La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17663

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17663


Tribunal administratif N° 17663 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17663 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 2004 par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur …, sans état, né le … (Sénégal), de nationalité sénégalaise, demeurant actuellem...

Tribunal administratif N° 17663 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17663 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 2004 par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, sans état, né le … (Sénégal), de nationalité sénégalaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er décembre 2003, expédiée par courrier recommandé le 5 décembre 2004, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 janvier 2004, expédiée le 22 janvier 2004, suite à un recours gracieux du 8 janvier 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Figen GÖKCE, en remplacement de Maître Claude WASSENICH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juin 2004.

________________________________________________________________________

Le 13 mars 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Monsieur … fut entendu en date des 5 et 26 mai 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 1er décembre 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 5 décembre 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’elle peut être considérée comme manifestement infondée et, a fortiori, également comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 8 janvier 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 20 janvier 2004, expédiée par courrier recommandé le 22 janvier 2004.

Le 25 février 2004, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre les décisions ministérielles de refus prévisées.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il aurait dû fuir le Sénégal, étant donné qu’il craignait que les rebelles, qui auraient assassiné son père et tenté de le contraindre à se battre à leurs côtés, ne le retrouvent et ne le tuent. Il décrit par ailleurs, d’une manière générale, la situation difficile du Sénégal, qui ferait face à des rebellions séparatrices.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement soulève de prime abord l’irrecevabilité du recours en annulation, au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Quant au fond, il expose que le demandeur n’aurait fait état d’aucune crainte raisonnable de persécution correspondant à l’un des motifs de fond prévus par la Convention de Genève, de sorte que sa demande serait manifestement infondée pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève, et, a fortiori, non fondée pour les mêmes motifs.

Plus précisément, il expose encore qu’une crainte de persécutions par un groupe de rebelles ne serait pas admissible au sens de la Convention de Genève, étant donné que des rebelles ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de cette Convention. Il constate par ailleurs que le demandeur n’aurait pas requis la protection des autorités.

Enfin, il reproche au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

En ce qui concerne la recevabilité du recours, force est de constater que la décision initiale du 1er décembre 2003 rejette la demande en obtention du statut de réfugié comme étant non fondée au sens de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire.

Etant donné que l’article 12 de la prédite loi modifiée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décision ministérielles déférées.

S’il est exact que le demandeur a expressément qualifié son recours dans la requête introductive d’instance de recours en annulation et qu’il conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité, et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et des délais dans lesquels le recours doit être introduit (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 1, p.589 et les autres références y citées).

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif vérifie les faits formant la base des décisions administratives qui lui sont soumises et examine si ces faits sont de nature à justifier la décision. Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis.

En l’espèce, le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre des décisions attaquées, vu sous l’angle du recours en annulation, tend à reprocher au ministre une erreur d’appréciation manifeste en ce qu’il aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il ressort en effet des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en date des 5 et 26 mai 2003 qu’il a été victime avec son père d’une attaque par des rebelles qui, après avoir tué son père et après avoir volé les biens et argent qu’ils avaient sur eux, l’auraient entraîné dans la brousse pour le contraindre à se battre à leurs côtés.

Outre le fait que le tribunal est contraint de constater des incohérences dans le récit du demandeur, qui à l’occasion de son audition par la police situe l’attaque des rebelles dans leur village (« Am 3. Februar wurde ich von Rebellen überfallen und unsere Hütte niedergebrannt »), mais dans le cadre de son audition par un agent du ministère prétend avoir été attaqué dans la brousse, alors qu’il se rendait au marché du village voisin avec son père pour y vendre des vêtements, il résulte encore de ses auditions que les persécutions subies du fait des rebelles, quoique constituant des crimes condamnables, ne le visaient pas personnellement du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève, mais résultaient plutôt d’un malheureux hasard qui l’a confronté ainsi que son père à un groupe de rebelles.

Le demandeur a d’ailleurs expliqué lui-même que les attaques des rebelles sont fortuites et relèvent davantage du banditisme, mais ne visent pas spécifiquement une personne ou un groupe de personnes déterminées : « They are like that, they are attacking village and burn fire and kill people. They are always like that ».

Il a relevé en outre ne pas être membre d’un parti politique ni avoir été persécuté personnellement.

Le ministre a légitimement pu, comme l’a relevé à juste titre le délégué du Gouvernement, motiver sa décision par le fait que des persécutions par un groupe de rebelles ne constituent pas des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile, en l’espèce Monsieur …, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Force est par ailleurs de retenir que le demandeur n’a pas démontré que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition de Monsieur … qu’il n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection face aux rebelles.

Il convient de relever en outre que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du Sénégal, d’autant plus que les mouvements de rébellion sont limités à la région de Casamance.

Il ressort des considérations qui précèdent, que l’appréciation du ministre de la Justice dans sa décision de rejet n’encourt pas de reproche devant conduire à l’annulation de cette décision, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a considéré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ; Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17663
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17663 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award