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27/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18734

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2004, 18734


Tribunal administratif N° 18734 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2004 Audience publique du 27 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18734 du rôle, déposée le 18 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ

€™Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Mékani (Sierra Leone), de ...

Tribunal administratif N° 18734 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2004 Audience publique du 27 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18734 du rôle, déposée le 18 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Mékani (Sierra Leone), de nationalité sierra léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à l’annulation sinon à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 octobre 2004 ordonnant son placement audit Centre de séjour pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Daniel BAULISCH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2004.

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Le 7 novembre 2002, Monsieur …, préqualifié, introduisit une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 auprès des autorités luxembourgeoises laquelle demande fut rejetée comme non fondée par décision du ministre de la Justice du 30 septembre 2003. Cette décision fut confirmée sur recours par jugement du tribunal administratif du 28 avril 2004 (n° 17220 du rôle) et par arrêt de la Cour administrative du 13 juillet 2004 (n° 18028C du rôle).

Il ressort d’un procès-verbal du 8 mai 2003, référencé sous le numéro 65284, de la police grand-ducale, circonscription régionale de Luxembourg, Unité S.R.E.C., Service Section Stupéfiants, que Monsieur … fut arrêté le même jour du chef d’infraction à la loi sur les stupéfiants.

Le 29 septembre 2004, les autorités françaises adressèrent, sur base de l’article 16 du règlement n° 343/2003 du Conseil de l’Union Européenne du 18 février 2003, une demande de réadmission par les autorités luxembourgeoises de Monsieur …, celui-ci étant entré irrégulièrement en France, où le 26 septembre 2003, il fut interpellé par les services de la douane français à bord du train Luxembourg-Paris.

Le 7 octobre 2004, les autorités luxembourgeoises notifièrent aux autorités françaises qu’elles acceptèrent la demande de reprise en charge de Monsieur ….

Par arrêté du 12 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’entrée et le séjour à Monsieur ….

Suivant arrêté du même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d'un mois à partir de la notification de ladite décision dans l'attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

Ladite décision repose sur les considérations suivantes:

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu les rapports de police n° 60356 du 8 mai 2003, n° 023/03 du 26 mai 2003 et n° 3-

495 du 26 juin 2003 ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 12 octobre 2004 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

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qu'il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;

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qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités sierra léonaises ;

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qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

Une demande en obtention d’un laissez-passer en faveur du demandeur fut adressée par les autorités luxembourgeoises en date du 13 octobre 2004 à la Chancellerie diplomatique de la République de Sierra Leone à Bruxelles.

Par requête déposée le 18 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation à l'encontre de la décision ministérielle prévisée de placement du 12 octobre 2004.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours principal en annulation, au motif que seul un recours au fond serait prévu par la loi en la matière.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (cf. trib.

adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.

l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Quant au fond, le demandeur sollicite la réformation de la décision déférée et sa remise en liberté immédiate, sinon que le tribunal ordonne son placement dans un établissement plus approprié à sa situation personnelle.

A l’appui de son recours, il soulève en ordre principal l’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse, au motif que l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 conférerait au ministre de la Justice une « compétence exclusive » pour prendre une décision de placement à l’exclusion du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que la décision de placement entreprise serait à annuler pour cause d’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse.

Le demandeur conclut ensuite à l’absence de décision d’expulsion sinon de refoulement légalement prise à la base de la décision de placement entreprise. En effet, il ressortirait de la décision de placement du 12 octobre 2004 que celle-ci se réfère à un arrêté de refus d’entrée et de séjour du même jour qui aurait été pris par une autorité incompétente, à savoir le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration au lieu du ministre de la Justice, tel qu’exigé par la loi modifiée du 28 mars 1972.

En ordre subsidiaire, le demandeur estime que la régularité de la décision de placement serait contraire aux critères fixés par la loi et la jurisprudence, au motif que le placement au Centre pénitentiaire de Luxembourg devrait rester une mesure d’exception qui ne devrait s’appliquer que dans les cas de nécessité absolue.

Il soutient encore que la décision de placement constituerait une mesure disproportionnée, tant au regard des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qu’au regard de sa situation personnelle.

Finalement, le demandeur relève que la décision entreprise ne serait pas suffisamment motivée, ou du moins motivée par une considération étrangère aux critères pouvant justifier un placement. Ainsi ladite décision ne mentionnerait pas les circonstances de fait qui rendraient impossible l’exécution de la décision d’expulsion, et se contenterait de formules « passe-partout ».

