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24/06/2004 | LUXEMBOURG | N°18111

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 juin 2004, 18111


Tribunal administratif N° 18111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2004 Audience publique du 24 juin 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18111 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2004 par Maître Céline BOTTAZZO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,

né le … à Kline E Eperme (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, deme...

Tribunal administratif N° 18111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2004 Audience publique du 24 juin 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18111 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2004 par Maître Céline BOTTAZZO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kline E Eperme (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 février 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004 intervenue sur recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Johanna MOZER, en remplacement de Maître Céline BOTTAZZO, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … introduisit oralement le 12 janvier 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu le 17 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 24 février 2004, envoyée par courrier recommandé le 1er mars 2004, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de Police Judiciaire du 12 janvier 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 17 février 2004.

Il ressort du rapport du service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Kosovo en date du 6 janvier 2004 à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg.

Vous indiquez avoir séjourné à deux reprises comme demandeur d’asile en Allemagne, à savoir de 1994 à 1997 et de 1998 à 1999. Dès la fin de la guerre, vous seriez retourné habiter à Mitrovica. En janvier 2004, vous auriez quitté le Kosovo parce qu’il n’y aurait pas de conditions de vie normale à Mitrovica, ville qui est séparée en deux et dans laquelle toutes les infrastructures (usines, hôpital,…) se trouveraient du côté serbe. Il y règnerait une tension générale entre les Serbes et les Albanais. En ce qui concerne plus particulièrement votre personne, vous indiquez que le manque de travail, la corruption omniprésente et le favoritisme accordé aux membres de partis politiques vous posent problème. Vous reconnaissez ne pas avoir eu de problèmes avec les Serbes, sauf que votre maison a été détruite durant le conflit du Kosovo. Depuis 1989, vous seriez sans emploi. Un retour au Kosovo signifierait une vie sans travail et sans soins médicaux. Vous n’auriez pas d’autres problèmes dans votre pays d’origine. Vous affirmez ne pas vous intéresser à la politique et ne pas être membre d’un parti politique.

Enfin, vous ne faites pas état de persécutions personnelles.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine. Des raisons purement économiques ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. A cela s’ajoute que le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les Albanais.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de cette décision, Monsieur … fit introduire par le biais de son mandataire un recours gracieux formulé par lettre datée du 25 mars 2004.

Par décision du 26 avril 2004, envoyée par lettre recommandée le 27 avril 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale du 24 février 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée le 26 mai 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des deux décisions du ministre de la Justice des 24 février et 26 avril 2004.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours en réformation, au motif qu’un recours au fond ne serait pas prévu en la matière.

Il ressort des éléments du dossier, notamment de la décision ministérielle précitée du 24 février 2004, que le ministre de la Justice s’est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour en connaître (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm.

2003, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice a déclaré sa demande d’asile manifestement infondée, au motif que les raisons de son départ ressortiraient clairement du compte-rendu de son audition. Il fait exposer qu’en sa qualité de membre de la communauté albanaise, « minorité du Kosovo », il serait exposé à des humiliations et discriminations. Il soutient plus particulièrement que la situation serait loin d’être sécurisée au Kosovo et notamment à Mitrovica où les événements récents auraient montré que la réconciliation entre les communautés serbe et albanaise serait loin d’être accomplie. Enfin, il fait exposer que les conditions de vie au Kosovo seraient très difficiles et encore plus difficiles pour les membres d’une minorité comme dans son cas.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours de celui-ci laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Des considérations d’ordre matériel et économique ne constituent pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié (cf. trib. adm. 20 juin 2001, n° 12679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 83).

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 100 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 98 et autres références y citées).

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, tels qu’ils se dégagent du rapport d’audition susvisé du 17 février 2004 et de la requête introductive d’instance, force est de constater qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. - En effet, il appert du compte rendu de son audition, que le demandeur a en substance exprimé avoir connu des problèmes économiques (« il y a un manque de travail, c’est la corruption qui règne, certains membres de partis ils ont occupé des places, les autres n’ont aucune chance de réussir »), et un sentiment général d’insécurité au regard de la situation générale régnant dans son pays d’origine (« la situation actuelle à Mitrovica est que la plupart des habitants sont persécuté[s] »). En ce qui concerne ce dernier point, il convient de relever que le demandeur affirme appartenir à la communauté albanaise du Kosovo et avoir habité avant son départ dans la partie sud de Mitrovica. Toutefois, il n’apporte pas le moindre élément concret et individuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de ses origines. Dans ce contexte, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement soulève le fait que la partie sud de Mitrovica est exclusivement peuplée d’Albanais, de sorte que des problèmes de cohabitation avec les Serbes ne se posent pas en règle générale. Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que les deux maisons du demandeur auraient été détruites durant le conflit du Kosovo, étant donné que ce fait isolé remonte à 1999 et que la situation générale régnant au Kosovo s’est améliorée depuis.

Il s’ensuit que la demande d’asile de Monsieur … ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice l’a rejetée comme étant manifestement infondée et que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 juin 2004, par le premier juge en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schroeder 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18111
Date de la décision : 24/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-24;18111 ?

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