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25/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18244

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2004, 18244


Tribunal administratif N° 18244 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juin 2004 Audience publique du 25 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18244 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2004 par Maître Stef OOSTVOGELS, avocat à la Cour, assisté de Maître Estelle FRANÇAIS, avocat, tous les deux ins

crits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Gambi...

Tribunal administratif N° 18244 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juin 2004 Audience publique du 25 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18244 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2004 par Maître Stef OOSTVOGELS, avocat à la Cour, assisté de Maître Estelle FRANÇAIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Gambie), de nationalité gambienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 septembre 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 mai 2004 intervenue suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 18 octobre 2004, Maître Estelle FRANÇAIS et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK s’étant ralliés à leurs écrits respectifs.

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Le 22 avril 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 3 juillet 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, notifiée au demandeur le 19 mars 2004, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 18 avril 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 24 mai 2004, expédiée par courrier recommandé du même jour, aux termes de laquelle il maintient sa précédente décision en son intégralité.

Le 17 juin 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions ministérielles précitées.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, le demandeur conteste les motifs invoqués pour lui refuser le statut de réfugié. Il fait ainsi exposer que la situation générale en Gambie serait « loin d’être stable politiquement » et que la capitale gambienne serait régulièrement victime de rumeurs de coup d’Etat. Il relève encore que la liberté d’expression ne serait pas garantie dans ce pays.

Il fait exposer qu’il aurait fait l’objet de persécutions dans son pays, et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine sous la menace des forces de l’ordre et des services secrets NIA (« National Intelligence Agency »). Il relate à ce sujet avoir participé en 1999 à une démonstration « réprimée violemment par les autorités gambiennes », ce qui l’aurait contraint à se réfugier au Sénégal, pays qui lui aurait accordé l’asile politique, pour ensuite se rendre au Maroc où il aurait vécu dans un camp de réfugiés et pour finalement aboutir en avril 2003 en Europe et plus précisément au Luxembourg.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet des déclarations faites par le demandeur que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions ou de menaces du fait d’une activité politique quelconque, mais à cause de sa participation à une démonstration d’étudiants en 1999 organisée suite à la mort d’un étudiant au cours de laquelle il avoue avoir détruit et mis le feu à tout ce qui se trouvait sur son passage. Le demandeur est d’ailleurs formel pour déclarer ne pas avoir eu d’activité politique à part sa participation à cette manifestation, et ne pas avoir eu d’autres ennuis que ceux causés par son comportement au cours de cette manifestation.

Le tribunal tient à relever les passages relevants des déclarations du demandeur telles que relatées dans le procès-verbal de son audition : « Because of this demonstration, we burned a lot of police stations, and fire ambulance was burned, we are responsible (…) », « (the police) named me because I was one of the destroyers », «Around the market place (…) the police station was there I put gas oil on the floor inside (…) » ou encore « During the demonstration we were destroying shops and everything on the way of the demonstration we were burning tires and we were sending it to destroy ».

Il résulte encore des déclarations du demandeur que celui-ci est parfaitement conscient que ces faits, qui s’analysent en des délits de droit commun, sont la cause des poursuites policières dont il entend à présent se prévaloir pour obtenir le statut de réfugié: « They believe that I am the first person who entered and put gas oil in there. They told me maybe I will go to jail because of having destroying », « The things we have destroyed were things build by the governement like fire station, it cost a lot of money ». Par ailleurs, interrogé quant au rôle qu’il avait joué dans cette démonstration (« Is it true that you are the first one ? »), le demandeur admet avoir été l’un des premiers participants à avoir incendié les installations de police « No, I am not the first but I am among ».

Il résulte dès lors que loin d’avoir été persécuté pour des raisons couvertes par la Convention de Genève, le demandeur cherche en fait à se soustraire à des poursuites judiciaires pour des faits qui relèveraient en droit luxembourgeois d’infractions criminelles sinon délictuelles.

Il y a par ailleurs lieu de relever que le demandeur, avant de se rendre au Luxembourg, a vécu de 1999 à 2003 à Dakar au Sénégal où il aurait, selon ses propres dires, bénéficié de l’asile politique, de sorte que le demandeur ne saurait en tout état de cause être considéré comme persécuté à l’époque où il débuta son voyage qui le mena au Luxembourg. Les explications du demandeur selon lesquelles il aurait craint de se faire enlever au Sénégal par la police secrète gambienne, étayées par la seule affirmation qu’ « il s’agit certes de pratiques surprenantes mais elles se font de façon secrète dans certains pays d’Afrique, et notamment en Gambie » ne sauraient à ce sujet être considérées comme convaincantes et crédibles.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.10.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18244
Date de la décision : 25/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-25;18244 ?

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