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18/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18264

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2004, 18264


Tribunal administratif N° 18264 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2004 Audience publique du 18 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … (Kosovo) contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18264 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-mo...

Tribunal administratif N° 18264 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2004 Audience publique du 18 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … (Kosovo) contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18264 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mars 2004 lui refusant l’entrée et le séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 2004.

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Par décision du 17 mars 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », refusa à Monsieur … l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui intima de quitter le pays dès notification de cette décision, en les termes suivants :

« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu l’avis en date du 22 octobre 2003 de la Commission Consultative en matière de Police des Etrangers et pour les motifs y exposés ;

Attendu que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

Attendu que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l'ordre publics ;

Arrête:

Art. 1er.- L’entrée et le séjour sont refusés au nommé …, né à … , le… , de nationalité serbo-monténégrine, actuellement détenu.

L’intéressé devra quitter le pays dès notification du présent arrêté, et en cas de détention, immédiatement après la mise en liberté.

(…) » Le 21 juin 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 17 mars 2004.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit.

Le recours en annulation est par ailleurs recevable dans la mesure où il a été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que ce serait à tort que le ministre de la Justice ne lui a pas accordé d’autorisation de séjour, et souligne que la décision attaquée serait disproportionnée par rapport au but légitime visé, en ce qu’elle l’empêcherait de maintenir ses relations avec sa fille mineure.

Il estime encore que la décision ministérielle ferait double emploi avec les sanctions pénales par lui subies.

Il estime encore que ce serait à tort que le ministre lui a refusé l’autorisation d’entrée et de séjour en invoquant la réserve d’ordre public.

Enfin, il considère que l’on ne saurait lui reprocher de ne disposer ni de documents de séjour réguliers ni de moyens d’existence personnels, étant donné qu’il aurait été empêché, du fait de son incarcération au centre pénitentiaire de Schrassig, de renouveler sa carte d’étranger expirée et de s’adonner à une activité salariée.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant (trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11231 et 11232 du rôle, confirmé par arrêt du 18 mai 2000, 11707C du rôle, Pas. adm.

2003, v° procédure contentieuse, n° 314, p. 562).

En ce qui concerne le reproche selon lequel l’interdiction de résider au Luxembourg du fait des infractions commises par le demandeur constituerait une double peine eu égard aux condamnations pénales qui lui ont déjà été infligées pour ces mêmes faits, il y a lieu de rappeler que conformément à l’article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

Le principe « non bis in idem » s’applique cependant seulement lorsqu’une personne est poursuivie ou condamnée en raison d’une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par une décision définitive.

En l’espèce, la décision ministérielle attaquée indique, en tant que motivation, non pas les infractions commises par le demandeur qui ont fait l’objet de jugements définitifs, mais, outre la situation irrégulière du demandeur et l’absence dans son chef de moyens d’existence personnels, le fait que le demandeur est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics.

La décision de refus d’entrée et de séjour ne repose dès lors manifestement pas sur les infractions pour lesquelles le demandeur a d’ores et déjà subi des condamnations pénales, de sorte que sa situation ne saurait être assimilée à celle textuellement interdite par l’article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.

Il convient de surcroît de relever que le but assigné à la mesure d’interdiction d’entrer et de séjourner sur le territoire, prévue par l’article 2 alinéa 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, est celui d’écarter du territoire, sinon d’empêcher l’entrée, des personnes susceptibles de troubler la sécurité, la tranquillité et l’ordre publics. La finalité primordiale d’une telle mesure est ainsi celle de protéger pour le futur la sécurité, la tranquillité et l’ordre publics contre des personnes représentant un risque à leur égard et non celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés : les mesures administratives relatives au contentieux de l’expulsion, de la reconduite à la frontière ou du séjour ne constituent dès lors pas une double peine dans la mesure où elles n’ont pas le caractère d’une sanction pénale mais constituent des mesures de police exclusivement destinées à protéger l’ordre et la sécurité publics (I. Huet, « La double peine et la convention européenne des droits de l’homme », in : Les mesures relatives aux étrangers à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2003, p.59).

Une telle mesure ne tombe par conséquent pas dans la notion de matière pénale au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et de son protocole additionnel n° 7, précités. La mesure visée ne tend en effet pas à dissuader la personne visée de récidiver par la menace d’une sanction, mais à protéger la sécurité et l’ordre public à l’intérieur du pays (trib. adm. 18 février 2004, n° 16398 du rôle, www.ja.etat.lu/16938.doc).

L’interdiction formulée à l’article 4 du protocole additionnel n° 7 précité est ainsi sans application, de sorte que ce moyen est à écarter.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourrant être refusées à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Confronté à des décisions relevant ainsi d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, doit se limiter à contrôler si la décision lui déférée n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, sans pouvoir substituer à l’appréciation de l’autorité administrative sa propre appréciation sur base de considérations d’opportunité.

