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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17878

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17878


Tribunal administratif N° 17878 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17878 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Sierra-Léone), actuellement placé au Centre ...

Tribunal administratif N° 17878 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17878 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Sierra-Léone), actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mars 2004 l’excluant de la procédure d’asile ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juin 2004.

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Le 3 septembre 2002, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 19 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 mars 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de son exclusion de la procédure d’asile par application de l’article 1 F) de la Convention de Genève en retenant que le fait pour Monsieur … d’avoir tué et mutilé plusieurs personnes, sans préjudice quant au nombre exact, serait à qualifier de crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil en ce qu’il a déclaré avoir été contraint par les rebelles d’attaquer des villages, avoir amputé des villageois de leurs membres et éventré une femme enceinte pour répondre à un pari quant au sexe de l’enfant afin de montrer, à travers ces barbaries, à la population de quoi les rebelles du RUF (Révolutionary United Front) étaient capables. Le ministre a relevé en outre que Monsieur … a avoué avoir tué les meurtriers de ses parents.

Par requête déposée en date du 9 avril 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle prévisée du 22 mars 2004.

Etant donné que ni la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ni aucune autre disposition légale ne prévoit expressément la possibilité d’introduire un recours en réformation contre une décision d’exclusion de la procédure d’asile, seul un recours en annulation a pu être introduit devant les juridictions administratives à l’encontre de la décision litigieuse.

Le recours en annulation sous examen ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours le demandeur expose qu’avant sa fuite il aurait mené une vie paisible dans son village avec sa famille jusqu’au 15 juillet 1998 lorsque, âgé alors de 13 ans seulement, les rebelles du groupe « RUF » auraient attaqué ce village, violé et assassiné sa mère qui aurait été enceinte, ainsi qu’amputé et assassiné son père devant ses yeux. Il signale qu’à cette occasion il aurait été enlevé et forcé à intégrer ce groupe de rebelles où il aurait alors trouvé sa place dans un groupe « d’enfants soldats » lesquels, sous la menace omniprésente d’être supprimés en cas de non-respect des ordres, auraient été tenus de commettre les pires atrocités que les chef rebelles leur auraient enjoigné de perpétrer et qui ont été décrits à suffisance à l’occasion de son audition par un agent du ministère de la Justice. Le demandeur insiste sur le fait que pendant tout ce temps il aurait été drogué par les rebelles qui l’auraient obligé à prendre de la cocaïne et à fumer de la poudre de fusil pour le rendre plus agressif. Il insiste par ailleurs sur le fait d’avoir précisé qu’il n’aurait jamais commis ces atrocités s’il n’y avait pas été forcé par une menace directe de mort et s’il n’avait pas été drogué.

Il fait valoir plus particulièrement que la décision litigieuse, par le biais de la mesure de placement prise en son exécution, le priverait injustement et illégalement de sa liberté individuelle, tout comme l’exécution de la décision litigieuse le priverait encore du bénéfice des règles protectrices de la loi sur la procédure d’examen de sa demande d’asile, ainsi que du statut protecteur de la Convention de Genève, d’autant plus qu’il risquerait d’être éloigné à tout moment du territoire luxembourgeois pour être refoulé vers son pays d’origine, où il aurait toutes les raisons de devoir craindre pour son intégrité morale et physique.

Il soutient ensuite que l’article 1 F), sub b) de la Convention de Genève serait uniquement applicable à une personne dont la qualité de réfugié est reconnue et non aux demandeurs d’asile dont la demande d’asile est encore en cours d’examen.

Pour le surplus, il relève que le ministre de la Justice aurait omis de l’informer, respectivement son mandataire, de la décision qu’il comptait prendre, violant de la sorte l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. Finalement il estime que le ministre de la Justice se serait livré à une mauvaise interprétation des faits invoqués à la base de sa demande d’asile, commettant ainsi une violation de la loi, ainsi qu’un excès, voire détournement de ses pouvoirs en vidant ces faits de leur signification et en les sortant volontairement de leur contexte général.

A l’appui de son moyen basé sur l’impossibilité d’une exclusion de la procédure d’asile par application de l’article 1 F) de la Convention de Genève en cours de procédure d’instruction d’une demande d’asile, le demandeur s’empare plus particulièrement des dispositions de l’article 14 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée pour soutenir que seule l’hypothèse d’un retrait du statut de réfugié serait prévue par la loi par application de ladite disposition de droit international. Il en déduit qu’en utilisant une base juridique à l’appui d’une sanction à laquelle elle ne correspond pas, le ministre de la Justice aurait commis un détournement de pouvoir.

Le délégué du Gouvernement soutient que c’est à juste titre que le ministre de la Justice a fait application de l’article 1 F) b) de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur aurait reconnu avoir tué de sang froid, et non plus sous la contrainte, les deux meurtriers de ses parents, agissement qui serait à l’évidence à qualifier de « crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil ». Pour le surplus, le représentant étatique estime que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité ne trouverait pas application en l’espèce, étant donné que la décision incriminée constituerait l’aboutissement de la procédure d’asile déclenchée par le demandeur lui-même et qu’elle n’aurait partant ni révoqué ni modifié d’office pour l’avenir une décision antérieure ayant créé ou reconnu des droits au profit de Monsieur …. Finalement le représentant étatique fait valoir que dans le cadre d’un recours en annulation la mission du juge de la légalité exclurait le contrôle des considérations d’opportunité à la base de l’acte administratif attaqué.

