialisation.

En ce qui concerne le cas d’espèce, le représentant étatique expose que la demanderesse aurait réalisé des enquêtes sur les budgets des ménages (EBM) au sein du STATEC. Il souligne encore que l’EBM permanente serait d’une importance capitale pour le calcul de l’indice des prix à la consommation et notamment l’échelle mobile des salaires, en ce qu’elle permettrait la subdivision très détaillée par produits, qui serait indispensable dans l’équilibrage des ressources emplois. Ainsi, l’enquête en question constituerait une opération statistique particulièrement lourde et complexe effectuée auprès de 1500 ménages par an. Elle demanderait plus particulièrement un effort très important aux ménages, qui devraient noter pendant 15 jours les achats quotidiens dans un carnet et rechercher toutes sortes de relevés, factures ou quittances pour les dépenses des 6 ou 12 mois écoulés et le volume et la complexité des données relevées constitueraient un défi pour les personnes chargées de leur collecte et de leur dépouillement. Ces enquêteurs devraient ainsi disposer de connaissances linguistiques approfondies en français, allemand, anglais et luxembourgeois afin de pouvoir donner les explications nécessaires aux questions courantes et spécifiques et ils devraient être initiés aux techniques d’entretien. A cette fin, ils devraient passer un apprentissage de 4 semaines pendant lesquelles ils seraient étroitement encadrés par leur supérieur hiérarchique, ledit stage se déroulant dans les locaux du STATEC, au cours duquel les enquêteurs devraient - se familiariser avec le contenu du carnet de ménage volumineux (questionnaire retraçant 720 questions sur les caractéristiques personnelles, le logement et l’équipement, les dépenses diverses et les ressources) ;

- s’initier à la nomenclature COICOP (classification of individual consumption by purpose) ;

- faire des exercices pratiques, des exercices de sondage, vérifier les données collectées et valider les résultats ;

- faire des opérations de saisie informatique des données.

Enfin, les enquêteurs seraient obligés d’acquérir des connaissances de base du « self-management » et de la gestion du temps.

Le délégué du gouvernement soutient qu’afin de disposer de l’expérience professionnelle ainsi requise, une expérience d’au moins un an serait absolument nécessaire afin d’obtenir un certain rendement doté d’efficience. Ainsi, des connaissances spécialisées seraient nécessaires afin d’effectuer le travail de la demanderesse dont ce ne serait pas, contrairement à ce qui serait prétendu par elle, le premier contrat d’emploi, sans toutefois fournir d’indication quant à l’emploi qu’elle aurait occupé antérieurement à son engagement auprès du STATEC, le délégué du gouvernement faisant simplement état de ce qu’elle aurait disposé d’une expérience professionnelle de 18,5 mois au moment de la demande de l’autorisation ministérielle exceptionnelle.

En ce qui concerne la situation auprès du STATEC au moment de l’émission de l’autorisation du ministre du Travail et de l’Emploi, le représentant étatique fait état de ce que 4 personnes auraient travaillé à ce moment dans le cadre de l’enquête EBM et qu’une personne serait partie au terme de son contrat à durée déterminée, de sorte que seule Madame … y aurait été présente en sa qualité d’enquêtrice pouvant faire valoir une expérience solide en la matière. Ainsi, « pour la survie de l’enquête », les deux autres employés engagés pour le travail de dépouillement et de saisie auraient dû s’impliquer dans le « fieldwork ».

Enfin, le délégué du gouvernement fait état de ce que la décision litigieuse du ministre du Travail et de l’Emploi aurait été exceptionnelle, dans la mesure où aucune autre demande de ce genre n’aurait été présentée par le STATEC ni avant ni après la demande concernant Madame ….

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait soutenir que l’Etat resterait en défaut de justifier son affirmation selon laquelle son travail auprès du STATEC aurait nécessité des connaissances « hautement spécialisées » dans son chef. Ainsi, il ne serait pas établi que cette fonction requérrait une formation de haut niveau, de nature à lui conférer de telles connaissances hautement spécialisées. Elle fait encore exposer dans ce contexte qu’alors même qu’elle disposerait d’un diplôme de fin d’études secondaires, elle n’aurait pas suivi une quelconque formation universitaire et que les connaissances simplement générales qu’elle aurait pu acquérir au cours de ses études secondaires lui auraient permis d’exécuter la tâche lui confiée auprès du STATEC. Par ailleurs, le simple fait qu’au début de son engagement auprès du STATEC, elle a dû suivre une formation pratique d’une durée de 4 semaines, lui dispensée par ses supérieurs hiérarchiques, afin qu’elle soit en mesure de mener l’enquête dont elle fut chargée, n’établirait en aucune mesure que la tâche lui confiée auprès du STATEC aurait requis des connaissances particulièrement et hautement spécialisées. Un effet, un tel apprentissage serait tout à fait normal afin d’initier une personne nouvellement recrutée à la fonction à laquelle elle a été nommée.

