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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17607

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17607


Tribunal administratif N° 17607du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2004 par Maître Fabienne MONDOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L

-… , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classe...

Tribunal administratif N° 17607du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2004 par Maître Fabienne MONDOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-… , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 19 novembre 2003 lui refusant l’autorisation d’établissement en vue de l’exploitation d’un débit de boissons alcooliques et non alcooliques ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Fabienne MONDOT déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Paul Dieschbourg, en remplacement de Maître Fabienne MONDOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juin 2004.

En date du 2 octobre 2001, Monsieur … sollicita l’autorisation en vue de l’exploitation d’un débit de boissons alcooliques et non alcooliques auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par « le ministre ».

Le 10 novembre 2003, la commission prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après dénommée « la loi d’établissement », émit un avis défavorable par rapport à la demande présentée par Monsieur ….

Par une décision du 19 novembre 2003 le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entretemps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Le résultat m’amène à vous informer que selon l’avis de la commission y prévue vous ne présentez plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de votre implication dans la faillite de la société … SARL, notamment par l’absence d’aveu de la cessation de paiement, le maintien artificiel du crédit en ne payant pas les créanciers publics et l’absence de comptabilité.

Comme je me rallie à la prise de position de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l’état actuel du dossier en me basant sur l’article 2 et 3 de la loi susmentionnée (…) ».

A l’encontre de cette décision de refus, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2004.

L’article 2, alinéa 6 de la loi d’établissement prévoit que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’autorisations d’établissement, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour analyser le recours en réformation introduit en ordre principal. Le recours en annulation, formulé en ordre subsidiaire, est recevable pour avoir été introduit, par ailleurs, suivant les formes et délai de la loi.

Monsieur … fait d’abord valoir que la décision ministérielle litigieuse ne serait pas suffisamment motivée, malgré l’exigence de motivation prévue plus spécialement par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et par l’article 2, alinéa 2 de la loi d’établissement. Il fait valoir qu’il serait actuellement dans l’impossibilité de savoir pour quelle raison sa demande d’autorisation d’établissement lui aurait été refusée dû notamment au fait que le ministre n’aurait indiqué aucun élément précis lui reproché dans le cadre de la faillite … SARL.

En l’espèce, il se dégage de la décision ministérielle du 19 novembre 2003 que le refus d’autorisation est basé sur le défaut d’honorabilité professionnelle en raison de l’implication de Monsieur … dans la faillite de la société … SARL, notamment par l’absence d’aveu de la cessation de paiement, le maintien artificiel du crédit en ne payant pas les créanciers publics et l’absence de comptabilité. En cours de procédure contentieuse les éléments de fait sous-

jacents à la motivation ont en plus été utilement explicités par le délégué du Gouvernement.

Cette motivation est dès lors suffisamment précise tant en droit qu’en fait et répond comme telle aux exigences légales de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et de l’article 2, alinéa 2 de la loi d’établissement, de sorte que le demandeur a été en mesure d’assurer utilement la défense de ses intérêts. Il s’ensuit que le moyen tiré du défaut de motivation suffisante de la décision litigieuse est à rejeter.

Quant au fond, Monsieur … fait valoir que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation manifeste des faits, en retenant un défaut d’honorabilité professionnelle dans son chef à cause de son implication dans la faillite … SARL. Il précise qu’il aurait seulement occupé pendant trois mois le poste de gérant technique de cette société exploitant un café et que le simple fait d’avoir occupé ce poste ne saurait automatiquement motiver une absence d’honorabilité professionnelle dans son chef. Il conteste avoir manqué à ses obligations professionnelles.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que le manque d’honorabilité professionnelle de Monsieur … résulterait à suffisance du dossier administratif versé en cause et notamment de l’avis du Parquet économique et du rapport du curateur.

Les dispositions pertinentes en la matière sont inscrites à l’article 3 de la loi d’établissement, lequel dispose en son alinéa 1er que « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle–ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité… professionnelle ».

Au vœu de l’article 3, alinéa final de la loi d’établissement « l’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ». Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation, sont à prendre en compte par le ministre pour admettre ou récuser l’honorabilité dans le chef du demandeur de l’autorisation.

Si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef du gérant à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, peuvent constituer des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée (cf. trib. adm. 18 décembre 2002, n° 15111du rôle, Pas. adm. 2003, V° Autorisation d’établissement, III. Honorabilité professionnelle, n° 94, p. 77).

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier si les éléments de fait se dégageant du dossier administratif et des pièces versées en cause sont suffisamment concluants pour retenir dans le chef de Monsieur … un défaut d’honorabilité professionnelle à cause de son implication dans la faillite … SARL, étant rappelé que le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas à lui seul le défaut d’honorabilité professionnelle.

