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21/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17892

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 octobre 2004, 17892


Tribunal administratif N° 17892 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2004 Audience publique du 21 octobre 2004

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Recours formé par les époux Monsieur … et Madame …, Luxembourg, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17892 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avr

il 2004 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 17892 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2004 Audience publique du 21 octobre 2004

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Recours formé par les époux Monsieur … et Madame …, Luxembourg, contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17892 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2004 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Colombo (Sri Lanka), de nationalité luxembourgeoise, et de son épouse Madame …, née le … à Nanjing/Jiangsu (Chine), de nationalité chinoise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 25 août 2003, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de la mère de Madame …, Madame …, a été refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Barbara NAJDI et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Madame …, née le 16 janvier 1940 à Jiangsu (Chine), de nationalité chinoise et résidant en Chine, déposa en date du 21 juillet 2003 auprès de l’ambassade du Grand-Duché de Luxembourg à Pékin une demande en obtention d’une autorisation de séjour provisoire au titre du regroupement familial, en indiquant comme personne de référence à Luxembourg son beau-fils, Monsieur ….

Faisant suite à cette demande, le ministre de la Justice, par courrier du 25 août 2003, refusa d’octroyer l’autorisation de séjour sollicitée, au motif que Madame .. est « mariée et qu’elle a encore deux enfants dans son pays d’origine qui pourraient la prendre en charge.

Pour le surplus, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, à la possession de moyens personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Comme l’intéressée ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée. » A la suite d’un recours gracieux, adressé par le mandataire des époux …-… au ministre de la Justice en date du 21 novembre 2003, dans lequel la situation familiale des demandeurs fut rappelée, tout en précisant que Madame … devrait s’occuper de la garde des enfants des époux …-… et que ceux-ci prendraient en charge les frais de séjour de Madame …, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale du 25 août 2003 par une décision confirmative du 12 janvier 2004 à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée en date du 13 avril 2004, les époux …-… ont introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 25 août 2003.

En ce qui concerne tout d’abord le recours en réformation, introduit en ordre principal, il échet de constater que le tribunal est incompétent pour en connaître dans la mesure où il n’existe aucune disposition légale prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’autorisation de séjour. Seul un recours en annulation a partant pu être formé.

Le recours subsidiaire en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les époux …-… concluent à l’annulation de la décision ministérielle déférée pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir refusé l’autorisation de séjour, au motif que Madame … ne disposerait pas de moyens personnels suffisants. Dans ce contexte, ils font valoir que la décision ministérielle ne répondrait pas au critère de proportionnalité à appliquer en la matière, consistant à ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public qui sous-tendent la réglementation de l’immigration et celles de la protection de la vie familiale. En effet, ils font valoir que Madame … devrait s’occuper de leurs trois enfants, afin de permettre à sa fille, Madame …, qui s’occuperait actuellement seule du ménage et des enfants, de mieux s’intégrer au Luxembourg en suivant des cours de langue et de trouver un travail. Ils soutiennent qu’ils s’engageraient à prendre en charge l’intégralité des frais de séjour de Madame …, de sorte que le motif tiré du manque de moyens d’existence suffisants ne serait pas donné.

Le délégué du gouvernement rétorque que la décision déférée serait basée sur la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers, 2) le contrôle médical des étrangers, 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, laquelle serait la seule base légale réglementant l’entrée et le séjour des étrangers. Il expose que ladite loi s’appliquerait sans distinction à tout étranger qui désirerait séjourner au Grand-Duché. Il relève que la décision de refus litigieuse serait motivée par le défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef de Madame …. Il précise que des considérations …manitaires ou pratiques telles qu’invoquées par les demandeurs ne seraient pas prises en compte par la prédite loi du 28 mars 1972.

Il convient de prime abord de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). - En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (cf. trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 14, et autres références y citées).

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, II. Autorisation de séjour - Expulsion, n° 134, et autres références y citées).

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ne ressort ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui lui ont été fournis, que Madame … disposait de moyens personnels suffisants au moment où la décision attaquée a été prise. A défaut par les demandeurs d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels suffisants dans le chef de Madame … lui permettant de supporter personnellement les frais de son séjour au Luxembourg, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agit d’un membre de la famille comme en l’occurrence, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels, il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce seul motif.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs et tiré de la violation du droit au regroupement familial.

Dans la mesure où une demande de regroupement familial, comme faisant partie du droit au respect de la vie privée et familiale, se réfère nécessairement à l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la demande des époux …-… est encore à examiner sur cette base légale, même si celle-ci n’a pas été expressément invoquée à l’appui de leur recours contentieux, dans la mesure où elle se trouve néanmoins être implicitement visée dans la requête introductive d’instance, en ce qu’il y est fait référence à la protection de la vie familiale.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.

En ce qui concerne dès lors la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il y a lieu de rappeler qu’en matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays (CEDH, 28 mai 1985, ABDULAZIS, CABALES et BALKANDALI ; CEDH, 19 février 1996, GÜL ; CEDH, 28 novembre 1996, AHMUT). Il se dégage encore de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’analyse qui en a été faite que l’article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faut « des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition » (cf. Bull.dr.h. n° 1998, p.161).

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 CEDH rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué ni a fortiori établi qu’une vie familiale effective ait existé entre les demandeurs et Madame … antérieurement à l’immigration de Madame … au Grand-Duché de Luxembourg.

En effet, il ressort des éléments du dossier tel que soumis initialement au ministre de la Justice et ultérieurement au tribunal administratif qu’au jour de l’introduction de la demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, Monsieur … avait la nationalité luxembourgeoise et son épouse Madame …, qui est de nationalité chinoise, bénéficiait d’une carte d’identité d’étranger. Dans la mesure où Madame … a en l’espèce volontairement rompu les liens directs avec sa mère, Madame …, en s’établissant au Luxembourg il y a au moins huit ans, il ne saurait être retenu que la décision déférée a eu pour effet de rompre cette unité familiale actuellement réclamée et se heurterait ainsi au principe de la protection de l’unité familiale telle que consacrée au niveau de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, il ressort encore des pièces versées que Madame … ne vit pas seule en Chine mais qu’elle est mariée et qu’elle a deux autres enfants majeurs qui résident en Chine.

Etant donné que les demandeurs n’ont pas soumis d’autres éléments de nature à étayer le maintien d’une vie familiale effective avec Madame … après le départ de Madame … de Chine, ils ne peuvent pas se prévaloir de la protection de l’unité familiale.

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sans méconnaître la protection accordée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et partant les demandeurs sont à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 21 octobre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17892
Date de la décision : 21/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-21;17892 ?

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