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis que le demandeur ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision critiquée a été prise, l’argument du demandeur, selon lequel il serait légitime de penser « que titulaire d’une carte de séjour, (il) n’aurait aucune difficulté à s’adonner à une activité salariée, comme ce fût le cas à l’époque précédant son incarcération », en ce qu’il ne se réfère qu’à une hypothétique future activité salariale, n’étant pas pertinent.

Le tribunal relève par ailleurs à ce sujet que la commission consultative a souligné dans son avis du 22 octobre 2003 le fait que le demandeur, avant son incarcération, a seulement travaillé de façon irrégulière et qu’il a constamment changé de patron, de sorte que ses affirmations citées ci-avant doivent être considérées avec scepticisme.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée que le ministre a refusé l’entrée et le séjour en se basant sur l’absence de moyens personnels d’existence du demandeur.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, et que, partant, l’examen des autres motifs invoqué à l’appui du refus ministériel, de même que des critiques afférentes, devient superflu, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur tiré en substance de la violation de son droit au regroupement familial, lequel tiendrait la disposition précitée en échec. Dans le cadre de ce moyen, le demandeur soutient en effet que son éloignement du Grand-Duché de Luxembourg impliquerait qu’il serait séparé de sa fille mineure avec qui il entretiendrait des relations « des plus sincères », notamment par le biais de l’exercice de son droit de visite.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non expressément cité par le demandeur, mais applicable en la matière, dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, ledit article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Il se dégage à ce sujet des éléments fournis en cause que Monsieur … est père d’une fille, née le 6 septembre 1993, qui réside au Luxembourg avec sa mère, étant précisé que, suivant jugement de divorce du 13 décembre 2001, c’est la mère qui exerce l’autorité parentale envers l’enfant, mais que le demandeur bénéficie, par jugement du tribunal de la jeunesse du 26 septembre 2003, d’un droit de visite de sa fille par l’entremise du service Treff-Punkt.

Il résulte cependant du prédit jugement de divorce que le demandeur négligeait sa famille et qu’il lui arrivait de s’absenter du domicile familial pendant plusieurs semaines sans en avertir son épouse. Cet état de fait est d’ailleurs confirmé par l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers du 22 octobre 2003 qui constate que « s’il est vrai qu’il a un enfant qui est né en 1993, il apparaît qu’il ne s’en est cependant nullement occupé pendant son mariage ». Il résulte encore du prédit jugement du tribunal de la jeunesse du 26 septembre 2003 que le demandeur n’a demandé à obtenir un droit de visite qu’en mai 2003, soit plus d’un an après avoir divorcé de son épouse, et qu’il n’avait plus vu sa fille depuis le début de son incarcération en mai 2001, ce qui est confirmé par un rapport du comité de guidance du centre pénitentiaire du 9 avril 2003.

Force est encore de constater que le demandeur s’est vu refuser en mai 2003 une mesure de liberté conditionnelle, la déléguée du procureur d’Etat pour la direction générale des établissements pénitentiaires estimant nécessaire d’attendre que la situation administrative du demandeur soit clarifiée. Or ce n’est que concomitamment aux démarches effectuées suite à cette décision par le demandeur en vue d’obtenir une autorisation de séjour qu’il a commencé à manifester de l’intérêt pour sa fille mineure.

Ce n’est par ailleurs qu’à partir du mois d’octobre 2003 que le demandeur aurait renoué contact avec sa fille mineure, aucun élément du dossier n’établissant cependant la réalité de ces visites.

Force est dès lors de constater que ces considérations ne tendent pas utilement à corroborer l’existence d’une vie familiale effective entre les personnes concernées, mais, au contraire, témoignent d’une absence de contact entre le demandeur et sa fille ayant perduré de la naissance de celle-ci jusqu’en octobre 2003, les éventuels quelques contacts que le demandeur aurait eu postérieurement à cette date, outre le fait qu’ils n’apparaissant pas comme sincères, ne suffisant pas à rencontrer l’exigence d’une vie familiale effective.

Face aux éléments ainsi avancés en cause, le tribunal ne saurait suivre l’argumentation du demandeur basée sur l’existence d’une atteinte non justifiée à son droit au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le tribunal est dès lors amené à retenir que le demandeur ne tombe pas sous le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en l’absence de vie familiale effective entre lui-même et sa fille, et que son moyen doit être rejeté pour manquer de fondement.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est légalement fondée et que le demandeur doit être débouté de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18264
Date de la décision : 18/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-18;18264 ?

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