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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17783

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17783


Tribunal administratif N° 17783 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17783 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2004 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie LACROIX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â

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Tribunal administratif N° 17783 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17783 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2004 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie LACROIX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le… , ainsi que de leur enfant …, né … , tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-

… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003, notifiée en date du 7 janvier 2004 et confirmée sur recours gracieux par une décision du même ministre du 4 mars 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée ;

Vu le courrier de Maître Stéphanie LACROIX déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2004 portant information au tribunal de ce que les époux …-… ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2004 par Maître Patrick WEINACHT pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie LACROIX et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juin 2004.

En dates respectivement des 17 avril et 11 août 2003, les époux … et …, accompagnés de leur fils …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent chacun entendus à la date respective de son arrivée au pays par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 2 mai 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié. Une audition tendant aux mêmes fins eut lieu dans le chef de Madame … le 24 septembre suivant.

Par décision du 14 novembre 2003, notifiée en date du 7 janvier 2004, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été refusée au motif que leurs dires traduiraient davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que les problèmes par eux rencontrés avec un groupe d’Albanais, non autrement précisé, seraient insuffisants pour fonder une telle crainte caractérisée de persécution. Le ministre a relevé à cet égard qu’il serait peu probable que ces Albanais les auraient suivi jusqu’au Monténégro, ceci d’autant plus qu’ils n’auraient été que simples membres du parti SDA et qu’il n’auraient donc pas été dans une situation particulièrement exposée. Le ministre a signalé en outre que la situation des Bochniaques au Kosovo aurait évolué dans un sens favorable, de sorte qu’une discrimination à leur égard ne saurait plus être retenue de manière générale pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. Il a constaté enfin qu’il ne résulterait pas du dossier qu’il aurait été impossible aux consorts …-… de s’installer dans une autre ville de Serbie-Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne, ceci d’autant plus qu’il auraient vécu sans problèmes à Rozaje pendant les derniers mois avant leur départ.

Le recours gracieux que les consorts …-… ont fait introduire à l’encontre de la décision ministérielle prévisée par courrier de leur mandataire datant du 30 janvier 2004 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datée du 4 mars 2004, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 14 novembre 2003 par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient d’origine monténégrine, de confession musulmane et qu’ils auraient vécu dans un village à population albanaise dominante. Ils exposent plus particulièrement que leur fuite aurait été justifiée par le fait que Monsieur … aurait éprouvé des craintes pour sa vie et ils reprochent au ministre de ne pas avoir apprécié à ses justes proportions leur situation individuelle. Ils relèvent à cet égard que la réalité sur le terrain au Kosovo serait loin d’être stable et que les force de la KFOR, ainsi que les policiers de la MINUK se montreraient impuissants face au regain de violence marquant à l’heure actuelle leur pays d’origine. Quant à leur situation personnelle, ils font état du fait que Monsieur …, ne parlant pas l’albanais et étant membre du parti politique SDA, serait devenu, ensemble avec sa famille, une cible pour les sympathisants de la cause pro-albanaise, de manière à avoir fait l’objet, à plusieurs reprises, de passages à tabac par des Albanais sans autre motif que son appartenance ethnique et politique. Sous la contrainte de menaces de mort, la famille … se serait alors décidée de partir, ceci d’autant plus que les plaintes qu’ils auraient portées à plusieurs reprises auprès des autorités policières de leur pays n’auraient jamais été prises en compte, de sorte qu’ils n’auraient pas pu compter efficacement sur la protection des autorités en place lesquelles seraient albanaises. Ils estiment ainsi se trouver dans l’impossibilité de retourner chez eux en précisant que leur région d’origine constituerait une enclave albanaise.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours. Il se réfère plus particulièrement à un rapport de l’UNHCR de janvier 2003 pour relever que pour les Bosniaques de la région de Pec, donc Vitomirica inclus, il n’y aurait pas lieu à inquiétude quant à leur sécurité physique et qu’ils jouiraient de la libre circulation, de même que selon les dires de certains leaders, l’usage de la langue bosniaque serait considérée comme normale et que cette langue serait utilisée dans certaines écoles primaires et secondaires, de sorte que les relations interethniques pourraient y être considérées comme étant stables.

Les demandeurs font répliquer que de nombreux articles de la presse internationale décriraient une autre réalité sur le terrain que celle alléguée par le délégué du Gouvernement et ils se réfèrent plus particulièrement aux événements récents témoignant du fait que le brasier balkanique s’enflammerait de nouveau et que des troupes d’Albanais parfaitement organisées s’attaqueraient à tous les endroits où les Serbes vivaient encore au Kosovo. Eu égard à cette situation actuelle ainsi qu’au fait que nombreuses organisations en place inviteraient les gouvernements à ne pas procéder à des retours forcés, ils maintiennent partant leurs conclusions tendant à la réformation de la décision litigieuse.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation générale régnant au Kosovo, région dont les demandeurs sont originaires, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demandeurs relativement au fait d’avoir été inquiétés par des membres de la population albanaise du Kosovo, et les menaces proférées à leur encontre voire les maltraitances subies, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient en tant que tels être considérés comme émanant d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de leur assurer une protection adéquate. En effet, les déclarations afférentes des demandeurs sont en partie contradictoires en ce que Monsieur … a déclaré avoir porté plainte auprès de la police albanaise actuelle, tandis que son épouse, interrogée à ce même sujet a déclaré que son mari aurait porté plainte chez l’UNMIK, sans pour autant apporter tous les deux plus de précisions quant à l’inaction alléguée de ces autorités. Au vu de ces contradictions et du caractère essentiellement vague des affirmations des demandeurs, non autrement précisées en cours d’instance, le tribunal ne saurait utilement conclure à l’existence d’un défaut caractérisé de protection accordée par les autorités en place aux demandeurs.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle la situation au Kosovo peut, par endroits, se présenter de manière tendue pour des membres de la communauté bochniaque, de manière à rendre difficile certaines initiatives de réinstallation au vu du risque subsistant de l’émergence de nouveaux conflits ethniques, c’est encore à juste titre que le ministre a relevé que les demandeurs ne soumettent en l’espèce pas d’éléments suffisants permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les craintes de persécutions invoquées par les demandeurs ne s’inscrivent pas en tant que telles dans le cadre précis de la Convention de Genève pour avoir trait essentiellement à la situation générale dans leur pays d’origine, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17783
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17783 ?

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