La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17576

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17576


Tribunal administratif N° 17576 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17576 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Bosnie- Herzégovine) de nationalité bosniaque, dem

eurant actuellement à L-.., tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Just...

Tribunal administratif N° 17576 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17576 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Bosnie- Herzégovine) de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-.., tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 novembre 2003, notifiée le 18 novembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 12 janvier 2004 suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame et Monsieur les délégués du Gouvernement Claudine KONSBRUCK et Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 24 mai et 14 juin 2004.

Le 22 avril 2003, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut entendue en outre en date du 5 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 novembre 2003, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 14 novembre 2003, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été refusée en relevant d’abord que le fait pour elle d’avoir déclaré être dépourvue de passeport, alors qu’il résulte des renseignements en possession du ministre qu’elle avait déposé une demande de visa à l’ambassade d’Allemagne à Sarajevo le 19 mars 2003 et obtenu un visa valable à partir du 1er avril 2003, jetterait un doute sur la crédibilité de tout son récit.

La décision de refus est motivée ensuite par le constat que les ennuis par elle invoqués ne seraient que la retombée des problèmes de son gendre lequel est pourtant au Luxembourg depuis décembre 1999 déjà, de sorte qu’il serait peu vraisemblable que les ennuis passés de ce dernier aient pu avoir une incidence sur la situation de la demanderesse plus de trois ans après le départ de son gendre.

Concernant ensuite la situation en Bosnie Herzégovine et la crainte de la demanderesse à l’égard du parti nationaliste SDA, le ministre a relevé que la Bosnie Herzégovine est toujours sous le contrôle des forces de stabilisation internationales qui veillent au respect des différentes communautés ethniques et que le comité des droits de l’homme a retenu que la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales serait en constante progression dans ce pays. Le ministre a estimé pour le surplus que des membres du parti SDA ne sauraient pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par courrier de son mandataire datant du 17 décembre 2003, Madame … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 11 novembre 2003 en faisant valoir que la crainte de persécution par elle invoquée serait très actuelle, étant donné que les informations qu’elle avait transmises aux autorités luxembourgeoises à l’appui de la demande d’asile de son gendre concerneraient un certain nombre des autorités se trouvant actuellement au sein du gouvernement de Bosnie-Herzégovine.

Elle reproche en outre au ministre de ne pas avoir analysé sa demande d’asile à la lumière de celle déposée par son beau-fils et sollicite qu’il soit procédé à un complément d’instruction à cet égard afin d’apprécier les éléments par elle soumis dans le contexte des problèmes dont avait fait état son beau-fils lors de son arrivée au Luxembourg.

Par décision du 12 janvier 2004, le ministre de la Justice a confirmé sa décision du 11 novembre 2003 faute d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2004, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles prévisées des 11 novembre 2003 et 12 janvier 2004.

A l’appui de son recours elle fait exposer qu’elle est de nationalité bosniaque et de confession musulmane et qu’elle aurait exercé depuis 1993 la fonction de secrétaire du cabinet du vice-président du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, ainsi que depuis le 23 mars 1995 la fonction de secrétaire technique du président du parlement de la République de Bosnie-Herzégovine. Elle signale que son beau-fils, Monsieur… , s’est vu accorder l’asile politique au Luxembourg du fait que le service secret bosniaque avait décidé de le liquider et elle fait valoir que c’était en raison de sa fonction au sein du parlement bosniaque qu’elle avait reçu au courant de l’année 1999 des informations relatives à la liquidation projetée de son beau-fils. Elle fait valoir que c’est en raison de ce comportement qu’elle aurait fait l’objet en date du 27 février 2003 d’un cambriolage par des professionnels qui seraient probablement venus pour récupérer des documents et au cours duquel son passeport privé lui aurait été volé.

