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28/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18761

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 octobre 2004, 18761


Tribunal administratif Numéro 18761 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2004 Audience publique du 28 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18761 du rôle, déposée le 21 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … à Ohaozera (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement pla...

Tribunal administratif Numéro 18761 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2004 Audience publique du 28 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18761 du rôle, déposée le 21 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ohaozera (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 octobre 2004 prorogeant une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire, initialement instituée le 16 août 2004 à son égard et prorogée une première fois par arrêté ministériel du 16 septembre suivant ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives.

En date du 8 juin 2004, le ministre de la Justice fut saisi de la part des autorités suédoises d’une demande de reprise sur base de l’article 16, 1. c) du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers concernant un dénommé …, alias ….

Le 10 juin 2004, le ministre de la Justice informa les autorités suédoises de son accord de reprendre le demandeur à Luxembourg sur base de l’article 16, 1. e) dudit règlement, alors 1que ce dernier avait présenté en date du 14 avril 2003 une demande d’asile sous le nom de …, demande rejetée suivant décision du ministre de la Justice du 18 février 2004.

Suite au transfert de Monsieur … au Grand-Duché de Luxembourg, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, par décision du 16 août 2004, plaça ladite personne au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Ladite décision de placement fut prorogée une première fois par arrêté ministériel du 16 septembre 2004.

Par arrêté du 14 octobre 2004, la décision de placement fut à nouveau prorogée. Cette deuxième prorogation est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu mes arrêtés pris en date des 16 août et 16 septembre 2004 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités nigérianes à plusieurs reprises ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 21 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision préindiquée du 14 octobre 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient en premier lieu que les démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises en vue de l’éloigner du territoire seraient insuffisantes, au motif qu’il serait « retenu par les autorités compétentes presque plus de deux mois » (sic).

Il estime ensuite qu’il ne peut faire l’objet d’un éloignement du pays, au motif qu’il serait à considérer comme demandeur d’asile, étant donné qu’il aurait présenté antérieurement une demande d’asile au Luxembourg, demande qui, bien que rejetée par décision du ministre de la Justice du 18 février 2004, aurait fait l’objet d’un recours gracieux en date du 22 septembre 2004 et d’un recours en réformation devant le tribunal administratif déposé en date du 20 octobre 2004. Dès lors, il ne serait pas à considérer comme étranger en situation 2irrégulière et la décision de placement serait contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il invoque finalement le caractère disproportionné de la mesure de placement, au motif que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ne constituerait pas un établissement approprié pour l’exécution de pareille mesure.

Le délégué du gouvernement relève en premier lieu que le demandeur a présenté une demande d’asile au Luxembourg en date du 14 avril 2003 et qu’il fut convoqué par lettre du 2 décembre 2003 pour se présenter au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile le 5 janvier 2004 en vue de son audition au sujet des motifs à la base de sa demande d’asile. Or, ladite lettre de convocation fut retournée au ministère de la Justice au motif que le demandeur avait omis de réclamer le courrier recommandé lui adressé, de sorte que le ministre de la Justice a rejeté, par décision du 18 février 2004, la demande d’admission au statut de réfugié comme n’étant pas fondée en raison d’un refus de collaboration de Monsieur …. Le représentant étatique signale encore que ladite décision fut notifiée par lettre recommandée à la dernière adresse connue du demandeur en date du 26 février 2004, que ce dernier fut signalé aux fins de découvrir sa résidence le 1er avril 2004, alors qu’il avait omis d’indiquer son changement de résidence, l’adresse officielle dont le ministère de la Justice avait connaissance n’étant apparemment plus celle à laquelle il séjournait à ce moment. Il s’en suivrait que Monsieur … ne serait plus à considérer comme demandeur d’asile, étant donné que sa demande d’asile aurait fait l’objet d’une décision négative en date du 18 février 2004. Dans ce contexte, le représentant étatique signale encore qu’un recours gracieux introduit par le mandataire du demandeur en date du 22 septembre 2004 a été avisé négativement par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 5 octobre 2004 au motif que ledit recours gracieux serait tardif, que la décision de refus du statut du 18 février 2004 aurait été valablement notifiée à l’adresse indiquée par le demandeur et que si ce dernier aurait changé de domicile et aurait omis d’en informer l’autorité administrative il ne pourrait en faire endosser la responsabilité à cette dernière.

Le représentant étatique entend réfuter également le reproche d’un défaut de diligences dans le chef des autorités luxembourgeoises en vue de procéder à l’éloignement de Monsieur …, étant donné que lesdites autorités auraient entrepris toutes les démarches nécessaires en vue de l’éloignement du demandeur du territoire luxembourgeois, mais que la mesure de placement initiale aurait dû être renouvelée à deux reprises en raison du fait que les autorités du Nigeria n’auraient pas encore donné de suite à la demande de délivrance d’un laissez-

passer.

