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25/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17907

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2004, 17907


Tribunal administratif N° 17907 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2004 Audience publique du 25 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17907 du rôle, déposée le 15 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur …, product & marketing manager, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et...

Tribunal administratif N° 17907 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2004 Audience publique du 25 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17907 du rôle, déposée le 15 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, product & marketing manager, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 février 2004 portant rejet d'une demande d'autorisation de séjour en faveur de Madame …, belle-mère du demandeur et grand-

mère de sa fille …, âgée de quatre ans ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 19 avril 2004 par laquelle Madame … a été autorisée à séjourner sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg jusqu'à ce que l'état de santé psychologique et l'âge de l'enfant … soit compatible avec l'absence de sa grand-mère et ce sur constatation d'un médecin-expert établissant un rapport médical contradictoire ;

Vu la lettre déposée le 14 octobre 2004 par le délégué du gouvernement informant le tribunal de ce que le gouvernement de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’entendait pas produire de mémoire, lettre en annexe de laquelle le dossier administratif a été produit pour les besoins de la cause ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Barbara NAJDI en sa plaidoirie.

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Faisant suite à une demande d'autorisation de séjour formulée par Monsieur …, de nationalité belge, résidant et travaillant au Luxembourg, en faveur de sa belle-mère Madame …, née le 24 février 1939, de nationalité russe, grand-mère de sa fille …, âgée de quatre ans, dans le cadre de laquelle il exposa que son épouse, Madame …, avait été assassinée le 4 juin 2002 en présence de la fille du couple, et que dans la suite, Madame … s'est occupée de … qui a rejoint son père, accompagnée de sa grand-mère, fin avril 2003, Madame … remplaçant depuis le décès de Madame … la mère de l'enfant, le ministre de la Justice, par décision du 17 février 2004 refusa d’y faire droit. La décision de refus ministérielle est libellée comme suit :

« J’ai l’honneur d’accuser réception de votre courrier concernant l’objet sous rubrique.

Toutefois, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête, alors que le regroupement familial se limite aux ascendants et descendants directs. Par ailleurs, votre belle-mère ne peut pas profiter des droits dérivés du droit communautaire.

Pour le surplus, une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Donc, en application de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, une autorisation de séjour ne saurait être délivrée à votre belle-mère.

Etant donné que l’intéressée se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, elle est invitée à quitter le pays dans les meilleurs délais. A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de l’éloigner du territoire luxembourgeois.

Comme votre fille … … est de nationalité belge, elle n’a pas besoin d’une autorisation de séjour pour rester au pays, mais elle doit passer à l’administration communale du lieu de sa résidence pour y souscrire une déclaration d’arrivée. (…) ».

Le 15 avril 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de ladite décision ministérielle du 17 février 2004. – Par requête séparée déposée le même jour, il a introduit en outre une demande tendant au sursis à exécution de la décision critiquée, et à l'institution d'une mesure de sauvegarde consistant dans la délivrance d'une autorisation de séjour provisoire pour Madame … jusqu'à ce que l'état de santé psychologique et l'âge de l'enfant … soit compatible avec l'absence de sa grand-mère et ce sur constatation d'un médecin-expert établissant un rapport médical contradictoire, cette demande subsidiaire, à laquelle le délégué du gouvernement s’était déclaré ne pas s’opposer, ayant été accueillie favorablement par le président du tribunal administratif par ordonnance du 19 avril 2004.

Même en l’absence de contradicteur et de contestation afférente, le tribunal est de prime abord appelé à examiner sa compétence pour connaître du recours, étant relevé que si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib.

adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation de la décision critiquée.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur soutient que la décision ministérielle serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qu’elle constituerait une ingérence intolérable et disproportionnée dans sa vie privée et celle de sa fille.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif peut vérifier les faits formant la base d’une décision administrative qui lui est soumise et examiner si ces faits sont de nature à justifier la décision. Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis (cf.

trib. adm. 7 décembre 1998, n° 10807, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 10).

Ceci étant, il convient encore de préciser que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des moyens et arguments par lui soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité des dispositions légales invoquées par respectivement le ministre de la Justice et le demandeur aux circonstances apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Ceci étant, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Ainsi, sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, ledit article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Or, au regard des données factuelles apparentes du cas d’espèce, à savoir :

-

les antécédents très particuliers ayant amené Madame …, la belle-mère du demandeur, grand-mère de sa fille …, âgée de quatre ans, à quitter la Russie pour accompagner … lors de son « rapatriement » au Luxembourg auprès de son père, suite à l’assassinat de sa mère, Madame …, en date du 4 juin 2002 ;

-

le rôle de mère assumé par la grand-mère suite au décès de Madame …, le lien de parenté direct entre l’enfant du demandeur et sa grand-mère étant patent ;

-

les conséquences néfastes qu’engendrerait la séparation de … de sa grand-

mère, étant relevé dans ce contexte qu’il ressort entre autres d’un certificat médical produit en cause émanant du docteur J-P D, spécialisé en pédiatrie et médecine des enfants et adolescents en date du 5 mars 2004 que « (…) durant la consultation, … se montre comme une enfant en bonne santé, anxieuse et très attachée à son père et à sa grand-mère, qui s’occupe d’elle d’une manière chaleureuse et remarquable.

En conclusion, il se révèle que la personnalité de … est actuellement en équilibre précaire après un choc psychologique sévère. Une nouvelle séparation d’un membre familial avec lequel l’enfant a développé des liens particulièrement étroits serait néfaste pour son développement psycho-

émotionnel ultérieur » ;

le tribunal arrive à la conclusion qu’en l’espèce, le refus d’accorder un permis de séjour à Madame … en attendant que l'état de santé psychologique et l'âge de l'enfant … soit compatible avec l'absence de sa grand-mère constitue une ingérence disproportionnée et injustifiée dans l’exercice de leur droit au respect d’une vie familiale au sens de l’article 8 précité.

Il s’ensuit que la décision du ministre de la Justice du 17 février 2004 est illégale pour procéder d’une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait et elle doit partant être annulée.

Enfin, il convient également de faire droit à la demande formulée en nom et pour compte de la partie demanderesse lors de l’audience fixée pour les plaidoiries et basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives tendant à ce que le tribunal proroge, pendant le délai d’appel et au cours d’une éventuelle instance d’appel à intervenir, les effets de l’ordonnance présidentielle précitée du 19 avril 2004 en ce qu’elle autorise Madame … à séjourner provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision du ministre de la Justice du 17 février 2004 et renvoie le dossier devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour prosécution de cause ;

proroge les effets de l’ordonnance présidentielle précitée du 19 avril 2004 en ce qu’elle autorise Madame … à séjourner provisoirement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 25 octobre 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17907
Date de la décision : 25/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-25;17907 ?

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