En l’espèce, il est établi que la société … SARL a été constituée par acte notarié le 21 octobre 1997. Le capital social était fixé à 500.000 Luf représenté par 500 parts sociales souscrites à parts égales par les époux X. Monsieur Y, serveur, a été nommé gérant technique et Monsieur X gérant administratif. Par une assemblée générale extraordinaire tenue le 16 février 1998, Monsieur Y a été relevé de sa fonction de gérant technique à partir du 31 janvier 1998 et Monsieur … a été nommé gérant technique à partir du 16 février 1998. Monsieur … a conclu à cette même date un contrat de travail avec la société … SARL, son horaire de travail normal étant stipulé de 17 heures à 1 heure du matin. Monsieur … a démissionné de son poste de gérant technique pour des raisons économiques avec effet au 18 mai 1998. La société … SARL a été déclarée en faillite le 4 décembre 1998.

Des faits ainsi établis, il résulte que la société … SARL a seulement fonctionné durant 14 mois, pendant lesquels Monsieur … a seulement travaillé pendant une durée de trois mois pour le compte de celle-ci en tant que gérant technique. Il convient de souligner que le demandeur ne détenait aucune part sociale de la société et se trouvait lié à celle-ci par un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination à l’égard de son employeur. Pendant toute la durée de l’existence de la société Monsieur X, détenant la moitié des parts sociales, était gérant administratif du café, censé s’occuper des relations administratives de la société, notamment avec les fournisseurs et organismes publics, tels que la sécurité sociale et l’administration des Contributions. Ainsi le simple fait d’avoir occupé pendant une durée assez brève de quelques mois la fonction de gérant technique, tel que caractérisé en l’espèce, d’une société déclarée en faillite quelques mois après le départ de la personne intéressée ne suffit pas à dénoter dans le chef de celle-ci un défaut d’honorabilité professionnelle.

Le délégué du Gouvernement soulève encore que le rapport du curateur de la faillite de la société … SARL relèverait des « négligences, manquements et agissements de Monsieur … ». Or, force est au tribunal de constater que la lettre datée du 30 septembre 2003 adressée par le curateur au substitut ne fait pas référence à Monsieur …, ni d’une façon directe, ni d’une façon indirecte. Le rapport du curateur du 10 février 2003 fait notamment état des faits que le début de la gêne financière se situe en janvier 1998, que l’époque de la cessation est fixée en mai 1998 et que le gérant l’a assisté seulement au début dans les opérations de liquidation et que par après il était introuvable. Ledit rapport ne contient aucune information concernant le comportement personnel de Monsieur …. Déduire de ces informations des affirmations telles que Monsieur … aurait été le dirigeant de fait de la société même après sa démission, qu’il aurait fait maintenir le crédit de la société en accumulant les dettes, sans faire tenir de comptabilité et sans faire l’aveu de la cessation de paiement et qu’il aurait agi en tant que personne interposée n’emportent pas la conviction du tribunal, étant donné que ces affirmations restent à l’état de pure allégation pour ne pas être suffisamment établies par les pièces versées au dossier.

En effet c’est à bon droit que le demandeur soulève que le fait d’avoir donné à l’époque des renseignements au curateur concernant la faillite de la société pour le temps où il en avait été nommé gérant ne fait pas de lui un dirigeant de fait au jour de l’ouverture de la faillite 7 mois après sa démission. Même à supposer que Monsieur … ait été au courant de la mauvaise situation financière de la société, il aurait appartenu au gérant administratif de payer les fournisseurs et créanciers publics, d’autant plus que la société était engagée en toutes circonstances par la signature individuelle du gérant administratif pour des opérations ne dépassant pas la somme de 50.000 Luf. Ce n’était que pour des opérations dépassant cette somme que le gérant administratif a dû faire appel à la signature supplémentaire du gérant technique. De même, le fait que le départ de Monsieur … en tant que gérant technique n’a pas été signalé au ministre compétent, même au-delà de la question de savoir sur qui repose l’obligation d’information, étant donné que l’article 4 de la loi d’établissement n’en précise pas l’auteur, ne dénote pas un défaut d’honorabilité professionnelle de Monsieur ….

Au vu de l’ensemble de ces développements et après analyse des pièces versées, le tribunal vient à la conclusion qu’il n’est en l’espèce pas établi à suffisance de droit que Monsieur … a, par des actes personnels portant atteinte à son honorabilité professionnelle, concouru à la faillite de la société … SARL .

A ce titre le seul avis du substitut du 14 octobre 2003, lequel conclut que « Monsieur … a fait preuve de négligence et insouciance » ne saurait dès lors constituer un indice suffisant pour refuser l’autorisation sollicitée au vu des autres pièces soumises au tribunal et au vu des contestations émises et explications fournies par le demandeur.

Il en résulte que le recours en annulation est fondé et que la décision ministérielle litigieuse est à annuler pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour analyser le recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare justifié ;

partant annule la décision déférée et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement ;

met les frais à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17607
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17607 ?

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