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27/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18730

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2004, 18730


Tribunal administratif Numéro 18730 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2004 Audience publique du 27 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18730 du rôle et déposée le 18 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, né le …(Gambie), de nationalité gambienne, actuellement retenu au Cent...

Tribunal administratif Numéro 18730 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2004 Audience publique du 27 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18730 du rôle et déposée le 18 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Gambie), de nationalité gambienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximale d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 21 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2004.

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Le 27 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport N° 15/2499/2004/SCHR du 27 septembre 2004 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;

Considérant que l'intéressé n’est pas en possession d'un document de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d'existence personnels suffisants ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant que l'intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date d’aujourd’hui ;

-

qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant franchi irrégulièrement la frontière d’un Etat membre en provenance d’un Etat tiers, plus précisément l’Espagne en date du 29 février 2004 ;

-

qu’il est également signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d'asile en Autriche en date du 14 avril 2004 ;

-

qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités espagnoles dans les meilleurs délais ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n'est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Arrête:

Art. 1er.- Le soi-disant …, prétendant être né le … et être de nationalité gambienne, dont l’éloignement immédiat n'est pas possible, est placé, dans l'attente de cet éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification.

Art. 2.- La personne susvisée est à informer des dispositions de l'article 15 sub 5) et 6) de la loi du 28 mars 1972 pré-mentionnée.

Art. 3.- La présente sera adressée au Service de police judiciaire pour notification et exécution. Une copie sera transmise au responsable du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 27 septembre 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que les conditions légales pour prononcer une mesure de placement ne seraient pas remplies. Dans ce contexte, il estime que les autorités luxembourgeoises n'auraient pas entrepris tous les efforts en vue d'assurer que la mesure d'éloignement vers l’Autriche « respectivement l’Espagne » puisse être exécutée sans retard. Il relève que la reprise aurait été sollicitée sur base de données obtenues du système EURODAC et que les autorités autrichiennes n’ayant pas fait connaître leur décision endéans deux semaines, l’Autriche « respectivement l’Espagne » seraient à considérer comme ayant tacitement accepté sa reprise le 13 octobre 2004, de sorte qu’aucun empêchement légal ne s’opposerait à son éloignement immédiat, étant donné qu’il existerait depuis le 13 octobre 2004 une possibilité effective de procéder à son transfert.

En second lieu, le demandeur soutient que la mesure critiquée serait disproportionnée par rapport au but poursuivi par l'autorité administrative et qu’il n’aurait pas été placé dans un établissement approprié.

Le délégué du Gouvernement explique que Monsieur … a déposé le 27 septembre 2004 une demande d’asile au Luxembourg au terme d’un périple qui l’aurait prétendument mené de Gambie au Luxembourg en passant par la Tunisie, l’Italie et la France, mais qu’une recherche au système EURODAC aurait fait apparaître que le demandeur avait déjà précédemment déposé une demande similaire en Autriche et qu’il était entré irrégulièrement sur le territoire des Etats membres par la frontière extérieure espagnole, de sorte que les autorités luxembourgeoises ont sollicité en date du 29 septembre 2004 la prise en charge du demandeur auprès des autorités espagnoles sur base de l’article 10 (1) du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement CE n° 343/2003 ».

Il précise que le délai de réponse imparti aux autorités espagnoles conformément à l’article 18 (1) du prédit règlement CE n° 343/2003 expirerait seulement le 29 octobre 2004.

Quant au caractère inapproprié du placement, il relève que le demandeur n’a pas été placé au Centre pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui serait distinct du Centre pénitentiaire, et souligne que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière serait, aux termes de la jurisprudence, à considérer comme établissement approprié.

Le demandeur conteste dans son mémoire en réplique cette analyse et estime que l’on se trouverait en l’espèce en présence d’une reprise en charge et non d’une prise en charge, et en conclut que ce serait à tort que le ministre aurait basé sa demande de prise en charge sur l’article 18 du règlement CE n° 343/2003 sans recourir à la procédure d’urgence.

Le tribunal constate que le demandeur ne conteste pas les conditions de fond de la décision de rétention déférée, mais se limite à soulever un défaut de diligences en vue de limiter la rétention au strict nécessaire, en faisant plaider l’existence d’une possibilité effective de transfert, d’une part, et le caractère inapproprié de son placement, d’autre part.

En ce qui concerne le moyen tiré d’un défaut de diligences de la part des autorités luxembourgeoises pour écourter au maximum la restriction des libertés de l’intéressé, il est constant en cause au vu des informations fournies par le système EURODAC que le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière extérieure espagnole en date du 28 février 2004, pour ensuite déposer une demande d’asile en Autriche en date du 14 avril 2004. Il résulte encore des propres déclarations du demandeur telles qu’actées par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, qu’il n’a pas demandé le statut de réfugié dans un autre pays, de sorte que les affirmations non autrement documentées de son mandataire lors de l’audience du 25 octobre 2004 selon lesquelles il aurait également déposé une demande d’asile en Espagne sont à écarter.

Or, aux termes de l’article 10, paragraphe 1er du règlement CE n° 343/2003, lorsque, comme en l’espèce, il est établi que le demandeur d'asile a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre - en l’occurrence l’Espagne -

dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande d'asile. Par ailleurs, compte tenu de la hiérarchie des critères de détermination de l’Etat responsable inscrite aux articles 5 à 14 du règlement CE n° 343/2003, la compétence attribuée à l’Espagne sur base du prédit article 10 écarte celle pouvant éventuellement être attribuée sur base de l’article 13 du même règlement à l’Autriche en tant que premier Etat membre auprès duquel une demande d’asile a été présentée.