Le délégué du gouvernement rétorque, concernant le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité ayant pris la décision déférée, que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères aurait été pris en exécution de l’article 76 de la Constitution qui abandonne au Grand-Duc le soin d’organiser son gouvernement et que les arrêtés basés sur ledit article 76 sont des actes équipollents aux lois, de sorte que l’arrêté du 7 août 2004 portant constitution des ministères, ayant force de loi, aurait modifié la législation en matière d’entrée et de séjour des étrangers en ce sens que la compétence ministérielle reviendrait au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Il conteste que la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée aurait prévu que la mesure de placement devrait rester une mesure exceptionnelle.

Quant au caractère disproportionné de la mesure de placement invoqué par le demandeur, le représentant étatique oppose l’exception de libellé obscur, au motif que le demandeur ne préciserait pas en quoi le placement au Centre de séjour provisoire serait disproportionné.

Enfin, il entend réfuter le moyen tiré d’une motivation insuffisante de la mesure déférée, en soutenant que l’arrêté ministériel litigieux serait motivé en fait et en droit, et que, pour autant que de besoin, la motivation serait complétée par le dossier administratif versé à l’appui du mémoire en réponse.

Concernant les deux premiers moyens d’annulation ayant trait à l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement et de l’arrêté d’entrée et de séjour, qu’il convient d’examiner ensemble, c’est à juste titre que le représentant étatique se prévaut de l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, et pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, lequel attribue compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement. Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd. 1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’ « organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).

Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement et de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour est à rejeter. Partant, c’est également à tort que le demandeur conclut à l’absence d’une décision d’expulsion, sinon de refoulement légalement prise à la base de la décision de placement (cf. trib. adm. 25 août 2004, n° 18582 du rôle, publié sur le site Internet http://www.etat.lu/JURAD/).

En ce qui concerne le moyen basé sur un défaut de motivation suffisante de la décision querellée, force est cependant de constater qu’il se dégage du libellé ci-avant transcrit de l’arrêté ministériel du 12 octobre 2004 que ce dernier est motivé à suffisance tant en droit qu’en fait, le demandeur n’ayant nullement pu se méprendre sur ses nature et portée et ayant pu assurer en parfaite connaissance de cause la sauvegarde de ses intérêts légitimes.

Il s’ensuit que la décision de placement entreprise est motivée à suffisance de fait et de droit.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la décision de placement litigieuse serait contraire aux critères fixés par la loi et la jurisprudence, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée maximale d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier que le ministre a pris le 12 octobre 2004 un arrêté de refus d’entrée et de séjour contre le demandeur, décision non critiquée quant à sa motivation et par ailleurs légalement justifiée en présence d’un étranger dépourvu du visa requis et ne disposant pas de moyens d’existence personnels.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Cette exigence légale appelle le tribunal à vérifier si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier en l’espèce une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.

En l’espèce, il est constant que le demandeur n’est pas en possession de documents de voyage valables permettant son rapatriement immédiat vers la Sierra Leone. Dans la mesure où l’obtention d’un laissez-passer de la part des autorités sierra léonaises, lequel a été sollicité par les autorités luxembourgeoises en date du 13 octobre 2004, ainsi qu’il ressort du dossier administratif, et l’organisation du voyage en Sierra Leone comportent nécessairement un minimum de démarches tenant notamment à la délivrance du prédit laissez-passer, l’introduction d’une demande auprès du corps de la police grand-ducale en vue d’obtenir une escorte, l’organisation du vol avec le cas échéant la nécessité de solliciter une permission de transit, le ministre a valablement pu estimer que l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement à la base de la décision sous analyse, était impossible à la date de la mesure de rétention déférée.

Dans la mesure où c’est par ailleurs précisément dans l’attente de la mise en œuvre des formalités préalables à son éloignement que le demandeur est maintenu en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans le cadre des prévisions légales en la matière.

Quant au moyen soulevé par le demandeur relativement au caractère disproportionné de la mesure de placement, il est constant, d’après l’exposé non contesté du délégué du gouvernement, que par application de la décision litigieuse, le demandeur est placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Or, force est de constater que le Centre de séjour provisoire est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état à suffisance de droit d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Il découle des développements qui précèdent que le recours n’est fondé en aucun de ses moyens et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 octobre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18734
Date de la décision : 27/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-27;18734 ?

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