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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17708

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17708


Tribunal administratif N° 17708 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17708 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2004 par Maître Katia AÏDARA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour

g, au nom de Monsieur …, né le … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, et de son épouse, Mad...

Tribunal administratif N° 17708 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mars 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17708 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2004 par Maître Katia AÏDARA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, et de son épouse, Madame …, née le… , demeurant actuellement ensemble à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 6 février 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le courrier de l’Ordre des avocats à Luxembourg déposé par Maître Katia AÏDARA au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2004 portant information de ce que les époux … -… ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 9 juin 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 21 juin 2004.

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Le 21 février 2002, Monsieur … et Madame … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent encore entendus séparément en date des 12 avril, 15 mai, 4 juin et 21 juin 2002, ainsi que le 4 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Par décision du 15 décembre 2003, notifiée par lettre recommandée expédiée le 18 décembre 2003, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux introduit par le mandataire des époux … -… par courrier du 13 janvier 2004, le ministre de la Justice prit une décision confirmative datée du 6 février 2004, qui leur fut notifiée par courrier recommandé expédié le 9 février 2004.

Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée en date du 9 mars 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il y a de prime abord lieu de relever qu’aucune des parties n’était représentée à l’audience du 21 juin 2004.

Cependant, la procédure devant les juridictions administratives étant entièrement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur ou le représentant de la partie défenderesse, ou comme en l’espèce les représentants des deux parties, ne sont ni présents ni représentés à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Du moment que la requête introductive d’instance a été déposée et que la partie défenderesse a déposé un mémoire en réponse, le jugement est rendu contradictoirement entre parties (voir trib. adm. 19 février 1997, n° 9622, Pas. adm. 2003, V° procédure contentieuse, n° 342, p.567).

Quant au fond, Monsieur … fait exposer qu’il aurait subi des persécutions de la part des autorités ukrainiennes du fait de ses sympathies pour le parti politique UNA / UNSO et des activités politiques qu’il aurait menées pour le compte de ce parti.

Il explique ainsi qu’ayant participé à une manifestation contre le Président, il aurait été arrêté par la milice et détenu pendant deux jours pendant lesquels il aurait été battu par la milice.

Ayant par la suite participé à une seconde manifestation, il aurait subi des pressions de la part de groupes mafieux, tandis que son épouse aurait été menacée de viols.

Il expose encore que la milice aurait tenté de lui nuire en plaçant intentionnellement des tracts anti-gouvernementaux dans sa voiture.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, notamment en prenant prétexte des quelques oublis et omissions de la demanderesse à l’occasion de ses auditions, oublis et omissions s’expliquant en fait en raison de la situation de stress extrême dans laquelle elle vivrait.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Il relève en particulier que le militantisme de Monsieur … au sein d’un parti nationaliste d’extrême droite justifierait le fait qu’il fasse l’objet d’une certaine surveillance de la part de la milice, surveillance qui ne saurait être considérée comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Les demandeurs contestent la qualification de parti d’extrême droite retenue tant par le ministre que par le délégué du Gouvernement, et reprochent à cette argumentation d’être « fallacieuse et fantaisiste ».

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit partant procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40, p.185, et les autres références y citées).

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

S’il résulte en effet des auditions de Monsieur … que celui-ci a été arrêté une première fois le 10 mars 2001, suite à un meeting organisé par le parti UNA / UNSO, et une seconde fois le 9 mai 2001, toujours à l’occasion d’un meeting organisé par le parti UNA / UNSO, et qu’il a été à chaque fois retenu par la milice à des fins d’interrogatoire, force est cependant de constater qu’il ressort de la documentation versée en cause par le délégué du Gouvernement que le parti politique UNA (« Union nationaliste ukrainienne ») et son bras armé, le mouvement paramilitaire (« Forces d’autodéfense du peuple ukrainien ») sont des mouvements ultra-

nationalistes, qui ne cachent pas leur attirance pour la symbolique nazie et qui s’affirment comme étant au-dessus des lois.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation développée par le mandataire des demandeurs, qui tente, en reprenant sans discernement les explications figurant sur le propre site internet du parti politique UNA / UNSO, d’expliquer le symbole adopté par ce mouvement (une croix noir sur un fond rouge) par des références à l’art populaire ukrainien et à la tradition ukrainienne.

A ce sujet, le fait d’être arrêté par la milice en qualité de sympathisant de ce mouvement à la suite d’une manifestation marquée par des débordements, et ce en compagnie de militants vêtis de treillis militaires, et ensuite à l’occasion d’une manifestation non autorisée, ne saurait être considéré comme constitutif de persécutions au sens de la Convention de Genève, alors qu’il est normal que les autorités exercent une surveillance étroite sur les membres et sympathisants d’un mouvement prônant une idéologie fascisante.

Le demandeur fait encore état de violences policières à son encontre à l’occasion de ses deux détentions, et expose que des miliciens lui auraient brisé le nez à l’occasion de sa première arrestation, et deux doigts lors de sa seconde détention. Le tribunal est cependant amené à constater que son épouse, Madame …, ne mentionne aucune de ces blessures. Or, de tels faits, à les supposer réels, n’auraient pas manqué de marquer l’épouse du demandeur, de sorte qu’elle en aurait fait état à l’occasion de son audition. Bien au contraire, elle reste extrêmement évasive quant aux persécutions subies par son mari, et pressée de préciser ces persécutions, répond que « je préfère que vous me posiez des questions, parce que je connais très peu de choses. Nous habitions seuls et la plupart de mon temps était consacré au bébé ».

Le demandeur prétend encore avoir été piégé par la milice, qui aurait placé à dessein des tracts anti-gouvernementaux dans sa voiture, et soutient avoir fait l’objet de menaces orales de la part de groupes de bandit, « étroitement liés aux organes du maintien de l’ordre ».

En l’absence de tout indice permettant d’accorder une quelconque crédibilité à ces accusations portées à l’encontre des organes gouvernementaux, le tribunal retient que le demandeur n’a pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Quant à Madame …, celle-ci expose avoir fait l’objet de menaces de la part de gens faisant partie de structures mafieuses, qui l’auraient menacée d’enlever leur enfant et auraient tenté de la violer.

Elle soutient à ce sujet avoir été abordé le soir par un homme qui lui aurait tenu des propos obscènes, et qui, peu de temps après, aurait tenté de l’enlever.

Elle relate encore avoir fait l’objet de persécutions émanant de médecins, qui, afin de les harceler, auraient diagnostiqué des « maladies farfelues » dans le chef de leur enfant, et qui auraient refusé de le vacciner.

Cependant, même à supposer que la demanderesse et son fils aient effectivement fait l’objet des persécutions relatées, il n’est aucunement établi que de tels actes perpétrés par des personnes non identifiées, qualifiées de « structures mafieuses », ou par des médecins le seraient du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques et émaneraient des autorités du pays, ou seraient encouragés ou seulement tolérés par les autorités.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs de ce qu’ils ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Thomé 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17708
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17708 ?

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