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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17800

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17800


Tribunal administratif N° 17800 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17800 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2004 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assisté de Maître Georges WEILAND, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â€

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Tribunal administratif N° 17800 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17800 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2004 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assisté de Maître Georges WEILAND, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) et de son fils …, né le … , tous les trois de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mars 2004, confirmant sur recours gracieux une décision initiale du même ministre du 21 janvier 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sonia DIAS VIDEIRA, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juin 2004.

Le 24 novembre 2003, les époux … et …, ainsi que leur fils … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 7 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 janvier 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 26 janvier 2004, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été refusée au motif que les agressions par eux alléguées de la part d’Albanais remontant à l’année 1999 et avant ne sauraient être invoquées pour fonder une demande d’asile, étant donné qu’elles ne seraient pas d’une gravitée suffisante, trop éloignées dans le temps et traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Le ministre a relevé en outre que compte tenu de la situation actuelle au Kosovo une persécution systématique des minorités ethniques et plus particulièrement des Goranais serait à exclure, de même qu’il ne ressortirait pas de leur dossier qu’il leur aurait été impossible de s’installer au Monténégro ou en Serbie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Le recours gracieux introduit par les demandeurs par courrier de leur mandataire datant du 10 février 2004 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 21 janvier 2004 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 mars 2004, les consorts … ont fait introduire, par requête déposée en date du 24 mars 2004, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 8 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours principal en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs se réfèrent essentiellement à la situation actuelle au Kosovo pour soutenir que les événements de mars 2004 auraient suffi pour remettre en question la politique des quinze dernières années. Ils estiment qu’au vu de l’instabilité actuelle prévalant dans leur région d’origine, ils ne pourraient se sentir en sécurité ou espérer une protection efficace de la part des autorités locales et qu’ils pourraient devenir à tout moment la cible d’un crime interethnique. Ils rappellent à cet égard que par le passé Monsieur … et son fils se seraient faits menacer et agresser physiquement par des Albanais qui les auraient forcés à quitter leur commerce et leur domicile et ils font valoir qu’il n’appartiendrait pas au ministre de les refouler ou de les renvoyer de force vers des territoires où leur vie serait à l’heure actuelle menacée.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation générale régnant au Kosovo, région dont les demandeurs sont originaires, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demandeurs relativement au fait d’avoir été inquiétés, dans le passé, par des membres de la population albanaise du Kosovo, et les menaces proférées à leur encontre, voire les maltraitances subies, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes se situent dans un contexte qui entretemps a considérablement évolué. Il s’y ajoute que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient en tant que tels être considérés comme émanant d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités actuellement chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne seraient pas capables de leur assurer une protection adéquate.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle il peut encore s’avérer difficile pour un membre de la communauté goranaise du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, les demandeurs ne soumettent toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17800
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17800 ?

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