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16/06/2004 | LUXEMBOURG | N°17416

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juin 2004, 17416


Tribunal administratif N° 17416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2004 Audience publique du 16 juin 2004

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Recours formé par M. …, Luxembourg contre une décision du collège échevinal de la commune de Junglinster en matière de concession funéraire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17416 du rôle et déposée en date du 7 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc LUCIUS, avocat à la Cour, assisté de Maître Monique …, avocat

, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, pharmacien, demeur...

Tribunal administratif N° 17416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2004 Audience publique du 16 juin 2004

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Recours formé par M. …, Luxembourg contre une décision du collège échevinal de la commune de Junglinster en matière de concession funéraire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17416 du rôle et déposée en date du 7 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc LUCIUS, avocat à la Cour, assisté de Maître Monique …, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, pharmacien, demeurant à L-2661 Luxembourg, 60, rue de la Vallée, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du collège échevinal de la commune de Junglinster du 9 octobre 2003 refusant de faire droit à une demande d’exhumation des dépouilles mortelles de son père, M. … au cimetière de Junglinster en vue de leur ensevelissement dans la sépulture de la famille … au cimetière de Luxembourg-Merl ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 6 février 2004, portant signification de ce recours à l’administration communale de Junglinster ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Marc LUCIUS et Monique CLEMENT en leurs plaidoiries.

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Le 6 février 2002, M. … introduisit auprès du conseil des bourgmestre et échevins de la commune de Junglinster une demande d’exhumation des dépouilles mortelles de son père, feu …, au cimetière de Junglinster en vue de leur ensevelissement dans la sépulture familiale au cimetière de Luxembourg-Merl.

Le 18 avril 2002, le Dr. P. H-K, médecin-inspecteur, chef de division de l’inspection sanitaire de la direction de la Santé, avisa défavorablement ladite demande d’exhumation et proposa au bourgmestre de la commune de Junglinster de ne pas autoriser l’exhumation sollicitée. Ledit avis était motivé comme suit : « Me référant à la circulaire du Ministre de la Santé respectivement du Ministre de l’Intérieur, il y a lieu de limiter le nombre d’exhumations à un strict minimum, ceci pour des raisons d’hygiène, mais également par respect à la personne décédée ».

Le 25 avril 2002, le collège échevinal de Junglinster, se référant à l’avis précité du Dr.

P. H-K. du 18 avril 2002, lequel fut joint en annexe à ladite décision, refusa de faire droit à la demande d’exhumation introduite par M. ….

Statuant dans le cadre d’un recours contentieux introduit par M. … tendant à l’annulation sinon à la réformation de la susdite décision du collège échevinal de Junglinster, le tribunal administratif, par jugement du 24 avril 2003, se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation, reçut le recours en annulation en la forme, le déclara justifié et annula l’avis consultatif du 18 avril 2002, émis par le Dr. P. H-K, médecin-inspecteur, chef de division de l’inspection sanitaire de la direction de la Santé, ainsi que la décision déférée du collège échevinal de la commune de Junglinster du 25 avril 2002 et renvoya l’affaire devant ledit collège échevinal. – Pour arriver à cette conclusion le tribunal a considéré que ni la décision litigieuse, ni l’avis consultatif n’étaient motivés à suffisance de droit.

Le 3 juillet 2003, le Dr. P. H-K émit un nouvel avis défavorable. Ledit avis est libellé comme suit :

« C’est en effet l’arrêté grand-ducal du 14 février 1913 réglant le transport des cadavres qui conformément à l’article 11, 1er alinéa, stipule « les exhumations pratiquées à la demande de particuliers sont autorisées par le collège échevinal, qui fixe les mesures à prendre par l’impétrant, après avoir entendu le médecin-inspecteur en son avis… » En général et d’un point de vue sanitaire, les arguments du médecin-inspecteur relatifs à un avis défavorable à une demande d’exhumation par un particulier se rapportent avant tout aux différents aspects en matière de décomposition des cadavres.

Celle-ci s’effectue en effet en trois phases :

- la fermentation, avec dégagement gazeux, suscitée par la transformation des glucides ;

- la dégradation des chairs, avec transformation des protides, dégagement de gaz variés et de composés liquides, sous l’action de bactéries ;

- la minéralisation du squelette.