Quant à l’expérience professionnelle confirmée dans la spécialisation, la demanderesse fait exposer que ce serait à tort que le délégué du gouvernement a apprécié cette expérience professionnelle au moment de la dérogation accordée par le ministre du Travail et de l’Emploi par son autorisation ministérielle précitée, mais qu’elle serait à apprécier au moment de son recrutement initial, date à laquelle elle n’aurait bénéficié d’aucune expérience professionnelle ni dans le domaine des enquêtes ni dans un quelconque autre domaine. L’expérience professionnelle qu’elle a acquise au cours de l’exécution des contrats successifs à durée déterminée auprès du STATEC, actuellement en litige, ne pourrait partant pas être prise en considération.

En conclusion, la demanderesse fait exposer que le ministre du Travail et de l’Emploi aurait violé tant la première que la seconde des exigences posées par l’article 8 (3) précité de la loi précitée du 24 mai 1989, en rappelant qu’en raison du caractère d’ordre public de la législation sur le contrat de travail, les dérogations à accorder seraient à interpréter restrictivement et ne pourraient dès lors être accordées que dans les hypothèses limitativement prévues et sous toutes les conditions énoncées à l’article 8 (3), précité. Ainsi, le contrat de travail à durée indéterminée devrait rester la règle et le recours à un contrat à durée limitée devrait resté cantonné à des hypothèses bien déterminées telles que limitativement prévues par la disposition légale en question. Elle fait encore relever que le fait qu’à partir du moment où un même employeur a recours à un seul et même salarié pour une tâche excédant la durée maximale autorisée de 24 mois, témoignerait à lui seul du fait que l’activité dont est chargé ce salarié rentrerait dans le champ des activités normales de cet employeur et ne constituerait dès lors en rien une tâche occasionnelle précise et non durable.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que l’enquête sur les budgets des ménages constituerait une opération complexe, ainsi que l’une des opérations les plus lourdes des instituts de statistiques. Partant, les agents accomplissant les tâches afférentes devraient avoir des connaissances hautement spécialisées, sans pour autant être nécessairement des universitaires.

Le représentant étatique tend encore à démontrer que la personne ayant dispensé une formation spécialisée à la demanderesse auprès du STATEC aurait bénéficié d’une formation hautement spécialisée, de sorte à avoir été parfaitement en mesure d’initier la demanderesse à sa tâche.

En conclusion, le représentant étatique soutient tout d’abord que le ministre du Travail et de l’Emploi aurait satisfait tant à la première qu’à la seconde des deux exigences posées par l’article 8 (3) de la loi précitée du 24 mai 1989, en soulignant que le STATEC n’aurait eu qu’exceptionnellement recours, dans l’intérêt de la qualité de ses travaux statistiques dans le cadre de l’établissement de l’indice des prix à la consommation, au recrutement à durée indéterminée, dans la mesure où il n’aurait disposé que d’une seule vacance de poste au 1er janvier 2006, de sorte qu’il aurait été obligé de prendre la décision d’engager la demanderesse à laquelle il n’aurait jamais fait de promesse d’engagement à durée indéterminée.

Conformément à l’article 8, paragraphe (1) de la loi précitée du 24 mai 1989 « à l’exception du contrat à caractère saisonnier, la durée du contrat conclu pour une durée déterminée sur la base de l’article 5 ne peut, pour un même salarié, excéder 24 mois, renouvellements compris ». En vertu du paragraphe (3) du même article « le ministre du Travail peut exceptionnellement autoriser le relèvement de la période maximale visée au paragraphe (1) dans l’intérêt de salariés exerçant des activités dont le contenu requiert des connaissances hautement spécialisées et une expérience professionnelle dans la spécialisation ainsi que pour les emplois visés à l’article 5, paragraphe (2) sous 7°, 8° et 9° ».

