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27/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17798

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2004, 17798


Tribunal administratif N° 17798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2004 Audience publique du 27 octobre 2004 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17798 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2004 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Pol STEINHAUSER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Péro

u), de nationalité péruvienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’...

Tribunal administratif N° 17798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2004 Audience publique du 27 octobre 2004 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17798 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2004 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Pol STEINHAUSER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Pérou), de nationalité péruvienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 février 2004, lui notifiée le 17 février 2004 lui refusant l’octroi d’une autorisation de séjour et l’invitant à quitter le pays sans délai ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pol STEINHAUSER en sa plaidoirie aux audiences publiques des 4 et 25 octobre 2004.

Madame …, dont les parents ont été tués lorsqu’elle était encore jeune enfant, a vécu à l’orphelinat d’Ayacucho jusqu’à l’âge de sa majorité. N’ayant pu trouver de travail au Pérou à la sortie de l’orphelinat, Monsieur X et son épouse, Madame Y, vice-

consul honoraire du Pérou, l’ont invitée à Luxembourg pour une période de trois mois.

Madame … est ainsi arrivée au pays en date du 27 juillet 1999 moyennant un visa touristique de trois mois. En date du 22 septembre 1999, Madame X-Y a introduit une demande en autorisation de séjour pour étudiants auprès du ministre de la Justice au profit de Madame …. Par décision du 29 mai 2000, le ministre rejeta cette demande au motif que l’intéressée n’était pas inscrite dans un établissement secondaire reconnu pour pouvoir bénéficier d’une telle autorisation, ainsi que de l’absence de tout lien familial avec les épouxX-Y.

Par courrier du 15 juin 2000, MadameX-Y a fait introduire un recours gracieux contre cette décision de refus.

Par décision du 22 novembre 2000, le ministre de la Justice, après d’itératives interventions de MadameX-Y, a accordé une autorisation de séjour valable jusqu’au 30 juin 2001 à Madame … avec la mention expresse qu’elle n’était pas prorogeable.

Par courrier du 6 juin 2001, Monsieur X s’adressa au ministre de la Justice pour solliciter la prorogation de l’autorisation de séjour de Madame … pour une autre période de six mois aux motifs suivants :

« Ayant suivi des cours de français et de cuisine dans des établissements luxembourgeois, elle a exprimé le désir d’être engagée dans notre ménage comme aide ménagère et, comme elle parle le français, l’anglais et plus important l’espagnol, pour faire le téléphone du Consulat durant nos absences.

A ces fins, nous avons introduit en date du 15 mai 2001 à l’Administration de l’Emploi une déclaration d’engagement, un contrat de travail et les explications justifiant l’engagement en question ( copies de ces papiers annexées).

Ayant été informé aujourd’hui par un fonctionnaire de l’Administration de l’Emploi que le traitement de cette demande prendra 3 à 9 mois, je vous prie de bien vouloir proroger l’autorisation de séjour de Mlle … pour une autre période de 6 mois. » La demande en obtention d’un permis de travail invoquée dans le courrier prérelaté s’est soldée par la négative, le ministre du Travail et de l’Emploi ayant refusé, par décision du 30 janvier 2004, d’accorder le permis de travail à Madame ….

Par décision du 13 février 2004, le ministre de la Justice lui fit alors parvenir un courrier à la teneur suivante :

« Le Ministre du Travail m’informe qu’un refus de permis de travail vous a été notifié en date du 30 janvier 2004.

Constatant dès lors que vous ne disposez pas de moyens d’existence personnels légalement acquis, une autorisation de séjour ne saurait dans ces conditions vous être délivrée.

En effet selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Vous êtes par conséquent invitée à quitter le pays sans délai, d’autant plus que vous y séjournez de façon irrégulière.

A défaut de départ volontaire, un rapatriement forcé sera entrepris. » Par requête déposée en date du 23 mars 2004, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 février 2004.

Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse rappelle que ses parents ont été sauvagement abattus à Ayacucho par des terroristes du sentier lumineux en 1982 et que lors de son séjour à l’orphelinat de Huanta, dans le département d’Ayacucho, elle avait été parrainée par les épouxX-Y, qui se seraient par la suite engagés moralement à suppléer ses parents, raison pour laquelle ils l’auraient accueillie en 1999 dans leur domicile conjugal pour assurer son développement intellectuel et culturel, en l’inscrivant notamment dans différents cours organisés sous les hospices du ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle. La demanderesse reproche au ministre de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur la gravité des faits par elle invoqués. Elle fait valoir plus particulièrement que la décision litigieuse trouverait sa principale cause dans la décision de refus du ministre du Travail et de l’Emploi du 30 janvier 2004 concernant sa demande en obtention d’un permis de travail. Elle relève le fait que cette décision fait état de 2428 ouvriers, demandeurs d’emploi appropriés qui seraient disponibles sur place, mais que la demande de MonsieurX formulée en date du 22 mars 2001 auprès de l’Administration de l’Emploi afin de se voir assigner des personnes intéressées pour occuper le poste de travail d’aide ménagère sous le respect de certaines conditions spécifiques, telle que la maîtrise de différentes langues, un travail de 16 à 20 heures par semaine, logement chez l’employeur, n’aurait pas fait l’objet d’un accueil favorable de la part du marché de l’emploi. Elle relève en outre qu’au moment de son engagement auprès de MonsieurX elle aurait été en situation régulière au Luxembourg, de sorte que ce serait à tort que le ministre du Travail lui a opposé la non-observation de la procédure applicable en matière de recrutement à l’étranger.

Estimant, sur base du contrat d’emploi conclu avec les épouxX-Y, avoir à sa disposition un emploi stable et sérieux dans un entourage chaleureux, Madame … fait valoir qu’elle devrait se voir accorder le permis de travail au Luxembourg. Elle estime par voie de conséquence remplir également les conditions pour se voir accorder une autorisation de séjour.

Il y a lieu de relever liminairement que les développements de la demanderesse se rapportant à la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 30 janvier 2004 sont à écarter des débats pour être étrangers à l’objet du litige, le tribunal n’étant pas saisi d’un recours dirigé contre ladite décision du 30 janvier 2004, mais d’un recours dirigé contre la seule décision déférée du ministre de la Justice du 13 février 2004, laquelle, de par son objet, en est clairement distincte.

Il s’ensuit qu’il n’appartient pas au tribunal, dans le cadre de la présente espèce, de se prononcer sur le bien-fondé de la décision de refus intervenue en matière de permis de travail, sous peine de statuer ultra petita.

La demande en obtention d’une autorisation de séjour de Madame … est fondée sur la double considération que, d’un côté, elle serait liée par un lien de quasi-parenté aux épouxX-Y en raison du parrainage prérelaté, ainsi que, d’un autre côté, elle disposerait de moyens personnels suffisants pour subvenir à ses besoins en tant que bénéficiaire d’un contrat de travail auprès des épouxX-Y, ensemble le soutien financier et logistique mis à sa disposition par ces mêmes personnes.

L’entrée et le séjour d’étrangers ne faisant pas l’objet de conventions internationales particulières sont régis par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, qui a opéré une refonte législative en la matière et fixé les principes généraux applicables pour l’entrée et le séjour des étrangers, en réunissant dans un même document législatif l’ensemble des prescriptions relatives à la condition de l’étranger.

L’approche générale retenue en la matière à travers les dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qui dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : - qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », consiste non pas à énoncer positivement les conditions à remplir par les ressortissants étrangers désirant obtenir une autorisation de séjour, mais se résume à l’énonciation limitative de motifs de refus d’entrée et de séjour.

Ledit article 2 accorde ainsi au ministre la possibilité de refuser l’entrée et le séjour à un étranger pour les motifs y énoncés, étant entendu que l’exercice de cette possibilité ne saurait être que facultatif pour le ministre (cf. Cour adm. 20 mai 2003, n° 16092C du rôle, non encore publié).

