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14/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17972

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 octobre 2004, 17972


Tribunal administratif N° 17972 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2004 Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17972 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2004 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Okrastic (Kosovo / ...

Tribunal administratif N° 17972 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2004 Audience publique du 14 octobre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17972 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2004 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Okrastic (Kosovo / Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 avril 2004, confirmative d’une décision du même ministre du 16 février 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Sonia DIAS, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 15 octobre 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 12 novembre 2003, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 février 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 18 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 13 octobre 2003 pour vous rendre en voiture à Luxembourg où vous seriez arrivé le 15 octobre 2003, date du dépôt de votre demande d’asile. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté.

Vous présentez une carte d’identité yougoslave et indiquez que votre passeport serait resté dans votre pays. Vous êtes resté en défaut de produire un certificat de résidence délivré par la MINUK.

Vous déclarez avoir été pompiste dans une station-service exploitée par un Albanais dans le village de Babimofc/Kosovo. Avant le conflit du Kosovo, cette station-service aurait appartenu à un Serbe. Dès la fin de la guerre, ce dernier serait parti et la station-service appartiendrait depuis à un Albanais pour lequel vous auriez travaillé. Il y aurait eu une querelle au sujet du droit de propriété sur la station-

service. Vous auriez été menacé par téléphone par des personnes inconnues parlant albanais. Au mois d’août 2003, ces personnes auraient posé des mines autour de la station-service, mais la KFOR auraient réussi à les désamorcer. Vous n’auriez pas porté plainte au vu du désintérêt affiché par la MINUK. Depuis la tentative d’explosion de la station-service, vous auriez eu très peur. Même avant cet incident, vous auriez été provoqué à plusieurs reprises par des chauffeurs de camions-citernes en provenance d’Albanie et du Monténégro.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève ceci d’autant plus que vous n’avez rien à voir dans le conflit concernant la propriété de la station-service. Ainsi, ni des personnes inconnues, ni des chauffeurs de camions-

citernes ne sauraient être considérées comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève et leurs menaces ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. A cela s’ajoute que le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les Albanais.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou ailleurs en République de Serbie Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 25 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 5 avril 2004, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2004, un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle confirmative du 5 avril 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielles critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du village d’Okrastic au Kosovo et de confession musulmane et avoir travaillé en tant que pompiste dans une station-service exploitée avant la guerre du Kosovo par un Serbe et depuis la fin de la guerre par un Albanais. En raison d’une querelle au sujet du droit de propriété sur la station-service, le demandeur affirme avoir été menacé par téléphone, de même qu’il aurait été provoqué à plusieurs reprises par des chauffeurs de camions-citernes en provenance d’Albanie et du Monténégro. Pour le surplus, des personnes inconnues auraient posé au courant du mois d’août 2003 des mines autour de la station-service qui auraient été désamorcées par la KFOR. Etant donné qu’il ne se sentirait plus en sécurité et qu’il ne pourrait espérer une protection efficace des autorités locales, surtout au vu de la situation actuelle instable au Kosovo, il se serait résigné à quitter son pays d’origine pour venir se réfugier au Luxembourg.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 12 novembre 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, lors de son audition, le demandeur a essentiellement dit craindre des personnes inconnues suite à une querelle privée qui est sans rapport avec l’un des motifs visés par la Convention de Genève. Pour le surplus, les faits relatés ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de simples particuliers, lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’autre part, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate, étant donné qu’il se dégage des propres déclarations du demandeur, telles que relatées dans le compte-rendu d’audition, que la KFOR a réussi a désamorcer les mines placées autour de la station-service.

Par ailleurs, à supposer réelle la menace pesant sur lui, le demandeur, en tant qu’Albanais du Kosovo, ne soumet aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées), le demandeur, dans ce contexte, ayant simplement affirmé ne pas pouvoir trouver du travail dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 14 octobre 2004, par le premier juge, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schroeder 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17972
Date de la décision : 14/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-14;17972 ?

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