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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17630

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17630


Tribunal administratif N° 17630 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17630 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2004 par Maître Marie-Laure VAN KAUVENBERGH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Turquie), de nationalité turque, demeurant

actuellement à L-… , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du mi...

Tribunal administratif N° 17630 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17630 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2004 par Maître Marie-Laure VAN KAUVENBERGH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 novembre 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 janvier 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Karin SPITZ, en remplacement de Maître Marie-Laure VAN KAUVENBERGH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juin 2004.

Monsieur … introduisit en date du 22 juillet 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut entendu le 18 septembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 17 novembre 2003, lui envoyée par courrier recommandé le 3 décembre 2003, de ce que sa demande avait été refusée comme non fondée au motif qu’il n’invoquerait aucune crainte justifiée de persécution en raison de son opinion politique, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social.

Le 17 décembre 2003, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision. Par décision du 20 janvier 2004, envoyée par courrier recommandé le même jour, le ministre de la Justice confirma sa décision du 2 septembre 2003.

Le 20 février 2004, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 17 novembre 2004 et contre celle confirmative du 20 janvier 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est par conséquent irrecevable.

Quant au fond Monsieur … fait valoir qu’il aurait quitté son pays estimant que sa vie y serait sérieusement menacée du seul fait de son orientation sexuelle. Il fait notamment état du fait que son père, au moment de la révélation de son homosexualité, lui aurait tiré deux coups de revolver dans le dos, de sorte qu’il aurait dû s’enfuir à Istanbul. Il expose qu’à Istanbul il aurait encore été victime d’agressions multiples. Il souligne plus particulièrement qu’il aurait été violé à deux reprises par son patron, qu’il aurait été victime d’une attaque au couteau dans la jambe et qu’au moment du dépôt d’une plainte à la police, il se serait fait insulter et frapper à deux reprises. Il ajoute que bien que l’homosexualité ne soit pas illégale en Turquie, la discrimination à l’égard des homosexuels et l’homophobie de la société, des forces de l’ordre et des responsables politiques entraîneraient un climat général de violences parfois extrême, notamment à Istanbul.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il est constant que Monsieur … a vécu pendant 13 ou 14 ans en Allemagne, avant qu’il ne soit retourné en Turquie avec ses parents. Il a fait son service militaire de 1994 à 1996 et a ensuite quitté le domicile familial pour se rendre à Istanbul où il a travaillé pendant 6 ans avant de venir au Luxembourg.

En ce qui concerne les coups de feu tirés sur lui par son père au moment de la révélation de son homosexualité, force est de constater qu’au delà du fait que cet événement date déjà de 1994, les membres de sa propre famille ne sauraient être considérés, en l’absence de circonstances particulières, comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’après cet événement il a réussi, après des difficultés initiales, à s’installer chez son ami et à trouver un travail stable à Istanbul pendant au moins 6 années.

Concernant ensuite la crainte exprimée par le demandeur d’actes de persécution provenant de la société en général en raison de son homosexualité, force est de constater qu’il se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Les événements isolés mis en avant par le demandeur revêtent en l’espèce certes un caractère condamnable, mais ne revêtent pas un caractère de gravité suffisant afin de valoir comme motif de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que le demandeur reste en défaut de prouver que les autorités en place encourageraient, voire toléreraient de tels actes.

Pour le surplus il y a lieu de constater que beaucoup d’homosexuels se voient confrontés à des réactions, telles que relatées par lui lors de son audition, de la part de leurs parents et proche famille ainsi que de manière plus générale au niveau de leur engrenage social, de sorte qu’on ne saurait suivre son raisonnement selon lequel le problème de la reconnaissance de l’homosexualité serait un problème lié à sa situation individuelle spécifique et limité à la Turquie.

Les craintes dont il fait état s’analysent plutôt en un sentiment général d’insécurité et en un problème d’intégration en Turquie après avoir vécu toute son enfance et sa jeune adolescence en Allemagne. En effet le demandeur expose lui-même lors de son audition :

« J’ai toujours eu envie de retourner en Allemagne. Ce pays me manquait. Je ne me suis jamais fait d’amis en Turquie alors que j’étais très bien en Allemagne….Je me suis toujours senti exclu à l’école. Les gens me traitaient autrement. Je n’ai jamais eu ce problème en Allemagne. Je ne me suis jamais intégré en Turquie ».

De tout ce qui précède il résulte que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17630
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17630 ?

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