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27/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18071

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2004, 18071


Tribunal administratif N° 18071 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2004 Audience publique du 27 octobre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18071 du rôle et déposée le 18 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur … et de son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave et origin...

Tribunal administratif N° 18071 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2004 Audience publique du 27 octobre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18071 du rôle et déposée le 18 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave et originaires de l’Etat de Serbie et Monténégro, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice datée du 25 mars 2004 portant rejet de leur demande en obtention du statut de tolérance basée sur les article 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2004 par le délégué du Gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2004 par Maître François MOYSE pour le compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître François MOYSE ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2004.

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A l’issue d’une procédure tendant à l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés qui s’est soldée par une décision négative définitive, les époux … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fille …, se sont adressés au ministre de la Justice par courrier de leur mandataire datant du 1er avril 2003 pour solliciter le bénéfice du statut de tolérance provisoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg par application des dispositions de l’article 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. A l’appui de cette demande ils ont fait état de différents problèmes de santé dans le chef de Monsieur … qui s’opposeraient à un retour dans leur pays d’origine.

Cette demande étant restée sans suite concrète de la part du ministre, les consorts … lui ont adressé en date du 13 août 2003 une lettre de rappel en faisant état de « la remise de certificats médicaux nouveaux très récents, attestant les souffrances physiques de Monsieur … », tout en faisant allusion à l’annonce d’une nouvelle prise de position au sujet de son aptitude physique en rapport avec un éventuel rapatriement, ceci par référence à une réunion du même jour de la famille … en présence d’une collaboratrice de leur mandataire dans les bureaux du service des réfugiés auprès du ministère de la Justice, destinée à l’exposé des informations concernant le retour dans leur pays d’origine.

En date du 9 septembre 2003, les consorts … furent informés que leur rapatriement dans leur pays d’origine avait été fixé au matin du vendredi 12 septembre 2003 par avion spécial à destination de Podgorica.

Par requête déposée le 10 septembre 2003, inscrite sous le numéro 16962 du rôle, les époux … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision implicite de rejet du ministre de la Justice de leur demande en obtention du statut de tolérance, ainsi que de la décision orale leur communiquée en date du 9 septembre 2003 les informant de leur rapatriement dans leur pays d’origine prévu pour le vendredi 12 septembre 2003.

Par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 16961 du rôle, ils ont demandé au président du tribunal administratif d’ordonner principalement le sursis à exécution et subsidiairement une mesure de sauvegarde consistant dans l’octroi d’une autorisation de séjour provisoire à leur profit en attendant que l’état de santé de Monsieur … soit compatible avec un retour digne et médicalement acceptable, et ce sur constatation d’un médecin-expert établissant un rapport médical contradictoire.

Par ordonnance du 11 septembre 2003, le premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitiment empêchés, a reçu la requête en institution d’une mesure de sauvegarde en la forme et l’a déclarée justifiée en fait en autorisant les époux … et …, ainsi que leur fille … … à séjourner sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant que le tribunal ait statué au fond dans le présent recours.

Par jugement du 18 février 2004 (numéro 16962 du rôle), le tribunal administratif a reçu le recours en annulation en la forme et a annulé la décision implicite de rejet du ministre de la Justice se dégageant du silence observé par ce dernier par rapport à la demande introduite par les demandeurs en date du 1er avril 2003 ainsi que la décision orale du même ministre, leur communiquée en date du 9 septembre 2003 par laquelle ils furent informés que leur rapatriement dans leur pays d’origine était fixé au vendredi 12 septembre 2003, et a renvoyé l’affaire en prosécution de cause devant le ministre.

En date du 25 mars 2004, le ministre adressa au mandataire des demandeurs une décision de refus explicite libellée en les termes suivants :

« J’ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de tolérance en faveur de la famille … ainsi qu’au jugement du Tribunal administratif du 18 février 2003 annulant la décision implicite de rejet du ministre de la Justice pour défaut de motivation.

Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande et cela pour les motifs suivants.

Permettez-moi tout d'abord de vous rappeler que le statut de tolérance prévu par l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1° d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2° d’un régime de protection temporaire est réservé aux cas où « l’exécution matérielle de l’éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait ». Or, je suis amené à constater que le contrôle médical, saisi pour avis en date du 22 septembre 2003 sur base des certificats médicaux déposés par vous-même, a conclu que Monsieur … ne présente pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d'origine.

Au-delà de cette conclusion du contrôle médical, je suis amené à constater que des problèmes de genoux ne sauraient correspondre à des circonstances de fait rendant l'exécution matérielle d'un éloignement impossible, conformément à l'article 13 précité.