En effet, d’un point de vue logique, une permission de faire quelque chose (qui autrement serait défendu) implique l’absence d’une interdiction, mais n’implique pas nécessairement l’obligation de faire (cf. le langage du droit, travaux du centre national de recherche de logique, études publiées par Léon INGBER avec la collaboration de Patrick VASSART, Editions Nemesis, 1991, p. 112 et suivantes).

Appliqué à l’article 2 prérelaté la permission de refuser l’entrée et le séjour à l’étranger pour l’une des raisons y énoncées implique dès lors à la fois l’absence d’une obligation de ce faire et la permission de ne pas exercer cette faculté de refus.

Il s’ensuit que le tribunal ne saurait admettre l’interprétation de l’article 2 prérelaté retenue par le ministre à la base de la décision litigieuse du 13 février 2004 consistant à considérer la délivrance d’une autorisation de séjour comme étant subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, étant donné que cette interprétation revient à dénaturer un motif de refus facultatif en l’érigeant en une condition positive à remplir pour l’obtention d’une autorisation de séjour.

Force est en effet de constater que contrairement aux motifs de refus limitativement énoncés à l’article 2 prérelaté, la loi précitée du 28 mars 1972 reste silencieuse quant à d’éventuelles conditions à remplir pour se voir accorder une autorisation de séjour, relaissant ainsi à l’autorité chargée d’appliquer la loi sa plénitude d’appréciation en la matière.

Il s’ensuit que confronté à une décision de refus d’entrée et de séjour, le tribunal est appelé à examiner d’abord si les motifs retenus par le ministre rentrent effectivement dans les prévisions de l’article 2 prérelaté de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, ainsi que, dans l’affirmative, si dans l’exercice de la faculté de refus lui accordée, le ministre, compte tenu des faits de l’espèce, n’a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire.

En application de l’article 2 prérelaté de la loi modifiée du 28 mars 1972, le ministre de la Justice peut refuser l’octroi d’un permis de séjour lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, n° 9669 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 134 et autres références y citées).

Si le tribunal perçoit en l’espèce certes la volonté affichée par les épouxX-Y d’établir des liens étroits avec la demanderesse à travers l’accueil lui offert au Luxembourg à sa sortie de l’orphelinat au Pérou, il n’en demeure cependant pas moins que le seul lien de parrainage, concrétisé matériellement par un soutien financier de l’ordre de 507,44 € sur la période de 1995 à 1999, ainsi que d’un point de vue personnel par des liens d’amitié qui se sont noués essentiellement à partir de l’arrivée de la demanderesse au pays, ne sauraient suffire pour ôter à cette dernière la qualité de tiers par rapport aux épouxX-Y et l’élever au rang de quasi-parent.

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu estimer que le soutien financier accordé par les épouxX-Y à la demanderesse ne saurait être considéré comme des moyens d’existence personnels au sens de la loi, la même conclusion s’imposant à un autre titre au sujet des revenus escomptés par la demanderesse par le biais du contrat de travail conclu avec les épouxX-Y. En effet, à défaut de permis de travail autorisant Madame … à percevoir légalement ses revenus, le ministre a encore valablement pu les écarter au titre de moyens personnels suffisants au sens de la loi et refuser par voie de conséquence l’entrée et le séjour au pays à l’intéressée.

Force est encore de constater que les faits tels que présentés en l’espèce, s’ils sont certes de nature à documenter l’existence d’une relation étroite entre la demanderesse et les épouxX-Y, ne sont pas pour autant de nature à établir un éventuel abus de pouvoir commis par le ministre lors de l’exercice de la faculté lui accordée par la loi de refuser l’autorisation de séjour à l’intéressée, de sorte que la décision litigieuse ne saurait être critiquée utilement sous cet aspect non plus.

Encore que l’Etat, qui s’est vu notifier le recours sous examen par la voie du greffe en date du 23 mars 2004 n’a pas comparu à l’instance par le dépôt d’un mémoire en délai légal, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, ceci conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17798
Date de la décision : 27/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-27;17798 ?

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