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25/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17822

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2004, 17822


Tribunal administratif Numéro 17822 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2004 Audience publique du 25 octobre 2004 Recours formé par les époux …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17822 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2004 par Maître Pascale HANSEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Donetsk (Ukraine), et de son épou

se, Madame … …, née le … à Oust Manenogorsk (Kazakhstan), tous les deux déclarant être de national...

Tribunal administratif Numéro 17822 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2004 Audience publique du 25 octobre 2004 Recours formé par les époux …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17822 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2004 par Maître Pascale HANSEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Donetsk (Ukraine), et de son épouse, Madame … …, née le … à Oust Manenogorsk (Kazakhstan), tous les deux déclarant être de nationalité russe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 29 décembre 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale HANSEN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 9 août 2002, Monsieur … et son épouse, Madame … … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 27 septembre 2002, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié. Madame … fit encore l’objet d’une audition complémentaire le 21 novembre 2003.

Par décision du 29 décembre 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Berdsk le 4 août 2002 pour aller en train à Moscou. De là, vous seriez partis pour Minsk/Biélorussie. Vous y auriez trouvé un passeur qui vous aurait déposés au Luxembourg en camion. Vous ne pouvez donner aucune indication quant à cette partie du trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 9 août 2002.

Monsieur, vous exposez que vous auriez fait votre service militaire en Crimée et à Moscou de 1977 à 1979.

Vous ne seriez membre d’aucun parti politique.

Vous n’auriez, personnellement aucun problème dans votre pays, mais vous auriez simplement suivi votre épouse.

Vous, Madame, vous dites être d’origine juive.

En 2001, votre employeur aurait appris cela et vous aurait demandé de démissionner, ce que vous n’auriez pas fait. Le 7 avril 2002, vous auriez été agressée devant chez vous par trois individus au crâne rasé. Vous auriez été hospitalisée pendant trois semaines. Vous auriez porté plainte contre vos agresseurs mais l’agent de milice vous aurait fait remarquer que cela ne servait à rien. Pendant votre séjour en clinique, votre patron vous aurait licencié en écrivant, en votre nom, une fausse lettre de démission. Vous auriez ensuite essayé d’informer la presse de vos déboires, mais en vain. Finalement, en juillet 2002, trois hommes auraient mis le feu à la porte de votre domicile.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui vous concerne, Monsieur, je constate d’abord que vous reconnaissez n’avoir aucun problème en Fédération de Russie.

En ce qui vous concerne, Madame, je note que vous dites avoir été baptisée chrétienne. Il vous aurait donc suffi, pour nier ou, au moins pour faire douter de vos origines juives, de présenter votre certificat de baptême. Votre licenciement sur base d’une fausse lettre de démission est, quant à lui, difficilement crédible.

En admettant cependant que l’on puisse croire à votre récit, il convient de relever qu’actuellement, le Parquet de la Fédération de Russie engage systématiquement des poursuites judiciaires quand il y a incitation à la haine interethnique. Les « skinheads » que vous craignez, sans doute membres ou sympathisants du R.N.E., auraient alors été poursuivis.

De plus, Evgeny SATANOVSKY, Président du Congrès Juif a reconnu que l’antisémitisme n’était plus d’actualité en Russie.

J’en déduis que vous éprouvez davantage un sentiment d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution pouvant enter dans le cadre de la Convention de Genève.

De plus, à supposer une persécution établie, il ne résulte pas de votre dossier que vous n’auriez pas pu vous installer ailleurs et qu’une fuite interne était impossible.

Aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention précitée, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 10 février 2004, les époux … firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 29 décembre 2003.

Le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par décision du 8 mars 2004.

Le 2 avril 2004, les époux … ont introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 29 décembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, ils insistent sur des menaces et persécutions physiques émanant d’extrémistes nationalistes et antisémites que Madame … aurait dû subir en raison de la religion juive de son père, ainsi que sur l’impuissance des autorités étatiques de leur assurer une protection adéquate, voire la connivence de certains membres desdites autorités avec les extrémistes.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, force est de constater que s’il est vrai que dans certaines villes en Russie la situation des membres de la communauté juive est parfois difficile en raison de tendances antisémites, indéniables, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité juive serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions. Or, en l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Russie tolèrent voire encouragent des agressions à leur encontre ou qu’elles ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Russie, étant entendu qu’ils n’ont pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, le défaut de protection allégué de la part de la milice dans la ville de Bersk étant insuffisant à cet égard.

Il convient d’ajouter que les demandeurs n’établissent pas non plus qu’ils ne peuvent pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 25 octobre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17822
Date de la décision : 25/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-25;17822 ?

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