Ces trois phases peuvent évoluer à des rythmes différents, selon les conditions de la sépulture.

La première et la deuxième phase, celles de la fermentation et de la putréfaction sont particulièrement sensibles à la présence d’oxygène. Ces phases, peuvent être limitées par la présence d’une terre pleine argileuse et provoquer ainsi un arrêt brutal de la décomposition des corps enterrés. Ceci vaut également pour des corps enterrées dans des cercueils en métal tel le zinc.

Ainsi, on comprend qu’en réalité les corps inhumés ne se consument pas aussi vite qu’en théorie et que des travaux d’exhumation peuvent poser certains risques pour les personnes manipulant les (restes de) cercueils et les restes de dépouilles mortelles.

Il faut par ailleurs savoir que les corps humains, après le décès, libèrent des liquides et excréments (contagieux ou non) et que les cercueils ne sont généralement pas étanches ou sont détruits par le poids de la terre après inhumation, de façon à ce que ces excréments infiltrent la terre.

La manipulation des restes de cadavres et de cercueils, de même que de la terre qui les entoure, peut par conséquent présenter des risques pour les personnes qui les manipulent lors des travaux d’exhumation, ceci d’autant plus que nous ne disposons actuellement que de très peu d’éléments d’information sur le délai réel d’inactivation et de calcul de survie des germes pathogènes dans le sol après inhumation de corps humains.

En cas d’exhumation d’un cercueil en zinc (percé ou non), il existe par ailleurs pour le manipulateur un risque de se blesser ».

Le 9 octobre 2003, le collège échevinal de Junglinster, déclarant se rallier aux argumentations exposées par le Dr. P. H-K. dans son avis défavorable précité du 4 juillet 2003, refusa de faire droit à la demande d’exhumation introduite par M. ….

Par requête déposée le 7 janvier 2004, M. … a saisi le tribunal administratif d’un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de cette nouvelle décision défavorable du collège échevinal de Junglinster.

Le demandeur réexpose que son père, feu …, est décédé le 10 octobre 1943, lors d’un séjour de convalescence en Suisse et que ses dépouilles mortelles ont été rapatriées et enterrées dans un caveau au cimetière de Junglinster dans un triple cercueil, dont un en sapin, contenant un fond de sciure et de poussière de charbon, le second en feuille de plomb et de zinc solidement soudée et le troisième en planches de chêne, qu’à l’heure actuelle, en tant que co-fondateur d’une sépulture familiale au cimetière de Luxembourg-Merl, où, sa mère, la veuve de feu …, lui-même, ainsi que son épouse et ses enfants devront être enterrés et où repose d’ores et déjà sa sœur, il désirerait faire exhumer les dépouilles mortelles de son père au cimetière de Junglinster, les transporter et les ensevelir dans la sépulture familiale au cimetière de Luxembourg-Merl.

Il soutient en substance que la décision de refus querellée ne serait pas légalement motivée à suffisance de droit, au motif que les considérations énoncées dans l’avis du 3 juillet 2003, sur lesquels, en les faisant siens, le collège échevinal s’est basé pour refuser de faire droit à la demande d’exhumation, seraient essentiellement généraux et ne justifieraient pas en quoi, au regard des circonstances particulières de l’espèce (caveau, triple cercueil logé à un niveau supérieur ne comportant pas de terre et dont la configuration empêcherait la pénétration de la terre entourant), la décomposition du corps enterré depuis 60 ans ne serait pas encore terminée et quelles raisons s’opposeraient à l’exhumation des dépouilles de feu ….

Quant aux risques encourus par les fossoyeurs chargés de procéder à l’exhumation, il s’agirait de spécialistes munis de vêtements appropriés et agissant avec précaution, de sorte que leur santé devrait être suffisamment garantie.

La partie défenderesse, l’administration communale de Junglinster, quoique valablement informée par une signification de la requête introductive d’instance en date du 6 février 2004, n’a pas fait déposer de mémoire. - Ceci étant, en application de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement.

En outre, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit vérifier en premier lieu sa compétence pour connaître du recours, ainsi que, le cas échéant, la recevabilité, voire le bien-fondé du recours, c’est-à-dire qu’il doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, voire à soulever d’office.

