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18/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18313

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2004, 18313


Tribunal administratif N° 18313 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique du 18 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, son épouse Madame … et leur fils …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18313 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Fédération de Russie), de nation...

Tribunal administratif N° 18313 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique du 18 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, son épouse Madame … et leur fils …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18313 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Fédération de Russie), de nationalité russe, de son épouse, Madame …, née le … (Estonie), de nationalité biélorusse, ainsi que de leur fils, Monsieur …, né le … (Fédération de Russie), de nationalité indéterminée, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mars 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 mai 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 2004.

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Le 6 janvier 2004, Monsieur …, son épouse Madame … et leur fils … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent encore entendus séparément en date des 22, 23, 24 et 28 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Par décision du 23 mars 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 25 mars 2004, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux introduit par le mandataire des consorts …-… par courrier du 26 avril 2004, le ministre de la Justice prit une décision confirmative datée du 24 mai 2004, qui leur fut notifiée par courrier recommandé expédié le même jour.

Les consorts …-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée en date du 28 juin 2004.

L'article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile, 2. d'un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d'asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l'analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les consorts …-… font exposer qu’ils auraient subi des persécutions de « personnes manifestement animées par une haine exacerbée (…) du seul fait de leur appartenance à la communauté juive ». Ils précisent que du fait de cette appartenance, qualifiée de « vecteur déclencheur », ils auraient subi des persécutions à caractère religieux au sens de la Convention de Genève.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

S’il résulte en effet des auditions des consorts …-… que ceux-ci ont subi de nombreuses et itératives persécutions prenant la forme de passages à tabac, de jets de pierre contre leur habitation, de cambriolages, de vols, d’insultes, de menaces et, en ce qui concerne Monsieur …, de violences sexuelles, force est cependant de constater que l’objectif des agresseurs, non directement identifiés, était d’extorquer de l’argent à leurs victimes. Ainsi Monsieur … admet lors de son audition du 24 janvier 2003 que le « but de (ces) agissements était d’assurer que l’on verse de l’argent régulièrement ».

Il résulte encore des auditions que les consorts …-… sont unanimes pour identifier le crime organisé comme se trouvant à l’origine de ces agressions et qu’ils soupçonnent même une famille habitant le même quartier qu’eux, les …, de perpétrer ces agressions, cette famille étant accusée par les demandeurs de faire partie de la pègre.

Le tribunal constate encore que … admet que leur famille n’était pas la seule à se faire racketter, mais qu’il s’agissait d’une pratique répandue, « tout le monde » étant victime de cette pratique, même si en ce qui concerne sa famille, cette pratique serait exacerbée par leur origine ethnique juive. Le tribunal retient cependant à ce sujet que des demandeurs seule Madame… est d’origine juive, de sorte que le prétendu motif « ethnique » des persécutions ne saurait à tout le moins pas valoir pour Monsieur ….

Le tribunal retient encore que les agressions relatées par les demandeurs, et les risques et menaces que ceux-ci en déduisent, relèvent plutôt de la criminalité de droit commun, de sorte qu’il ne s’agit pas de persécutions du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou des opinions politiques de la famille …-….

Par ailleurs les persécutions dont font état les demandeurs, émanant de personnes inconnues relevant du « crime organisé » proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient de surcroît aux demandeurs de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Les demandeurs n’ont cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, leurs affirmations relatives à la corruption générale des autorités, tant policières que politiques et administratives, qui participeraient passivement voire activement à des activités criminelles, restant à l’état de pure allégation.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18313
Date de la décision : 18/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-18;18313 ?

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