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28/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17575

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2004, 17575


Numéro 17575 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17575 du rôle, déposée le 13 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Pec (Kosovo, Etat de Serbie-Mo...

Numéro 17575 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2004 Audience publique du 28 juin 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17575 du rôle, déposée le 13 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Pec (Kosovo, Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 janvier 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 mai 2004.

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Le 30 décembre 2002, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut entendue en date du 19 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 14 novembre 2003, notifiée par courrier recommandé du 20 novembre suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Pec le 25 décembre 2002 pour aller d’abord à Berane. Ensuite, vous auriez pris un bus pour Bruxelles et finalement une voiture jusqu’à Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 30 décembre 2002.

Vous exposez que votre mari aurait disparu le 9 mars 1999 sur le chemin du travail.

Vous auriez porté plainte à l’UNMIK.

Vous auriez vécu de l’aide sociale de l’UNMIK pendant cinq ou six mois, mais cette assistance se serait arrêtée vers la mi-2001. Vous auriez alors vécu de l’aide de membres de votre famille qui vivaient à l’étranger.

L’un de vos fils aurait fait l’objet d’une tentative d’enlèvement il y a deux ans.

Plusieurs Bochniaques auraient été racketés, et leurs cultures auraient été détruites. Vous-

même auriez vu votre récolte de foin volée sous vos yeux.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Vos dires doivent s’analyser en un sentiment d’insécurité plutôt qu’en une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, le racket et les actes de vandalisme, certes condamnables, constituent des infractions de droit commun. Leurs auteurs ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation au Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques. De même, il est admis que les violences ont diminué au Kosovo et que les forces de l’ONU sont tout à fait capables de fournir une protection aux personnes appartenant à une minorité. Concernant la situation plus précise des Bochniaques, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit à la participation et à la représentation politique, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, les Bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Enfin, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous était impossible de vous installer dans une autre ville de Serbie-Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 15 décembre 2003 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 12 janvier 2004, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 14 novembre 2003 et confirmative du 12 janvier 2004 par requête déposée le 13 février 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse, appartenant à la minorité bochniaque du Kosovo, reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée de sa situation personnelle et de ne pas avoir tiré les conclusions qui se seraient imposées au regard des persécutions dont elle aurait été victime. Elle expose que son époux aurait été vraisemblablement assassiné en raison de son origine bochniaque, que son fils aurait été kidnappé durant quelques heures, ne devant son salut qu’à une intervention fortuite d’une personne ayant donné l’alerte, que ses voisins albanais auraient saccagé son champ de blé pour la contraindre à quitter le Kosovo et qu’elle aurait été spoliée de ses économies par des inconnus. Elle fait valoir que ces actes à l’encontre de sa personne et de sa famille s’inscriraient dans un contexte de persécution de la part des Albanais du Kosovo à l’encontre des Bochniaques y présents, de manière qu’un risque pour sa vie subsisterait et que les éléments par elle soumis devraient être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la convention de Genève. La demanderesse affirme encore que la situation des minorités au Kosovo ne serait pas encore stabilisée et que les possibilités de déplacement à l’intérieur du Kosovo seraient extrêmement limitées, d’autant qu’elle ne disposerait plus que de biens immobiliers.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 19 juin 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation générale régnant au Kosovo, région dont la demanderesse est originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par la demanderesse relativement à la disparition de son mari, ayant eu lieu bien avant le départ de la demanderesse vers le Luxembourg, au fait d’avoir été inquiétée par des membres de la population albanaise du Kosovo et aux maltraitances subies, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais il convient de constater qu’en l’espèce ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population, lequel ne saurait en tant que tel être considéré comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’autre part, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate. En effet, il se dégage des déclarations de la demanderesse telles que relatées dans le compte-rendu d’audition qu’elle ne s’est jamais adressée aux autorités en place pour dénoncer les faits commis à son encontre et solliciter une protection de la part de ces autorités.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté bochniaque du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, la demanderesse ne soumet toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles elle ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 28 juin 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE s. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17575
Date de la décision : 28/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-28;17575 ?

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