Finalement, le représentant étatique relève que le demandeur a été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, établissement appropriée pour le placement d’étrangers qui se trouvent en situation irrégulière au Grand-Duché de Luxembourg.

Il convient de rappeler en premier lieu que suite à la présentation de sa demande d’asile en date du 14 avril 2003, le demandeur s’était vu octroyer une « adresse autorisée » à L-…Rédange/Attert,…. Il ressort encore du dossier administratif que Monsieur … s’est présenté régulièrement auprès de l’administration communale de Rédange/Attert et qu’il fut convoqué par le service des étrangers du ministère de la Justice pour le 16 octobre 2003 en vue du renouvellement de son attestation de demandeur d’asile. Il ressort encore d’une attestation du 13 septembre 2004, délivrée par le commissariat du Gouvernement aux 3étrangers auprès du ministère de la Famille et de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, qu’à partir du 16 novembre 2003 le demandeur fut relogé à L-… Wiltz, …. Il est également constant en cause que le demandeur a quitté par la suite le Luxembourg pour se rendre en Suède en faisant usage du nom de « … » et qu’il ne s’est pas présenté le 5 janvier 2004 au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile en vue de son audition concernant sa demande d’asile. La décision de refus du statut de réfugié du 18 février 2004 fut envoyée par recommandé en date du 26 février 2004 à Monsieur … à son adresse à Rédange/Attert, dernière adresse connue par les services du ministère de la Justice.

Concernant la prétendue qualité de demandeur d’asile de Monsieur … et l’impossibilité d’éloignement en découlant, il échet de constater en premier lieu qu’au moment de son placement initial en date du 16 août 2004, ainsi qu’au moment de la première décision de prolongation du placement du 16 septembre 2004, la demande d’asile du demandeur fut définitivement rejetée, de sorte que le ministre pouvait valablement le considérer comme étranger en situation irrégulière. Ce n’est qu’en date du 22 septembre 2004 que le demandeur a introduit, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision de refus du statut de réfugié du 18 février 2004, recours gracieux qui fut rejeté suivant décision ministérielle du 5 octobre 2004.

S’il est exact qu’il ressort de l’attestation délivrée par le commissariat du Gouvernement aux étrangers que Monsieur … fut logé en date du 16 novembre 2003 à Wiltz, il est cependant établi en cause que ce dernier a quitté le Grand-Duché de Luxembourg par la suite et n’a pas informé le ministère de la Justice, ni de son départ pour l’étranger, ni du fait que le commissariat du Gouvernement aux étrangers l’avait logé à Wiltz et il ne s’est pas présenté non plus auprès de l’administration communale de Wiltz pour voir viser son attestation de demandeur d’asile.

Partant, en l’état actuel du dossier le tribunal est amené à constater que le demandeur se trouve en apparence définitivement débouté de sa demande d’asile par décision du 18 février 2004, alors que le recours gracieux présenté par son mandataire en date du 22 septembre 2004, de même que le recours contentieux déposé au greffe du tribunal en date du 20 octobre 2004, sont à considérer comme irrecevables pour être tardifs, étant donné que l’on ne saurait reprocher au ministre de la Justice d’avoir adressé la décision de rejet du statut de réfugié au demandeur à son adresse à Rédange/Attert, c’est à dire à la seule « adresse autorisée » qui lui avait été attribuée au moment du dépôt de sa demande d’asile et par le biais de laquelle il avait régulièrement fait proroger la validité de son attestation de demandeur d’asile.

Il s’ensuit que le demandeur ne peut se prévaloir de la qualité de demandeur d’asile et que le moyen afférent est à rejeter.

Concernant la justification de la décision de prorogation sous examen, le paragraphe (2) de l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite (…) à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal est partant amené à analyser si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’en l’espèce une nécessité absolue rendait la reconduction de la décision de placement inévitable (trib. adm. 22 4mars 1999, n° 11191 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées).

L’autorité compétente doit veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée et que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire.

Or, en l’espèce, force est de constater sur base des éléments d’informations fournis au tribunal que les deux seules démarches que les autorités luxembourgeoises semblent avoir entreprises se limitent à deux courriers adressés aux autorités nigérianes en vue de la délivrance d’un laissez-passer, ces courriers datant des 15 respectivement 29 septembre 2004, soit 29 jours après le placement initial de l’intéressé et 13 jours après la première décision de prolongation du placement et sans la moindre démarche utile supplémentaire. Or, dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir que le bien-fondé de la prorogation de la mesure de rétention laisse d’être établi et que le recours est partant fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l'égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare également justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 octobre 2004 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 28 octobre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18761
Date de la décision : 28/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-28;18761 ?

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