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25/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17891

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2004, 17891


Tribunal administratif N° 17891 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 25 octobre 2004

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Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17891 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 avril 2004 par Maître François FELTEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Alix BIJOUX, avocat, les deux inscrits au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né à une date inconnue en M...

Tribunal administratif N° 17891 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 25 octobre 2004

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Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17891 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 avril 2004 par Maître François FELTEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Alix BIJOUX, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né à une date inconnue en Mauritanie, de nationalité mauritanienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 février 2004, lui notifiée en mains propres le 3 mars 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle litigieuse ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Alix BIJOUX, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 17 février 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Monsieur … fut entendu en date des 23 juillet et 13 août 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 26 février 2004, lui notifiée en mains propres le 3 mars 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 17 février 2003.

Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Vous auriez quitté la Mauritanie à bord d’un bateau. Vous ne pouvez pas préciser quand vous seriez parti. Après deux semaines de voyage vous auriez accosté un endroit qui vous serait inconnu. Vous y auriez fait connaissance d’un homme qui vous aurait donné des habits et à manger. Il vous aurait dit de prendre un bus qui vous emmènerait à un endroit où il y aurait beaucoup d’africains. Vous auriez suivi son conseil, mais vous n’auriez pas trouvé d’africains. Vous seriez resté deux jours dans une gare, vous ignorez où, avant de prendre un autre bus puis un train pour le Luxembourg. Plus tard vous dites avoir pris deux trains, dont un clandestinement. Vous seriez arrivé au Luxembourg le 17 février 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez orphelin et qu’après la mort de votre mère en 2002, vous auriez vécu pendant un certain temps chez une amie de votre mère, mais celle-ci n’aurait plus pu vous garder. Un homme blanc serait alors venu vous chercher chez elle pour que vous travailleriez pour lui. Vous précisez vaguement être resté un mois chez cet homme et qu’il vous aurait forcé de travailler. Par après, vous dites avoir quitté la Mauritanie parce que vous n’y auriez plus de famille et que vous n’auriez pas pu y rester étant donné qu’il n’y aurait personne qui aurait pu s’occuper de vous.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état de persécutions.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Et en l’occurrence, il convient de souligner que vous avez délibérément menti quant à votre âge puisque un rapport médical daté du 20 mai 2003 atteste le fait que vous avez subi un examen médical en vue de la détermination d’âge probable auprès de la Clinique Ste Thérèse et il s’est avéré que vous n’êtes pas mineur tel que vous le prétendez pourtant. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il s’ensuit que ce mensonge entache sérieusement la véracité et la crédibilité de vos déclarations.

Force est également de constater que vous n’avez que des faibles connaissances sur la Mauritanie, de sorte que des doutes doivent être émis quant à votre réelle provenance. Même si vous dites ne pas avoir fréquenté l’école, vous devez au moins avoir quelques notions sur votre pays d’origine, ce qui n’est pourtant pas le cas. Ainsi, vous ne connaissez ni les régions de la Mauritanie, ni le jour de l’indépendance. Vous ne savez également pas quand étaient les dernières élections et quand seront les prochaines. Vous n’avez que de faibles notions en français alors que le français est une langue officielle de la Mauritanie. Dans un autre contexte, il est peu probable que vous ne soyez pas en mesure de donner plus de précisions quant au trajet que vous auriez emprunté pour venir au Luxembourg et que vous n’auriez rien payé pour tout ce voyage.

En plus, selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine. Le fait que vous n’auriez plus de famille en Mauritanie et que vous auriez dû travailler pour une personne ne saurait être pris en considération étant donné qu’il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

L’homme blanc pour lequel vous auriez dû travailler ne saurait par ailleurs être considéré comme agent de persécution au sens de la prédite Convention.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 9 avril 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre ladite décision ministérielle de refus.

Le représentant étatique conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours pour cause de tardiveté.

Etant donné qu’il se dégage du libellé de la lettre du 26 février 2004, notifiée en mains propres à Monsieur … le 3 mars 2004, qu’elle a, en application de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administration relevant de l’Etat et des communes, également été adressée au mandataire désigné de l’intéressé, d’une part, le mandataire de l’intéressé ayant déclaré avoir reçu communication de la décision litigieuse en date du 11 mars 2004, d’autre part, il y a lieu de retenir qu’en l’espèce, le délai du recours contentieux n’a commencé à courir qu’en date du 11 mars 2004 pour expirer le 11 avril 2004 et d’en conclure que le recours sous analyse, déposé le 9 avril 2004, n’a pas été introduit tardivement et le moyen d’irrecevabilité afférent laisse d’être fondé.

Un recours au fond étant expressément prévue par l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en réformation introduit dans les formes de la loi est recevable.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, aux motifs que, d’une part, il aurait été faux de retenir qu’il aurait délibérément menti quant à son âge, étant donné qu’il ignorerait sa date de naissance effective et qu’il n’aurait fait que mentionner la date de naissance que sa mère lui avait indiquée et que son âge réel resterait toujours incertain, de sorte qu’on ne saurait lui faire de reproche dans ce contexte et, d’autre part, que sa situation aurait été intolérable dans son pays d’origine, étant donné qu’il aurait légitimement craint « d’avoir à subir des violences par la soumission à un statut servile », l’existence de l’esclavage en Mauritanie étant reconnue - et déplorée – par la communauté internationale et par de nombreuses organisations internationales.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en faisant abstraction des déclarations relatives à son âge, le demandeur n’a pas fait état d’un état de persécutions ou d’une crainte correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève. Le tribunal ne saurait suivre l’argumentation nouvelle développée dans le cadre du recours contentieux relativement à l’état d’esclavage auquel le demandeur aurait été réduit dans son pays d’origine, pays qu’il aurait quitté afin de s’affranchir, étant donné que pareille crainte ne se dégage nullement des comptes rendus d’audition de l’intéressé. En effet, s’il est certes vrai que Monsieur … a déclaré avoir dû travailler pendant un mois pour « un homme blanc », il n’en reste pas moins qu’il n’a, à aucun moment de ses auditions, assimilé cet état des choses à un état d’esclavage, étant relevé qu’il n’a pas fait état d’un quelconque problème d’avoir pu quitter cette personne après un mois et il appert au contraire des comptes rendus d’audition de l’intéressé, que les raisons réelles de son départ sont d’ordre familial et économique, personne n’ayant pu le prendre en charge. Ainsi, en réponse à la question quant au moment où il a pris la décision de quitter son pays, il a répondu « After my mother died, the friend of my mother toke me. It was not possible to take care about me so I had to find my own way » et sur question additionnelle de l’agent du ministère de la Justice, qui lui a demandé « Are these the reasans why you left your country ? », il a répondu « That’s why I left, I don’t have any family » et ensuite « It’s not possible for me to stay in my country. Nobody can take care about me, so how can I stay there ? ».

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 25 octobre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17891
Date de la décision : 25/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-25;17891 ?

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