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21/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17686

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juin 2004, 17686


Tribunal administratif Numéro 17686 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2004 Audience publique du 21 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17686 du rôle, déposée le 3 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … au Kosovo (Etat

de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … au Kosovo, agissant en leur nom pe...

Tribunal administratif Numéro 17686 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2004 Audience publique du 21 juin 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17686 du rôle, déposée le 3 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … au Kosovo (Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … au Kosovo, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 février 2004, notifiée par lettre recommandée du 9 février 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphane SABELLA, en remplacement de Maître Michel KARP, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 avril 2003, M. … et son épouse, Mme …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus respectivement en date des 6 et 23 mai 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 6 février 2004, notifiée par lettre recommandée du 9 février 2004, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations, que la mère de Madame vous aurait conduits du Kosovo jusqu’en Albanie. A partir de là, vous auriez d’abord été en camion avant de prendre place à bord d’une camionnette qui vous aurait conduits au Luxembourg. Vous auriez quitté le Kosovo le 8 avril 2003 et seriez arrivés au Luxembourg le 11 avril 2003. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté.

Monsieur, vous exposez avoir travaillé dans une épicerie appartenant à un Serbe ce qui vous aurait valu des problèmes avec les Albanais. Ceux-ci vous auraient accusé de collaboration avec les Serbes durant le conflit du Kosovo. Ainsi, il auraient à tort prétendu que vous auriez fait le transport de cadavres albanais. Après la guerre, des Albanais vous auraient menacé de mort et battu à plusieurs reprises. En janvier 2003, il y aurait eu une tentative d’enlèvement de votre épouse par des « guerriers » albanais. Vous auriez également reçu des menaces d’enlèvement et d’assassinat de votre fille de sorte que vous l’auriez retirée de l’école. Vous auriez également subi la pression de vos voisins. Vous affirmez avoir peur des militaires de l’AKSh lesquels vous auraient menacé. Vous ajoutez ne pas avoir porté plainte de peur de représailles.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari.

Par ailleurs, vous déclarez ne pas vous intéresser à la politique et ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. En effet, ni les Albanais, ni des membres de l’AKSh ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d‘insécurité qu’une crainte de persécution. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. A cela s’ajoute que le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les Albanais.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou ailleurs en République de Serbie Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 3 mars 2004, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 6 février 2004.

Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo et qu’ils l’auraient quitté parce que la situation générale n’y serait pas encore stabilisée et qu’il y serait toujours dangereux pour les « Albanais ». En ce qui concerne leur situation spécifique, ils font état de ce qu’avant la guerre, M. … aurait travaillé pour un Serbe et qu’il serait maintenant suspecté de collaboration avec les Serbes. Ils font encore état de ce qu’ils ne trouveraient ni travail ni logement adéquat au Kosovo.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de relever que des considérations d’ordre matériel et économique, telles l’impossibilité de trouver un emploi ou la crainte de difficultés financières, ne constituent pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié (trib.

adm. 20 juin 2001, n° 12679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 83).

En outre, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais et, plus particulièrement, de membres du mouvement « AKSH » qui leur reprocheraient le fait que M. … aurait prétendument collaboré avec les Serbes. Or, cette crainte s’analyse en substance en un sentiment général de peur, en soi insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, les menaces proférées par des groupes de la population à l’encontre des demandeurs, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que la vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de leur assurer une protection adéquate.

Pour le surplus, les risques allégués par les demandeurs se limitent essentiellement à leur ville d’origine au Kosovo et ils restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 21 juin 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17686
Date de la décision : 21/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-21;17686 ?

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