La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17590

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juin 2004, 17590


Tribunal administratif N° 17590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2004 Audience publique du 30 juin 2004 Recours formé par Madame … et consort, et sa fille Mademoiselle … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17590 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Zvorn

ik (Bosnie-Herzégovine), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son fils mineur …,...

Tribunal administratif N° 17590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2004 Audience publique du 30 juin 2004 Recours formé par Madame … et consort, et sa fille Mademoiselle … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17590 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Zvornik (Bosnie-Herzégovine), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son fils mineur …, et de sa fille Mademoiselle … …, née le … à Zvornik, tous de nationalité bosniaque, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 novembre 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 20 janvier 2004 suite à un recours gracieux des demanderesses ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

Le 30 juillet 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son fils mineur … …, et sa fille Mademoiselle … … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, elles furent entendues par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elles furent entendues séparément en date du 5 septembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 novembre 2003, envoyée par lettre recommandée le 3 décembre 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et les rapports d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 5 septembre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Bosnie le 29 juillet 2003 en camionnette pour aller directement au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet, si ce n’est que vous auriez traversé la Slovénie.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 30 juillet 2003.

Madame, vous exposez que vous auriez vécu à Zaseok jusqu’en 1992. En 1994, votre mari aurait été blessé au front et il serait décédé. Vous auriez alors déménagé avec vos enfants à Tuzla. Vous auriez réintégré le village de Zaseok en janvier 2003, car le Fonds du Logement vous aurait expulsé de votre domicile à Tuzla. Vous ignorez pourquoi.

A Zaseok, vous auriez vécu chez votre beau-frère. Vous ajoutez que là, votre voisin était un Serbe et qu’il y aurait toujours des affrontements entre les différentes ethnies au moment des fêtes religieuses. Vous ajoutez que tous les Bosniaques se seraient plaints de l’absence d’une école pour les Bosniaques à Zaseok.

Dans ce village, vous vous seriez aussi trouvée en conflit avec vos beaux-parents qui auraient essayé de s’approprier la pension de votre époux. Vos enfants auraient été insultés par des Serbes et vous ne vous seriez pas sentie en sécurité.

Vous, Mademoiselle, vous confirmez les dires de votre mère. Votre frère et vous-

même n’auriez quitté Tuzla que le 15 juin 2003, à la fin de l’année scolaire.

Vous confirmez aussi les insultes dont vous auriez fait l’objet. Vous dites qu’un certain PERIC aurait tenté de vous agresser. Vous auriez porté plainte sans succès.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentives au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, je constate que vous reconnaissez l’une comme l’autre n’avoir eu aucun problème à Tuzla, hormis de[s] problèmes de logement. Vous vous plaignez du prix excessif des habitations, mais rien ne vous aurait empêchées de rester néanmoins dans cette ville pluriethnique. Quant à vos ennuis à Zaseok, ils relèvent davantage d’un sentiment d’insécurité que d’une véritable crainte de persécution, telle que prévue par la Convention de Genève.

Les personnes qui vous ont menacées ne sauraient être considéré[e]s comme des agents de persécution au sens de la Convention précitée.

La Bosnie-Herzégovine, en effet, est toujours sous le contrôle des forces de stabilisation internationales qui veillent au respect des différentes communautés ethniques. Le Comité des Droits de l’Homme a retenu que la protection des droits humains et des libertés fondamentales est en constante progression.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire des consorts … suivant courrier du 28 décembre 2003 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre de la Justice confirma le 20 janvier 2004 sa décision initiale du 12 novembre 2003 dans son intégralité.

Le 17 février 2004, les consorts … ont introduit un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 novembre 2003 et 20 janvier 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demanderesses font exposer qu’elles seraient originaires de la ville de Zvornik en République Srpska, qu’elles appartiendraient à la minorité des Bosniaques et qu’elles auraient quitté leur pays en raison des persécutions dont elles auraient été victime en raison de leur appartenance ethnique. Elles exposent que l’époux de Madame … aurait été tué durant la guerre en Bosnie et qu’elles se seraient réfugiées ensuite à Tuzla où l’armée bosniaque leur aurait mis provisoirement à disposition un appartement appartenant à un Serbe. Elles précisent que suite aux accords de Dayton, elles auraient été obligées de rentrer à Zvornik, mais que leur tranquillité et sécurité y auraient cependant été compromises par la proximité des Serbes qui les auraient insultées et menacées de viol, qu’elles auraient non seulement à craindre en raison de leur religion musulmane, mais encore en raison de l’engagement militaire du défunt époux de Madame … qui aurait combattu contre les Serbes et serait mort à la guerre. Elles font valoir que les Serbes de Bosnie éprouveraient une haine envers les Bosniaques dont la présence serait difficilement acceptée et qu’il serait inutile de demander la protection de la part des autorités étatiques. Enfin, elles contestent l’existence d’une possibilité d’un retour en République Srpska en se prévalant de rapports d’ONG publiés sur Internet.

En substance, elles reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec leur religion musulmane et de leur appartenance à la minorité bosniaque, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demanderesses, de sorte qu’elles seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demanderesses lors de leurs auditions respectives du 5 septembre 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demanderesses restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques en République Srpska, en l’espèce celle des « Bosniaques », reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demanderesses relativement au fait d’avoir été inquiétées par des membres de la population serbe, et les menaces et insultes proférées à leur encontre voire les maltraitances subies, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demanderesses au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine.

Par ailleurs, il convient de constater que ces actes, même à les supposer établis, ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que les demanderesses n’établissent pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate. - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-

Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-s).

Or, en l’espèce, les demanderesses restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de leur assurer une protection adéquate.

Par ailleurs, force est de constater que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation existant dans la région de Zvornik dans laquelle les demanderesses s’étaient réinstallées, mais qu’elles restent en défaut d’établir qu’elles ne peuvent pas trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre région de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demanderesses n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demanderesses aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 30 juin 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17590
Date de la décision : 30/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-30;17590 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award