Il échet tout d’abord de retenir que les conditions posées par l’article 8, paragraphe (3) précité, doivent avoir été réunies au moment de l’engagement initial du salarié en question, alors même que la disposition légale en question ne précise pas si ladite autorisation de relèvement doit nécessairement intervenir avant la conclusion du contrat d’engagement en question ou avant le renouvellement d’un contrat d’engagement conclu à durée déterminée d’une durée totale inférieure à 24 mois. En effet, tenir compte des expériences professionnelles acquises au cours de l’exécution dudit contrat d’engagement reviendrait à contourner l’exigence légale ainsi posée, de sorte à faciliter la conclusion de contrats d’engagement à durée déterminée excédant la période de 24 mois, au-delà des restrictions formelles et des limitations très strictes posées par la loi précitée du 24 mai 1989 quant à la conclusion de contrats d’engagement à durée déterminée.

Il échet partant de vérifier si, au moment de son engagement initial, la demanderesse bénéficiait tant de connaissances hautement spécialisées que d’une expérience professionnelle confirmée dans la spécialisation dans laquelle elle a été affectée au sein du STATEC, les deux conditions devant être simultanément remplies.

En ce qui concerne les connaissances dont disposait la demanderesse au moment de son engagement initial, il échet tout d’abord de retenir qu’il n’est pas établi en cause que la demanderesse ait déjà eu une quelconque autre expérience professionnelle avant d’être recrutée au sein du STATEC, étant entendu qu’elle a elle-même déclaré que le poste en question a été son premier emploi après ses études secondaires. Il n’est d’ailleurs pas contesté que la demanderesse dispose d’un diplôme de fin d’études secondaires délivré par un lycée d’enseignement technique, partant d’un diplôme qui ne fait pas état de connaissances hautement spécialisées ni en matière d’études statistiques ni d’ailleurs en aucune autre matière.

En ce qui concerne par ailleurs l’expérience professionnelle dont disposait la demanderesse au moment de son engagement initial, il échet encore de constater, comme il a déjà été relevé ci-avant, que la demanderesse ne bénéficiait d’aucune expérience professionnelle ni dans le domaine des études statistiques ni dans aucun autre domaine.

Il se dégage partant de ce qui précède que les conditions posées impérativement par l’article 8, paragraphe (3), précité, ne sont pas remplies en l’espèce, de sorte que la décision du ministre du Travail et de l’Emploi a été délivrée en violation de ladite disposition légale, et qu’elle est à annuler.

Il suit de ce qui précède que dans la mesure où le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur a prolongé une relation de travail à durée déterminée au-delà de la période de 24 mois telle que visée par l’article 8, paragraphe (1) de la loi précitée du 24 mai 1989, sans pouvoir se fonder sur une autorisation valable du ministre du Travail et de l’Emploi, et en l’absence d’une quelconque disposition légale sur laquelle il a pu fonder les décisions litigieuses des 13 octobre 2005 et 26 janvier 2006, la relation de travail qui s’est poursuivie après l’expiration de la période de 24 mois est à considérer comme un contrat de travail à durée indéterminée. Il s’ensuit que les décisions ministérielles précitées des 13 octobre 2005 et 26 janvier 2006 sont à réformer dans le sens à retenir l’existence avec effet à partir du 16 juin 2005 dans le chef de la demanderesse d’un contrat de travail à durée indéterminée en sa qualité d’employée de la carrière C auprès du STATEC.

En ce qui concerne la demande de réintégration de la demanderesse dans les services du STATEC, il échet de relever qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative d’ordonner la réintégration d’un employé public dans le service d’une administration donnée, même à la suite de la reconnaissance dans le chef dudit employé d’un contrat de travail à durée indéterminée auprès de l’Etat, puisqu’il appartient au ministre compétent, sur renvoi, de prendre les mesures d’exécution de ladite décision juridictionnelle qui s’imposent.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, joint les deux recours inscrits sous les numéros 20971 et 21006 du rôle ;

reçoit les recours en réformation en la forme ;

au fond, les déclare justifiés, partant, dans le cadre du recours en réformation de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 23 décembre 2004, annule celle-ci et réforme les décisions du ministre de l’Economie et du Commerce extérieur des 13 octobre 2005 et 26 janvier 2006 en reconnaissant dans le chef de Madame … l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée dans la carrière C auprès du STATEC, avec effet au 16 juin 2005 ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, déclare irrecevables les recours en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20971,21006
Date de la décision : 12/07/2006

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2006-07-12;20971.21006 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award