La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17645

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17645


Tribunal administratif N° 17645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004

============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17645 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur …, né le … à Prizren (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrin...

Tribunal administratif N° 17645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004

============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17645 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Prizren (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 31 octobre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 janvier 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 14 août 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 29 octobre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 31 octobre 2003, envoyée par lettre recommandée du 14 novembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 août 2003 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 29 octobre 2003.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 14 août 2003 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 7 août 2003 pour vous rendre en camionnette au Luxembourg, où vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié en date du 14 août 2003. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Selon vos déclarations, vous auriez été séquestré en 1999 par des personnes masquées qui auraient voulu avoir des informations sur des soldats UCK disparus pendant le conflit du Kosovo et ceci parce que vous auriez été le garde du corps du commandant de l’UCK Ekrem Rexha pendant le conflit. Vous ignorez l’identité de ces personnes. On vous aurait frappé et relâché après deux semaines.

En août 2003 des personnes masquées vous auraient attendu près de votre domicile et vous auraient dit de vous arrêter, mais vous auriez pu leur échapper. Vous dites ne pas connaître la raison de ceci, mais vous pensez que ce serait lié aux soldats disparus pendant le conflit du Kosovo. Vous auriez porté plainte auprès de la police et l’affaire serait en instruction.

Vous ajoutez être simple membre adhérant du parti politique LDK. Vous ne faites pas état de persécutions actuelles.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Il y a tout d’abord lieu de relever que les évènements de 1999 ne sauraient être invoqués étant donné qu’il sont trop éloignés dans le temps. En ce qui concerne les faits d’août 2003, il y a lieu de souligner qu’ils ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève et qu’ils ne sauraient suffire pour fonder à eux seuls une demande en obtention du statut de réfugié politique. En effet, des personnes privées ne sauraient être considérées comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que vous n’êtes pas en mesure de prouver que les évènements d’août 2003 seraient liés à un quelconque arrière fond politique et ethnique ou liés à votre séquestration de 1999, d’autant plus que vous ne faites pas état de problèmes entre 1999 et août 2003.

De même, la simple appartenance à un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Force est de constater que votre demande se limite à de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève [sic]. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. Vous dites vous même avoir pu profiter d’une protection [r]approchée et qu’une instruction serait actuellement en cours.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 18 décembre 2003, M. … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Suivant décision du 20 janvier 2004, envoyée par lettre recommandée du même jour, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 23 février 2004, M. … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées de refus des 31 octobre 2003 et 20 janvier 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles critiquées et le tribunal est partant compétent pour connaître du recours du demandeur.

Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu le moyen d’irrecevabilité du recours tiré de la tardiveté de son introduction en ce que le recours n’aurait pas été introduit dans le délai d’un mois.

En matière de demandes d’asile considérées comme non fondées aux termes de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996, le délai de recours contentieux est fixé à travers les dispositions de l’article 12 (1) de la même loi à un mois à partir de la notification de la décision.

En l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier administratif à quelle date la décision ministérielle du 20 janvier 2004, prise sur recours gracieux, a été notifiée au demandeur. En effet, il y a lieu de relever que l’apposition de la mention manuscrite « envoyée par « recommandée le 20/01/2004 » sur la lettre portant notification de la décision confirmative est insuffisante pour établir à quelle date ladite décision a été réceptionnée par le demandeur. En l’absence d’une quelconque preuve quant à la date de notification de la décision ministérielle déférée au demandeur, il y a lieu de retenir qu’aucun délai pour agir en justice n’a pu commencer à courir en l’espèce et le moyen d’irrecevabilité pour cause de tardiveté du recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Prizren au Kosovo, qu’il serait de confession musulmane et qu’il aurait quitté son pays d’origine à la suite d’une tentative de séquestration dont il aurait fait l’objet en août 2003. Il fait valoir plus particulièrement qu’en 1999, il aurait été séquestré et torturé par des inconnus qui auraient tenté d’obtenir de lui des renseignements sur des soldats disparus qu’il était supposé détenir en raison de sa fonction de garde du corps du commandant de l’UCK Ekrem REXHA, et qu’en août 2003, il aurait fait l’objet d’une nouvelle tentative de séquestration, mais qu’il y aurait échappé. Il précise que sa plainte auprès de la police n’aurait pas été suivie d’effet, alors que les ravisseurs n’auraient pas été appréhendés et ajoute que les forces de l’ordre ne seraient pas capables d’assurer sa protection contre ce genre d’agressions. Il souligne que ces agressions auraient une connotation politique, car elles seraient en rapport avec son engagement dans l’armée durant le conflit du Kosovo. Il soutient qu’en raison des possibilités de déplacement limitées existant au Kosovo et au Monténégro, il serait difficile de s’installer ailleurs, d’autant plus que ses attaches sociales et matérielles seraient situées dans sa ville d’origine.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 29 octobre 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible. Ainsi, il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que M. … ait effectivement fait l’objet d’une séquestration en 1999 ou d’une tentative de séquestration en août 2003 et que celles-ci soient liées à son activité durant le conflit du Kosovo, de sorte que l’affirmation qu’il serait victime d’une persécution à caractère politique reste à l’état de simple allégation.

Par ailleurs, il convient de constater que ces actes, même à les supposer établis, ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que le demandeur n’établit pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-s).

Pour le surplus, le demandeur ne précise pas, au-delà de son affirmation générale quant à des possibilités limitées de mouvement à l’intérieur du Kosovo et du Monténégro et de la considération que ses attaches sont à Prizren, les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo ou du Monténégro et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 juin 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17645
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17645 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award