Les questions de procédure étant à analyser avant le fond, il y a lieu d’examiner en premier lieu le moyen du demandeur basé sur une violation alléguée de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979. A cet égard force est de relever que la décision litigieuse est intervenue dans le cadre d’une procédure initiée par le demandeur lui-même, dans la mesure où il a introduit une demande en reconnaissance du statut de réfugié, de sorte qu’elle ne tombe pas sous le champ d’application dudit article 9 (cf. trib. adm. 25 mai 2000, n° 11717 du rôle, confirmé par Cour adm. 9 novembre 2000, n° 12088C du rôle, Pas. adm.

2003, V° Etrangers, n° 103).

Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.

En vertu de l’article 1 F) de la Convention de Genève, « les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (…) b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ; (…) ».

Cette disposition de droit international a pour objet d’écarter du champ d’application de la Convention de Genève les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays dans lequel ils ont introduit une demande en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de ladite convention. Au cas où cette exclusion est décidée par les autorités compétentes, qui doivent à cet effet vérifier si les conditions d’application dudit article 1 F) b) sont remplies dans le cas d’espèce, elle a pour effet de rendre inapplicable la loi précitée du 3 avril 1996 qui constitue une mesure d’application nationale de ladite Convention et se situe ainsi en aval de ce texte de droit international d’essence supérieure à la loi nationale, en ce que cette loi, dans le respect du cadre général posé par la Convention de Genève, détermine la procédure qui est applicable aux personnes qui introduisent au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Cet objectif découle d’ailleurs de l’article 1er de la loi précitée de 1996, qui dispose que « les dispositions de la présente loi s’appliquent exclusivement aux personnes qui sollicitent le statut de réfugié au sens de la [Convention de Genève] ». Partant, une personne qui, en vertu de la Convention de Genève elle-même, n’accède pas au bénéfice des dispositions de celle-ci, ne saurait plus utilement se prévaloir de la loi précitée du 3 avril 1996.

En effet, la procédure d’examen d’une demande d’asile ne constitue pas une fin en soi, mais s’inscrit de manière indissociable dans le cadre général tracé par la Convention de Genève en ce qu’elle en règle le détail d’application. Il s’ensuit que par le fait de remplir, tel que soutenu en l’espèce par le ministre, les conditions d’exclusion prévues par l’article 1 F) de la Convention de Genève, un demandeur d’asile ne saurait plus raisonnablement prétendre à la poursuite de l’examen de sa demande d’asile, puisque, dans l’hypothèse où les conditions d’exclusion sont remplies, ce qui reste à vérifier le cas échéant dans le cadre d’un recours contentieux, la poursuite de cet examen verserait dans l’absurde pour tendre à une finalité qui par définition ne peut plus utilement être atteinte.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le moyen sous examen laisse d’être fondé faute de s’inscrire dans la logique même dudit article 1 F) qui, au-delà de toute considération relative au bien-fondé d’une demande d’asile, énonce les cas de figure d’une exclusion non pas du statut de réfugié au sens strict, mais du champ d’application de la Convention de Genève globalement considéré, avec pour effet de mettre le cas échant un terme à l’instruction d’une demande d’asile lorsqu’il s’avère que les conditions d’application dudit article 1 F) sont remplies.

Il y a partant lieu d’examiner si en l’espèce le ministre de la Justice a valablement pu recourir aux dispositions de l’article 1 F) b) de la Convention de Genève pour exclure Monsieur … de la procédure d’asile. A cet effet, il a dû vérifier si les quatre critères prévus par la disposition en question étaient remplis au moment où il a statué, à savoir, l’existence d’indices suffisants quant à la commission d’un crime grave, la qualification du crime grave comme constituant une infraction de droit commun, à l’exclusion des infractions politiques, la commission de cette infraction en dehors du Luxembourg ainsi que le fait que l’infraction elle-même doit avoir été commise avant l’introduction de sa demande d’asile au Luxembourg.

En l’espèce, seul le premier critère donne lieu à discussion par les parties à l’instance, étant donné qu’il n’est pas contesté que les trois autres critères ci-avant énumérés sont remplis dans le chef du demandeur.

Pour conclure en l’espèce à l’existence de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun en dehors du Grand-Duché de Luxembourg avant de s’y être présenté en vue d’y être admis comme réfugié, le ministre de la Justice, loin de se livrer à un examen abstrait des faits relatés par le demandeur, a considéré ceux-ci dans le contexte global relaté par Monsieur … lors de son audition par un agent du ministère de la Justice dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile. C’est ainsi qu’il est arrivé à la conclusion que la gravité des faits commis n’est pas entièrement susceptible d’être neutralisée par le contexte relaté, alors que le demandeur s’est livré à des actes de barbaries particulièrement choquants, non explicables à suffisance à partir du contexte relaté.

Au vu des déclarations du demandeur, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, est amené à constater que le demandeur reste en défaut d’établir une erreur d’appréciation manifeste, voire une conclusion disproportionnée dans le chef du ministre dans l’appréciation des faits. En effet, ne serait-ce que par rapport au seul fait non contesté en cause que le demandeur a délibérément tué, non pas sous l’ordre d’une quelconque organisation rebelle, mais par pur esprit de vengeance, les deux meurtriers de ses parents, est constitutif d’un crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil justifiant à suffisance l’exclusion de la procédure d’asile, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant le détail et le contexte, certes moins dépourvu d’ambiguïté, des atrocités avouées commises par le demandeur en tant qu’ « enfant soldat ».

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17878
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17878 ?

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