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14/06/2004 | LUXEMBOURG | N°18047

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juin 2004, 18047


Tribunal administratif N° 18047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2004 Audience publique du 14 juin 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18047 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2004 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric HIRTZBERGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,

né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) et de Madame …-…, née le … (Kosovo/Etat de...

Tribunal administratif N° 18047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2004 Audience publique du 14 juin 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18047 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2004 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric HIRTZBERGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) et de Madame …-…, née le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) tous les deux de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 février 2004, confirmée sur recours gracieux par une décision du même ministre du 26 avril 2004, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée leur demande en obtention du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2004 par Maître Patrick WEINACHT pour compte des époux …-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Cédric HIRTZBERGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 juin 2004.

Monsieur …, après avoir introduit une première demande d’asile au Luxembourg en date du 23 décembre 2002 ayant donné lieu à une audition par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de cette demande en date du 6 mars 2003, retourna volontairement en Bosnie au début du mois de septembre 2003 moyennant un vol Luxembourg/Sarajevo et au bénéfice d’une aide financière de l’Etat luxembourgeois de l’ordre de 700,- €.

Il se présenta une nouvelle fois en date du 10 décembre 2003 au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile pour solliciter, ensemble avec son épouse, Madame …-…, et son enfant, .., l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même 10 décembre 2003 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi qu’en date du 2 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les consorts …-…, par décision du 6 février 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 9 février 2004 que leur demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée au motif que les discriminations par eux invoquées, à les supposer établies, ne présenteraient pas de connotations ethniques et que leurs démêlés judiciaires avec l’employeur de Monsieur … ne sauraient correspondre à une persécution au sens de la Convention de Genève. Estimant pour le surplus qu’il serait certain que des motifs économiques sous-tendent leur demande d’asile, le ministre a retenu que celle-ci ne correspondrait à aucun des critères de fond prévues par la Convention de Genève.

Le recours gracieux formé le 9 mars 2004 par le mandataire des époux …-… à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 6 février 2004 ayant été rencontrée par une décision ministérielle confirmative du 26 avril 2004, ils ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 6 février 2004, telle que confirmée sur recours gracieux par une décision du même ministre du 26 avril 2004, par requête déposée le 12 mai 2004.

Etant donné que l’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, dispose expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal n’est en l’espèce pas compétent pour statuer en tant que juge du fond.

Dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (cf. trib. adm. 26 mai 1997, n° 9370 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 33 et autres références y citées, page 588).

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours sous examen, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que ce serait à tort que le ministre de la Justice a déclaré leur demande d’asile manifestement infondée et exposent qu’ils auraient dû fuir la Bosnie, étant donné que les conditions de vie ne leur auraient pas permis d’y envisager un avenir serein pour eux-mêmes et pour leur enfant. Ils exposent à cet égard que du fait de son handicap physique, Monsieur … se serait trouvé marginalisé dans son pays d’origine et aurait été dépourvu de toute perspective d’emploi possible, ceci en raison notamment de l’absence de toute structure en Bosnie venant en aide aux personnes souffrantes de problèmes physiques ou leur proposant des solutions de réinsertion dans la vie professionnelle. Ils estiment que cette marginalisation, découlant du handicap physique de Monsieur …, constituerait, à ne pas en douter, une discrimination au sens de la Convention de Genève. Ils se réfèrent en outre au climat général de violence et d’impunité prévalant dans leur région d’origine à l’encontre des populations non-albanaises, ainsi qu’à l’impuissance des forces militaires de la KFOR et des policiers de la MINUK face à ce regain de violence. Ils se réfèrent dans ce contexte aux évènements du mois de mars 2004 ayant mis en lumière l’étendue de l’instabilité de la situation au Kosovo, ainsi que l’impuissance des autorités en place pour protéger notamment les minorités. Les demandeurs font état en outre du fait qu’en cas de retour en Bosnie leur enfant, actuellement scolarisé au Grand-Duché de Luxembourg, n’aurait aucune chance de poursuivre une scolarisation normale et stable.

Dans leur mémoire en réplique les demandeurs insistent sur le fait qu’au-delà des considérations purement juridiques relatives aux critères définis par la Convention de Genève, il y aurait lieu de considérer également les conséquences qu’aurait un éventuel retour dans leur pays d’origine, étant donné qu’ils se retrouveraient sans ressources, ni même la possibilité de bénéficier d’une aide sociale, de manière à se trouver contraints à une vie misérable.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demande d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si la crainte invoquée peut être qualifiée de manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, à savoir la Bosnie.

En effet, il se dégage de leurs déclarations respectives que les craintes invoquées sont en substance d’ordre économique et sans rapport avec la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou encore les opinions politiques des demandeurs pourtant seuls envisagés par la Convention de Genève comme motifs de persécution susceptible de valoir l’octroi du statut de réfugié. Les demandeurs ont en effet déclaré ne pas avoir personnellement subi de persécutions et amplement mis en évidence le fait que c’est en raison de l’état de santé de Monsieur … qu’ils se sont retrouvés dans une situation économique des plus précaires, laquelle, aussi déplorable qu’elle puisse paraître d’un point de vue humain, ne présente pas à elle seule de facteur de rattachement à la Convention de Genève posant pourtant le cadre juridique du litige sous examen.

Cette conclusion n’étant pas susceptible d’être utilement énervée par les considérations d’ordre général basées sur la situation actuelle au Kosovo, lesquelles, outre d’être géographiquement étrangères à la situation spécifique des demandeurs qui sont originaires de Bosnie, ne sont pas non plus de nature à caractériser l’existence d’un risque de persécution concret que les demandeurs risqueraient personnellement de subir du fait de leur situation.

Il se dégage des considérations qui précèdent que les demandeurs restent en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de sorte que le ministre de la Justice a valablement pu retenir que leur demande d’asile ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile des époux …-… comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par eux est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours dans la mesure des moyens de légalité invoqués ;

se déclare incompétent pour en connaître pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 juin 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18047
Date de la décision : 14/06/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-06-14;18047 ?

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