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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17754

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17754


Tribunal administratif N° 17754 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17754 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2004 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons

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Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, ...

Tribunal administratif N° 17754 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17754 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2004 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Kosovo / Etat de Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 25 février 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décisions critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sandra FADI, en remplacement de Maître Michel KARP en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 juin 2004.

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Le 24 novembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu le 12 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 25 février 2004, expédiée par courrier recommandé le 2 mars 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Le 17 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation et subsidiairement en réformation contre la décision ministérielle précitée.

Il fait exposer que la situation générale à Mitrovica et au Kosovo ne serait pas encore stabilisée, mais qu’elle serait toujours dangereuse pour les Albanais, les Serbes ayant chassé tous les Albanais du quartier de Mitrovica où le demandeur habitait avant son départ.

Il fait encore plaider qu’il n’aurait ni travail ni logement, et souligne le fait que ses moyens d’existence seraient pratiquement nuls.

Le délégué du Gouvernement conclut dans son mémoire en réponse à l’irrecevabilité du recours principal en annulation au motif que seul un recours au fond serait prévu par la loi en la matière.

Quant au fond, il estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il y a de prime abord lieu de relever que le Gouvernement n’était pas représenté à l’audience du 21 juin 2004.

Cependant, la procédure devant les juridictions administratives étant entièrement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur ou le représentant de la partie défenderesse n’est ni présent ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Du moment que la requête introductive d’instance a été déposée et que la partie défenderesse a déposé un mémoire en réponse, le jugement est rendu contradictoirement entre parties (voir trib. adm. 19 février 1997, n° 9622, Pas. adm. 2003, v° procédure contentieuse, n° 342, p.567).

Quant la question de la recevabilité, encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Il s’ensuit que le recours en annulation, formulé à titre principal, est irrecevable.

Le recours en réformation, formulé à titre subsidiaire, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi,.

Quant au fond, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

Or il résulte des déclarations du demandeur telles que relatées dans le rapport d’audition du 12 janvier 2004 que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, s’il fait état de manière générale et vague de provocations, que lui-même qualifie de « petites » et d’insultes émanant de Serbes, il ne relate comme incident concret qu’une seule rixe avec des Serbes en 2002, soit un an avant sa fuite.

Il s’avère dès lors à l’examen des déclarations faites par le demandeur que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée par un sentiment général d’insécurité, mais non par des actes de persécutions concrets laissant supposer un danger sérieux pour sa personne.

Force est encore de constater que les persécutions dont fait état le demandeur, émanant de certains éléments de la population serbe, et plus particulièrement des hommes du voisinage, proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient de surcroît au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait dès lors être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Le demandeur n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Au contraire, il fait état, à l’occasion de la bagarre avec des Serbes en 2002, de l’intervention assez brutale des forces de la KFOR.

Il résulte encore des déclarations du demandeur que les persécutions émanant des Serbes se limitaient au territoire situé au Nord de la ville de Mitrovica, à savoir la partie du Kosovo contrôlée par les Serbes. A ce sujet, le demandeur reste en défaut d’établir des raisons valables pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du pays, non contrôlée par les Serbes, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, les seules explications avancées étant d’ordre matériel : « Oui, on peut aller quelque part ailleurs, mais il n’y a personne qui veut vous garder plus qu’une semaine. Si j’étais seul j’aurais peut-être pu me débrouiller, mais avec la famille c’est difficile ».

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation formulé à titre principal irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Thomé 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17754
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17754 ?

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