Elle se réfère en outre à un incident ayant eu lieu en date du 25 mars 2003, lorsque dans le parking du parlement il aurait été constaté que les vis de sécurité des roues de son véhicule auraient été défaites, pour soutenir que face à cette situation elle n’aurait eu d’autre choix que de quitter son pays d’origine et de solliciter également la protection des autorités luxembourgeoises. Dans la mesure où son comportement serait susceptible d’être considéré par les responsables du service secret bosniaque comme un acte de trahison compromettant les autorités en place en raison de leurs attitudes pendant la guerre, la demanderesse estime dès lors avoir établi à suffisance une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef empêchant un retour dans son pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours. Il relève plus particulièrement que la simple appartenance à un parti politique ne saurait justifier à elle seule l’octroi du statut de réfugié et que les membres du parti SDA ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, tout en estimant par ailleurs que les craintes invoquées par la demanderesse s’analyseraient en l’expression d’un sentiment d’insécurité général non constitutif en tant que tel d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, il y a lieu de relever liminairement que ni le ministre de la Justice, ni le délégué de Gouvernement en cours d’instance contentieuse n’ont élevé des doutes quant à la crédibilité du volet du récit de la demanderesse relatif à son intervention en rapport avec les problèmes qu’avait à l’époque Monsieur … et qui lui ont valu l’octroi du statut de réfugié, de sorte qu’il n’appartient pas au tribunal, dans le cadre du litige sous examen, de s’étendre autrement à ce sujet, mais qu’il y a lieu d’admettre comme étant établi le fait que c’est grâce à des informations que la demanderesse a pu se procurer et dont elle a notamment fait part au ministre de la Justice dans le cadre de l’instruction de la demande d’asile de son gendre, que celui-ci a pu échapper aux risques de persécution auxquels il était à l’époque exposé dans son pays d’origine.

Le motif de refus retenu par le ministre base notamment sur la constatation que le récit de la demanderesse manquerait de crédibilité en ce sens qu’il serait peu vraisemblable que les ennuis qu’avait eus à l’époque avec son gendre auraient pu avoir une incidence sur la situation de la demanderesse plus de trois ans après le départ de Monsieur… , ainsi que sur le fait que malgré sa déclaration au moment du dépôt de sa demande d’asile d’être dépourvue de passeport, étant donné qu’elle se serait fait voler ledit passeport lors d’un cambriolage dans son appartement en date du 27 février 2003, il s’est avéré qu’elle avait déposé une demande de visa à l’ambassade d’Allemagne à Sarajevo le 19 mars 2003 et obtenu un visa valable à partir du 1er avril 2003.

Afin d’être admis au statut de réfugié, il appartient au demandeur d’asile de présenter, sous peine de ne pas pouvoir se voir accorder le bénéfice du doute, un récit cohérent et crédible. En effet, même si les exigences de la preuve ne doivent pas être interprétées trop strictement en la matière, cette tolérance ne doit cependant pas aller jusqu’à faire admettre comme étant établis des faits présentés de manière incrédible et incohérente par le demandeur.

La demanderesse tente en l’espèce de réfuter l’argumentation du délégué du Gouvernement relative à une incohérence alléguée au niveau de son récit en faisant valoir que le visa émis par l’ambassade d’Allemagne à Sarajevo aurait été apposé dans son passeport diplomatique, tandis que son passeport national, auquel elle se serait référée lors de l’audition, aurait effectivement été volé lors d’un cambriolage de son domicile ayant eu lieu en date du 27 février 2003.

Dans la mesure où ce cambriolage constitue l’un des éléments clés du récit de la demanderesse en ce qu’elle constitue l’indice majeur relevé pour conclure à l’existence d’un risque de persécution dans son chef, le tribunal avait prononcé la rupture du délibéré afin de permettre au délégué du Gouvernement de préciser, par le biais d’une vérification plus en avant auprès de l’ambassade allemande de Sarajevo, la nature exacte du passeport bosniaque référencé sous le numéro 3583371, valable du 10 octobre 2002 au 10 octobre 2007 visé dans le rapport de la police judiciaire du 22 avril 2003, étant entendu que d’après les affirmations de la demanderesse il devrait s’agir d’un passeport diplomatique.