Le tribunal constate que les autorités luxembourgeoises, au vu de ces informations, ont notifié au demandeur la décision de rétention le jour même de son audition, soit le 27 septembre 2004, tandis que la demande de prise en charge a été adressée aux autorités espagnoles le 29 septembre 2004, soit deux jours ouvrables plus tard, la demande précisant par ailleurs expressément qu’une réponse urgente était attendue de la part de l’Espagne, le demandeur étant en rétention administrative.

Il est encore constant que le demandeur a déposé en date du 27 septembre 2004 une demande d’asile au Luxembourg, de sorte que l’Espagne, en tant qu’Etat responsable de l’examen de cette demande aux termes du prédit article 10, paragraphe 1er, est également tenue en conformité avec l’article 16, paragraphe 1er de « (…) a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 17 à 19, le demandeur d'asile qui a introduit une demande dans un autre État membre ».

Dans le cadre d’une telle prise en charge, l’Etat membre requérant – le Luxembourg – peut conformément à l’article 17, paragraphe 2 du règlement CE n° 343/2003 solliciter, comme en l’espèce, une réponse en urgence, en prévoyant un délai de réponse d’au moins une semaine. Conformément aux dispositions aux dispositions de l’article 17, paragraphe 2, alinéa 2 du règlement CE n° 343/2003, la requête a indiqué les raisons qui justifient une réponse urgente, en l’espèce la rétention, et le délai dans lequel une réponse est attendue, en l’espèce jusqu’au 13 octobre 2004.

Il s’ensuit que contrairement aux affirmations du demandeur, le traitement de son dossier par les autorités luxembourgeoises en vue de son transfert a été mené à ce stade du dossier avec toutes les diligences requises. Par, ailleurs, les dispositions de l’article 16 paragraphe 1er, alinéas c), d) et e) avancées par le demandeur en vue d’asseoir son argumentation, selon laquelle il y aurait lieu de procéder à une reprise et non à une prise en charge, sont à écarter, les conditions d’application de ces dispositions n’étant pas réunies en l’espèce. Ainsi, l’alinéa c) ne concerne qu’un Etat responsable en tant que premier Etat membre auprès duquel une demande d’asile a été présentée, ce qui n’est pas le cas de l’Etat espagnol, dont la compétence est donnée comme développé ci-dessus sur base de l’article 10, paragraphe 1er, tandis que les alinéas d) et e) concernent le cas de demandeurs d’asile qui soit ont retiré leur demande initiale, soit ont essuyé un refus de la part d’un Etat membre.

Néanmoins, contrairement à l’argumentation du délégué du Gouvernement, le délai de réponse imparti à l’Espagne en tant que pays requis n’est pas d’un mois, l’Espagne étant en effet tenu en vertu de l’article 18, paragraphe 6 du règlement CE n° 343/2003 de mettre tout en oeuvre pour respecter le délai demandé, de sorte qu’il lui aurait appartenu en principe de faire parvenir sa réponse jusqu’au 13 octobre 2004, sous réserve cependant de la possibilité prévue par le même article 18, paragraphe 6 d’exciper d’une complexité exceptionnelle de l’examen de la demande : « Exceptionnellement, lorsqu’il peut être démontré que l’examen d’une requête aux fins de prise en charge d’un demandeur est particulièrement complexe, l’Etat membre requis peut donner sa réponse après le délai demandé, mais en tout état de cause dans un délai d'un mois. Dans ce cas, l’Etat membre requis doit informer l’Etat membre requérant dans le délai initialement demandé qu’il a décidé de répondre ultérieurement ».

S’il ne résulte ni du dossier versé en cause ni des débats que l’Espagne aurait profité de cette possibilité en avertissant les autorités luxembourgeoises jusqu’au 13 octobre 2004 des difficultés rencontrées dans l’examen de la requête, cette absence de réponse ne saurait cependant être considérée comme acceptation tacite. En effet, conformément à l’article 18, paragraphe 7 du règlement CE n° 343/2003, ce n’est que l'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 qui équivaut à l'acceptation de la requête et qui entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris une bonne organisation de son arrivée.

Il s’ensuit que les autorités luxembourgeoises, à défaut de réponse de l’Espagne, ne se trouveront en présence d’une acceptation tacite de la part des autorités espagnoles que le 29 octobre 2004, de sorte qu’il ne saurait actuellement leur été reproché un quelconque défaut de diligences en vue du transfert du demandeur.

Concernant le caractère approprié du lieu de placement ainsi retenu par le ministre, il est constant que le demandeur est placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig dans la partie destinée exclusivement aux étrangers en situation irrégulière. Il échet à ce sujet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le Gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 précitée, un Centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre compétent, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit Centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Or, à défaut pour le demandeur d’avoir rapporté un quelconque élément tangible permettant de conclure au caractère inapproprié dudit Centre de séjour par rapport à son cas spécifique, le moyen tenant au caractère inapproprié du lieu de placement retenu en l’espèce laisse d’être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié, partant le rejette, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27.10.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18730
Date de la décision : 27/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-27;18730 ?

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