Par voie de conséquence, vos mandants sont invités à se présenter au bureau d’accueil pour demandeurs d'asile afin d’organiser leur retour vers leur pays d'origine. » Par requête déposée le 18 mai 2004, les demandeurs ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la prédite décision ministérielle de refus.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions déférées, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande principale en réformation. Le recours en annulation formulé à titre subsidiaire, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours au fond les requérants font exposer, entre autres, que Monsieur … souffrirait de graves problèmes de santé, notamment de céphalées quotidiennes d’allure psychogène liées à un état dépressif sévère et d’un déboîtement du genou droit, et que son état de santé précaire ne permettrait pas un retour dans son pays d’origine. Ils soutiennent encore qu’en cas de retour forcé dans leur pays d’origine, l’état de santé de Monsieur … risquerait de s’aggraver, étant donné qu’aucun traitement médical adéquat ne lui serait garanti au Monténégro.

Ils précisent que Monsieur … a subi en mai 2004 une opération de son genou, de sorte qu’il se trouverait actuellement en rééducation, et ce pour une durée non précisée.

Ils versent enfin divers certificats médicaux attestant des problèmes médicaux dont souffre Monsieur …, problèmes qui prohiberaient tout retour dans son pays d’origine sous peine de l’exposer à un traitement inhumain et dégradant, expressément interdit par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les demandeurs critiquent encore la décision ministérielle déférée au motif qu’elle serait contraire à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il lui appartient d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ainsi que de vérifier si les éléments de fait dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée.

Au titre de l’article 13, alinéa 1er de la loi précitée du 3 avril 1996, lorsque le statut de réfugié a été refusé, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et l’alinéa 3 du prédit article prévoit une exception à ce principe « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre de la Justice peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».

S’il est dès lors vrai que la maladie d’un demandeur d’asile débouté et la qualité des soins médicaux dans son pays d’origine sont, le cas échéant, susceptibles de constituer une circonstance de fait rendant l’exécution matérielle d’un éloignement impossible et, par conséquent, de nature à justifier que l’intéressé soit admis à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au moment où la circonstance de fait aura cessé, force est cependant de constater qu’en l’espèce les parties sont en désaccord en ce qui concerne l’état de santé de Monsieur … et des conséquences en découlant en ce qui concerne la possibilité de procéder à son éloignement.

Ainsi, si les parties demanderesses versent aux débats des certificats médicaux couvrant la période du 30 septembre 2002 au 5 octobre 2004 attestant des problèmes de santé de Monsieur …, liés principalement à une pathologie de son genou droit qui lui imposerait de suivre un traitement et de se déplacer avec deux cannes anglaises, l’Etat pour sa part se prévaut d’un avis du 29 septembre 2003 établi par le médecin-conseil de l’administration du contrôle médical de la sécurité sociale, qui a estimé que Monsieur … ne présenterait pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d’origine.

Il y a dès lors lieu de retenir que les éléments actuellement fournis au tribunal concernant les infirmités de Monsieur … susceptibles d’empêcher matériellement son rapatriement, ne permettent pas, en l’état, une conclusion unique, le délégué du Gouvernement suggérant d’ailleurs lui-même de recourir le cas échéant à une expertise.

En l’espèce, il s’agit donc de circonscrire si Monsieur … souffre effectivement d’infirmités ou de troubles susceptibles de rendre son rapatriement dans son pays d’origine matériellement impossible. Le tribunal n’étant pas à même, à défaut de connaissances médicales et techniques adéquates, de procéder lui-même à ces évaluations, il échet de commettre, avant tout autre progrès en cause, un homme de l’art avec la mission plus amplement détaillée au dispositif du présent jugement, tous autres droits et moyens étant réservés.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard des deux parties ;

reçoit le recours en la forme ;

avant tout autre progrès en cause, tous autres droits et moyens des parties étant réservés, nomme expert Monsieur Jacques PREYVAL, médecin spécialiste en médecine légale, demeurant à L-3333 Hellange, 49, rue de Bettembourg avec la mission d’analyser et de se prononcer sur l’état de santé de Monsieur … afin de déterminer s’il souffre d’une pathologie ou d’une infirmité d’une gravité exceptionnelle ne lui permettant pas de retourner dans son pays d’origine ;

dit que l’expert aura communication de l’ensemble du dossier administratif et des pièces transmises au tribunal et qu’il pourra s’entourer de tierces personnes dans le cadre de sa mission ;

dit que l’expert sera autorisé à entendre des tierces personnes et notamment les auteurs de certificats et rapports établis en relation avec les faits faisant l’objet de sa mission ;

invite l’expert à remettre son rapport pour le 24 novembre 2004 au plus tard quitte à solliciter un report de cette date au cas où il n’arriverait pas à ce faire dans le délai imparti ;

ordonne au demandeur de consigner la somme de 450 € à titre d’avance sur les frais et honoraires de l’expert à la caisse des consignations et d’en justifier au tribunal ;

réserve les frais ;

fixe l’affaire au rôle général ;

réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18071
Date de la décision : 27/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-27;18071 ?

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