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24/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17571

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 juin 2004, 17571


Numéro 17571 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2004 Audience publique du 24 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17571 du rôle, déposée le 12 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphanie HURBAIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lushnje (Albanie), d...

Numéro 17571 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2004 Audience publique du 24 juin 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17571 du rôle, déposée le 12 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphanie HURBAIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lushnje (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 novembre 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 janvier 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 mai 2004.

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Le 16 juin 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 8 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 19 novembre 2003, notifiée par courrier recommandé du 2 décembre suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez été membre du parti démocratique depuis 1992. Vous auriez travaillé comme secrétaire du parti démocratique du village de Lushnje depuis 1995.

Vous exposez que vous et votre copine … vous auriez été enlevés et maltraités par des inconnus en juillet 2002. Vous auriez ensuite séjourné chez votre tante. Vos parents auraient reçu des lettres anonymes contenant des menaces. On aurait exigé de vous de cesser vos activités pour le parti démocratique.

Un mois plus tard vous auriez été obligé par des personnes masquées de descendre d’une camionnette alors que vous vouliez vous rendre à Tirana. Ces inconnus vous auraient frappé avec la crosse d’un fusil sur votre pied ce qui aurait rendu nécessaire une opération.

Vous auriez voulu déposer une plainte, mais la police (…) vous aurait reproché d’avoir inventé ces incidents. Vous auriez reçu 5 ou 6 convocations pour vous présenter au poste de police et à chaque reprise vous auriez été gardé à vue au poste de police pour une durée de 24 heures.

Vous indiquez qu’une balle aurait touché un de vos collègues de travail sur une station d’essence en septembre ou octobre 2001. En décembre 2001 on aurait tiré sur votre patron. Vous auriez quitté votre travail suite à cet incident. Votre patron et votre collègue auraient été membres du parti démocratique. Vous ignorez qui pourrait être derrière ces attentats et si c’était vous qui étiez visé.

Votre copine aurait elle aussi été menacée par des inconnus.

Force est cependant de constater que la situation politique s’est considérablement stabilisée en Albanie depuis l’année 1999 ce qui est confirmé par les observateurs internationaux présents en Albanie. Ainsi, une persécution systématique de membres de l’opposition par les autorités albanaises est actuellement à exclure.

La simple appartenance à un parti politique ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous n’étiez d’ailleurs pas dans une position particulièrement exposée d’un point de vue politique en tant que secrétaire du parti démocratique dans votre village.

De même, vous restez en défaut de préciser qui aurait pu être à l’origine des menaces et agressions dont vous auriez fait l’objet.

En ce qui concerne l’affirmation que vous et votre copine vous auriez été enlevés en juillet 2002 je constate que votre copine n’a pas évoqué cet incident lors de son audition auprès du Ministère de la Justice en date du 8 octobre 2002 ce qui rend vos déclarations peu crédibles.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 2 janvier 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 14 janvier 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 19 novembre 2003 et confirmative du 14 janvier 2004 par requête déposée le 12 février 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été membre du parti démocratique depuis 1992 pour revêtir à partir de 1995 le poste de secrétaire de la section locale de ce parti dans son village d’origine et qu’il aurait eu plusieurs problèmes avec la police albanaise en raison de ses convictions politiques. Il relève plus particulièrement qu’il aurait reçu de nombreuses menaces sous forme de lettres anonymes lui enjoignant de cesser ses activités politiques, qu’il aurait été frappé par des inconnus avec une crosse de fusil, de manière à avoir dû être opéré, et que les policiers compétents auraient refusé d’acter sa plainte contre les auteurs de ces mauvais traitements, tout comme il aurait été gardé à vue au poste de police 5 à 6 fois pour une durée de 24 heures après avoir reçu des convocations pour s’y présenter. Le demandeur fait valoir que le ministre n’aurait pas mis en doute ses déclarations ou ses pièces, mais qu’il aurait tout simplement fait abstraction de ces faits, de manière à ne pas avoir tenu compte de sa situation personnelle.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 8 juillet 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même si les déclarations du demandeur relatives à son engagement politique et aux attaques dont il déclare avoir été la victime, peuvent être considérées comme étant crédibles, le tribunal est néanmoins amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de certains milieux politiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, s’il est vrai que le demandeur met en cause également certains actes des forces de l’ordre et leur disposition à mener les investigations requises pour identifier les auteurs de ces attaques, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demander d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

S’il est en l’espèce certes crédible que la motivation des personnes ayant commis les actes de persécutions allégués est susceptible d’avoir trait à l’activité politique du demandeur, les éléments du dossier ne permettent cependant pas de retenir que ce dernier a établi un défaut de volonté ou l’incapacité des autorités en place dans son pays d’origine pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de poursuite des actes de persécution commis à son encontre. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que le demandeur a admis lui-même au cours de son audition que les autorités ont donné des suites aux différentes plaintes par lui déposées et qu’il se dégage en substance de ses déclarations que les investigations n’ont pas abouti essentiellement pour défaut de preuves concrètes des faits à la base des plaintes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié du demandeur comme n’étant pas fondée.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 24 juin 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17571
Date de la décision : 24/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-24;17571 ?

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