En réponse à cette demande le délégué du Gouvernement transmit au tribunal la demande de visa de Madame … du 19 mars 2003 dont les informations permettent de renseigner que ledit passeport est un « passeport normal », étant donné qu’une croix fut apposée dans la case afférente, tandis que la case alternative, réservée aux autres documents de voyage, fut laissée en blanc.

Afin de clarifier cette ambiguïté au niveau des passeports de la demanderesse, son mandataire soumit au tribunal les déclarations suivantes de Madame … :

« En effet, les documents que je vous ai remis prouvent que je travaillais au Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Je possède également le passeport servant aux déplacements officiels. Ce passeport reste dans les archives et ne peut être utilisé que s’il existe un ordre de voyage pour une visite officielle de la délégation d’un pays à un autre. Dès l’expiration d’un visa, on procède à sa prolongation ce qui permet de partir à l’étranger si besoin se présente. Cette fois-ci, j’avais un visa pour un séjour de 6 mois en Allemagne (ce que j’ai dit le jour de ma première présentation au Ministère de la Justice).

Mon passeport privé, dont je pouvais me servir pour des voyages privés, a été volé le 27/02/2003, le jour où mon appartement a été cambriolé. J’en ai également donné une pièce justificative au Ministère de la Justice, dès mon arrivée au Luxembourg.

Dans le passé, j’ai voyagé à plusieurs reprises en Europe de l’ouest où j’avais quelques fois le visa pour le Luxembourg, mais je n’ai jamais abusé de ces visites et je retournais à chaque fois à Sarajevo.

Mes documents prouvent que la dernière sortie du pays a été organisée dans le cadre d’un voyage officiel ».

Au vu des pièces fournies au dossier et des renseignements en cause, il s’avère impossible de déterminer avec toute la certitude requise la nature exacte du passeport utilisé dans le cadre de l’émission du visa épinglé par le délégué du Gouvernement. En effet, la seule mention qu’il s’agissait d’un « passeport normal » n’est pas suffisamment explicite pour écarter tout doute quant à la nature éventuellement diplomatique du passeport concerné. Or, vu l’impossibilité de fournir d’autres précisions à ce sujet signalée à l’audience par le délégué du Gouvernement, et, d’un autre côté, la cohérence constatée au niveau des déclarations de la demanderesse qui dès sa première audition a fait état de l’existence d’un « passeport parlementaire » détenu au parlement, le tribunal, au bénéfice du doute, constate que l’incohérence retenue à ce sujet par le ministre pour établir l’incrédibilité du récit de la demanderesse laisse d’être établie à suffisance.

Quant au caractère invraisemblable du récit de la demanderesse basé sur la considération que les problèmes rencontrés par son gendre remontent à plus de trois ans avant la fuite de la demanderesse elle-même, force est encore de constater qu’à défaut de contestations de l’Etat relativement à l’affirmation de la demanderesse que parmi les personnes visées par les informations par elle dispensées à l’époque figurent un certain nombre des autorités se trouvant actuellement au sein du Gouvernement de Bosnie-

Herzégovine et qui de ce fait risqueraient de se trouver hautement compromises par les retombées éventuelles de son action, le tribunal ne saurait partager l’analyse du ministre ayant consisté à mettre en doute la crédibilité de ce volet du récit de la demanderesse par le seul effet du temps qui s’est écoulé entre l’action de la demanderesse et les problèmes par elle allégués.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments de motivation fournis en cause de nature à ébranler la cohérence et la crédibilité du récit de la demanderesse en tant que suite d’événements préalablement admis par le ministre comme rentrant dans les prévisions de la Convention de Genève, la décision déférée encourt la réformation par l’octroi du statut de réfugié à Madame ….

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant par réformation accorde le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève à Madame … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 7


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17576
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17576 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award