QUANT AU RECOURS EN REFORMATION Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

QUANT AU RECOURS EN ANNULATION Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 11 alinéa 1er de l’arrêté grand-ducal du 24 février 1913 réglant le transport des cadavres, et sans préjudice quant aux autres autorisations requises (permis de transport et permis d’inhumation, à délivrer par les autorités compétentes), « les exhumations pratiquées à la demande de particuliers sont autorisées par le collège échevinal, qui fixe les mesures à prendre par l’impétrant, après avoir entendu le médecin-inspecteur en son avis. Un homme de l’art et un membre du collège échevinal ou un commissaire de police sont désignés pour veiller à l’accomplissement des conditions auxquelles l’autorisation a été accordée ».

L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes précise que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.

Cette existence de motivation est une des conditions essentielles de la validité d’un acte administratif et le fait, par l’administration, de se limiter à reprendre comme seuls motifs, des formules générales et abstraites prévues par la loi, sans tenter de préciser concrètement comment, dans le cas d’espèce, des raisons de fait permettent de justifier la décision, équivaut à une absence de motivation, mettant le juge administratif dans l’impossibilité de contrôler la légalité de l’acte (cf. trib. adm. 27 février 1997, n° 9601 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure administrative non-contentieuse, n° 36 et autres références y citées).

En l’espèce, il y a de prime abord lieu de constater que la décision litigieuse de l’autorité communale de Junglinster ne contient aucun élément de motivation propre, les auteurs ayant déclaré se rallier à l’avis défavorable précité du 3 juillet 2003 émis par le médecin-inspecteur.

L’autorité administrative suffit certes à son obligation de motivation par renvoi à celle d’un avis émis par un organisme consulté et qu’elle entend faire sienne, pareil cas de figure présupposant évidemment l’existence d’une motivation suffisante dans le chef de l’avis.

Ceci étant, en l’espèce, s’il est vrai que suite à l’annulation des avis et décisions antérieures et la nouvelle saisine du consultant, la motivation du second avis émis par le Dr. P.

H-K, médecin-inspecteur, chef de division de l’inspection sanitaire de la direction de la Santé, le 3 juillet 2003, est incontestablement plus élaborée que celle du premier avis, il n’en reste pas moins que le nouvel avis est toujours libellé de façon générale, imprécise et standardisée.

En effet, l’avis du 3 juillet 2003 se limite à une exposition de considérations générales et pêche par un défaut de prise en considération et d’analyse des circonstances factuelles spécifiques du cas d’espèce (caveau, triple cercueil logé à un niveau supérieur ne comportant pas de terre et dont la configuration semble empêche la pénétration de la terre l’entourant) et d’explication en quoi l’exhumation des dépouilles mortelles de feu Albert … risque de porter atteinte à la santé publique.

Dans ce contexte, sans vouloir remettre en cause le bien fondé de la ligne de conduite adoptée et basée sur une stricte limitation des exhumations, le tribunal ne saurait admettre que l’administration se borne à avancer de vagues considérations de santé publique libellés de façon tellement générale et abstraite qu’ils s’analysent en une motivation stéréotypée, qui – à l’admettre – serait de nature à motiver tout avis et décision défavorables émis en la matière.

En effet, admettre pareilles motivations « passe-partout » équivaudrait à cautionner l’arbitraire sinon à vider la disposition légale précitée de sa substance, le législateur ayant clairement exprimé sa volonté d’admettre la possibilité d’exhumations et il n’appartient pas à l’administration d’y substituer en fait une interdiction générale des exhumations.

Ainsi, faute par le consultant et l’autorité administrative dotée du pouvoir de décision d’avoir justifié leur avis et décision par des motifs concrets axés sur les circonstance factuelles et spécificités du cas d’espèce, la décision de refus de l’exhumation sollicitée, en l’occurrence, pour des raisons et motifs compréhensibles et nullement irrévérencieux tenant au regroupement des membres de la famille dans une sépulture commune, n’est pas légalement motivée de façon suffisante et elle encourt partant l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision déférée du collège échevinal de la commune de Junglinster du 9 octobre 2003 et renvoie l’affaire devant ledit collège échevinal ;

condamne l’administration communale de Junglinster aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 juin 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17416
Date de la décision : 16/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-16;17416 ?

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